jeudi 19 avril 2012

On t'annonce que tu as un cancer, que tu en as maxi pour six mois. Ce que je me dis, en ce moment... Six mois, c'est bien... Ça me prend, de temps en temps, comme si je me préparais, je crois même que ça me prend depuis tout gamin que je sais qu'on finit tous un jour ou un autre par caner pour de bon, basculer entièrement dans la Nuit. Y penser sérieusement, méthodiquement, désangoisse, dans mon cas, je dirais même plutôt que ça prévient l'angoisse, car ça ne me prend pas quand je broie du noir ou me sens drôle, inquiet, m'extrapolant au moindre pincement toutes les tumeurs, poumon, colon, anus, estomac, mâchoire, langue, nez, œil, os, sang, doigt, téton, peau, couille, oreille, gland, cervelle et tant d'autres, mais plutôt quand je suis bien tranquille, je rêvasse, je me projette, après je me sens encore plus tranquille, comme si j'avais réglé une affaire de la plus cruciale importance. Ça finira bien par arriver, tôt ou tard. Ça me pend même au nez, avec mes chromosomes... Il est bizarre, ce grain de beauté, là... Non?... Allez, une cigarette, histoire d'embrouillarder un peu la peur, la désorienter et même qu'elle se paume, colin-maillard, rate une marche et tombe dans le canal... A la baille! Ouste! Rien à foutre, du cancer!... Le temps alors doit prendre une tout autre importance. Moi je m'imagine bien, après le coup de massue de l'annonce quand même qui m'estourbira comme tout le monde, la pilule avalée plus ou moins de travers, plutôt con, à mettre de l'ordre dans mes affaires, dans un premier temps, même si je n'en ai pas beaucoup des affaires, mais quand même, on ne se rend pas compte tout ce qu'on a ramassé, empilé, conservé, tout liquider alors le matériel, le pesant, pas laisser toute mes merdes en héritage à déblayer avec gants en caoutchouc et masque à oxygène. Comme en pique-nique, pas question de laisser toutes ses merdes, que tout soit bien net une fois disparu, comme si personne n'était venu. Pas laisser de traces... Alors moi je viderais tout l'appartement, donnerais tout à qui voudrait bien et tout le reste à la benne, hop! rendrais les clés, puis à l'hôtel, de ci, de là, deux trois nippes dans un sac, léger, un livre ou deux, mes taoïstes peut-être,  ma clarinette pour me donner un peu d'épaisseur, façon David Carradine dans kung fu, comme en vacances, les dernières, jusqu'au bout. Moi on ne me retrouvera pas tout pourri, grouillant, irrespirable six mois après dans mon gourbi, sauf imprévu évidemment, genre infarctus ou anévrisme. L'avantage du cancer, c'est qu'en général vous êtes prévenu. Il s'annonce, le cancer, souvent même longtemps à l'avance, il est poli voire même protocolaire. Même foudroyant, il vous laisse au moins quelques mois... Semaines?... Ça laisse au moins le temps pour ranger et pour vider les lieux. A l'hôtel, ils changent les draps tous les jours. J'imagine qu'il doit y en avoir plein, des mourants, dans les hôtels, qui ont fait tout comme moi je ferai, c'est simple, on les emmène dans le drap quand ils sont raides, tout froids, parfois même encore tièdes tout juste trépassés, on en met d'autres pour le suivant. Et si ça fait trop mal, à un moment, ce cancer, j'irai me finir avec ce que j'aurai trouvé de mieux pour me finir, genre overdose d'héroïne, mais peut-être bien mieux, sur une plage par exemple, avec le bruit des vagues. Je me serai renseigné bien avant. Je suis prévoyant. Ce qu'il y a de mieux. J'ai vu mon père cancéreux terminal sans le savoir même s'il devait bien se douter, poumons et cerveau, traité au doliprane, les yeux tout brouillés qui clignotaient tellement il avait mal mais il ne l'aurait jamais dit, il endurait, stoïque dans son genre, sourire idiot virant grimace, devait à certains moments voir double ou même triple ou même cent comme les mouches... Moi, ce ne sera pas la même chanson. Alors j'irai me promener, avec mon sac, là où mes pieds me mèneront, jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus. Moi qui ne suis pas du tout attiré par les drogues, je crois bien qu'alors elles me tenteront beaucoup, ne serait-ce que pour ne pas avoir trop mal. Je ne veux pas avoir mal. C'est simple. Juste ça. Mourir, passe encore, mais agoniser en me tordant de douleur avec des râles affreux ou faire des bruits d'évier comme mon père, certainement pas. Peut-être que j'aurai envie de retourner à certains endroits où je fus heureux ou malheureux voire les deux. Mais peut-être pas. Là ou ailleurs, finalement... Regarder le soleil se lever. Regarder le soleil se coucher. Écouter les bruits. Sentir ce qu'il y a à sentir. Point... Et puis, quand on regarde bien, et même au microscope, un cancer, ce n'est pas si moche... Psychédélique, là, un peu... non?... Et puis de la musique... Coltrane... Les berceuses si douces des îles Salomon... Deux trois choses comme ça qui me touchent, qui m'emmènent... Je voudrai réaliser quelque chose d'extraordinaire à quoi j'aurai rêvé toute ma vie?... Pas même... Des choses simples... Boire un café... Fumer une cigarette... Caresser un chat... Sourire à une inconnue... Voire les 4 en même temps... Rêver, aussi, comme j'aurai rêvé toute ma vie, car je suis un rêveur, c'est ainsi, et un rêveur ça rêve... Les quelques rares grands rêves que j'ai réalisés, grands à mes yeux mais si minuscules à d'autres, pour pas quand même mourir trop couillon, même si on meurt toujours très couillon, génie ou abruti c'est idem, ne m'ont apporté qu'amertume de toutes façons, même si pas que, il faut être honnête, je ne regrette alors rien, pas même l'amertume... Revoir des personnes qui auront compté pour leur faire mes adieux?... Bien trop mélodramatique... Ils ne me reconnaîtraient d'ailleurs peut-être pas, j'aurais bien l'air idiot encore une fois, ça en deviendrait même comique... Je crois que d'instinct, comme les éléphants, lentement et je crois gracieusement, je parle pour les éléphants, j'irai plutôt me trouver un cimetière à mon goût...

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