mardi 24 avril 2012

Il y a toujours quelque chose à lire, chez Mankiewicz. C'est écrit. Il était aussi scénariste il faut dire, et producteur. Grande époque du cinéma hollywoodien. Grand cinéaste. Son premier film, c'était pour dépanner, pour remplacer Lubitsch tombé malade, sans quoi Mankiewicz n'aurait peut-être jamais été cinéaste, juste connu comme l'affreux sacrilège producteur qui avait amputé fury de Fritz Lang de ses scènes les plus expressionnistes, du genre : Vous n'êtes plus le Kaiser de la UFA, Monsieur, bienvenue à Hollywood... Et aussitôt, dès le début, ce style à lui, cette fluidité, cette intelligence, ce raffinement. Somewhere in the night est son deuxième film seulement. Maîtrise totale déjà, finesse absolue, élégance de la mise en scène, fluidité, il nous emmène là où il veut, c'est à dire dans la nuit, quelque part... Cette signature invisible. Il faut dire que le cinéma il le connaissait déjà parfaitement, avant d'en faire, pas comme d'autres scénaristes qui se sont parfois essayés à la mise en scène et n'ont réussi qu'à faire des films bavards, sans vie, statiques, le pénible black widow me vient à l'esprit, de Nunally Johnson. Écrire un scénario, c'est une chose, en faire un film c'est une tout autre histoire. Le cinéma n'est pas la littérature, est réglé par une autre grammaire, a un autre vocabulaire, respire un autre air avec d'autres poumons. On peut avoir du style dans l'un et bafouiller dans l'autre. Les mots. Mankiewicz fait oublier à lui seul la douleur du passage au parlant. Dialogues qui chantent à l'oreille... Jamais inutiles, ni emmerdants... Même s'il aurait pu aussi faire des films muets car souvent il y a quelque chose à lire, pas forcément à dire. Alors, on lit. Des petits mots, ici et là. Ça commence par une lettre. Ensuite, le chemin est jalonné de petits mots. Sans les mots, il n'y aurait rien. Un amnésique enquêtant sur son passé, son identité. Au début, une page blanche. Puis donc, cette lettre, qui enclenche la quête de l'autre, la quête de soi. C'est alors qu'on s'enfonce dans la nuit, quand la page se remplit, que le voyage commence. Le rythme est parfait. Tout est écrit. Formidablement bien écrit. Implacable tempo. Formidablement bien mis en scène. La caméra bouge si bien, j'en parlerais presque comme d'une danseuse qu'on ne verrait pas, discrète mais si gracieuse, jamais bougeant pour rien... On est immergé dedans de bout en bout. C'est comme un rêve. Tout est à la fois familier et étranger. Qui suis-je? Qui ne suis-je pas? Une simple étiquette?... La nuit s'épaissit, plus on s'y enfonce... Le héros pousse des portes dans la nuit, ressort souvent par les fenêtres... John Hodiak, acteur que j'ai peu vu, ou crois avoir peu vu, visage comme d'encre sympathique, est tout simplement parfait, en page blanche... et Richard Conte, comme d'habitude, magistral, en méchant pas si méchant, ou en gentil pas si gentil... Nancy Guild, la fille, très bien aussi... elle pousse la chansonnette, à un moment, drôlement bien... Le moindre second rôle et même tout petit rôle est formidable, si bien écrit, si bien mené... Voilà, le cinéma, c'était quand même chouette... et Mankiewicz était grand, il fallait bien que je le dise au moins une fois...

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