Narsingh est amer, car sa femme l'a quitté. Les femmes, désormais, c'est fini, elles n'entreront plus même dans son taxi. Les affaires ne vont pas très fort. Le sang fougueux des guerriers Singh bouillonne dans ses veines. Pour un écart de conduite, on lui retire sa licence et il doit s'en aller, prendre la route, au volant de sa Chrisler 1930, accompagné de son fidèle Rama, sorte de Sancho Panza. En chemin, il tombe sous le charme de Neelah. Elle est chrétienne, de basse caste. Aveuglé par son amour, il ne comprend pas qu'elle en aime un autre, unijambiste de surcroît. Narsingh a mal. Le guerrier est blessé dans sa fierté et son âme. Aveuglé par le sang noble des Singh, il méprise la divine Gulabi, de très basse caste, mais qui chante si bien, tellement douce, tellement vivante, qui est la grâce en personne et qui l'adore. Il est le noble prince qu'elle attendait depuis toujours. Tu n'es qu'une sale traînée, lui dit-il, la première nuit. Elle n'a pas choisi. Elle est d'une caste qu'on peut violer et mépriser impunément. Tandis que Narsingh, lui, est un guerrier, noble y compris dans la misère. Il ne sait pas encore qu'elle est entrée dans son cœur. Il ne sait pas encore à quel point le sang des Singh bouillonne dans ses veines. Il ne sait pas encore que Gulabi et lui sont esclaves du même maître infâme. Il ne sait pas encore que la noblesse est ailleurs. Et moi je ne savais pas, avant aujourd'hui, que Satyajit Ray, que je croyais bien connaître et aimais déjà profondément et sans réserve, avait réalisé ce chef-d'œuvre absolu, l'expédition (Abhijan). J'en suis tout remué, tout exalté, comme si le sang des Singh bouillonnait dans mes veines.
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