dimanche 8 mars 2009

Parfois encore, dans mes pensées un peu vagues, je me retrouve là-bas. Avant d'aller là-bas, je croyais savoir ce qu'était la solitude. Mais je ne le savais pas vraiment. C'est là-bas, que j'ai vraiment su. Je ne savais plus où était le nord, où était le sud. Je ne savais plus vraiment qui j'étais, je crois... Peut-être que finalement je ne suis allé là-bas que pour le découvrir et que j'ai compris alors qu'il n'y avait rien, ni personne... J'allais m'asseoir, de temps en temps, de jour comme de nuit, sur un banc, au bout d'un ponton qui avançait dans le lagon. Je regardais devant moi. Mais il n'y avait rien, devant moi. Je semblais attendre. Personne ne venait jamais. J'essayais de faire le vide, pour ne plus sembler attendre, n'y parvenais pas souvent... De ma chambre d'hôtel, j'entendais la mer, d'un côté, de l'autre l'air qui sifflait sous la porte et la faisait parfois un peu cogner dans le chambranle. Il y avait une reproduction sinistre de Gauguin au mur. J'écoutais Billie Holiday, accompagnée par Lester Young, my first impression of you (was like the sight of flowers in spring...), il m'a fallu peut-être dix ans pour pouvoir réécouter ces enregistrements sans avoir envie de me jeter par la fenêtre. Je fumais énormément, quasiment sans arrêt, des gitanes sans filtre, j'avais toujours l'impression d'être en manque, et je l'étais. Je ne dormais plus mais parfois je m'effondrais, une heure ou deux dans une sorte de coma dont je sortais brusquement, blême et suant, par besoin de fumer. Je pleurais sur mon lit, parfois, en position fœtale. Puis je me trouvais idiot. Je trouvais ça très moche, puis je trouvais ça très beau et j'avais honte, parfois, de trouver ça très beau, d'être un tel idiot... Quelle vanité... J'avais le ventre creux. Une fois, de toute la journée, je n'ai mangé qu'un oignon, en riant et en pleurant. Une autre fois, pensivement, trois olives. Il n'y avait plus rien. J'étais presque tout seul, dans cet hôtel qui était bien au dessus de mes moyens... Je n'y ai engagé la conversation qu'une fois, avec un homme d'affaires australien, au bout du ponton. Hello... What are you watching?... Green lights... fishes... in the sea... Don't you see?... Oh yes... beautifull... Yes... Are you... english?... You're joking?... I speak so bad... I'm french... Holidays?... No... Affair?... No... So What?... Nothing at all... Greenlights maybe, who knows... Ah... french men... C'est peut-être la seule fois où j'ai ri de bon cœur, en presque un mois... Je n'ai jamais rien regretté, à part peut-être un certain manque d'élégance, même si je n'ai jamais autant souffert que là-bas... C'était nécessaire, vital, c'est peut-être même là-bas que je suis vraiment né... Autrement, je marchais, des kilomètres et des kilomètres en bord de mer, sans but, tournant en rond, dans l'île... Souvent, des chiens méchants se jetaient sauvagement sur moi derrière les portails des villas sans lesquels ils m'auraient égorgé et j'en tremblais encore longtemps après. Alors, je m'éloignais des zones résidentielles qui ne voulaient pas de moi. Je me sentais chassé, banni, totalement indésirable. J'avais un air de vagabond, un peu déguenillé mais propre. Je ne savais jamais où était le soleil, où il était censé se lever ou se coucher, j'étais perdu, je ne savais pas non plus où regarder pour savoir d'où je venais... Parfois, je m'arrêtais, je m'asseyais sur un rocher ou sur un bout de plage désert, je regardais la mer, devant moi, mais il n'y avait rien... En marchant, un jour, sans but, longtemps, jusqu'à m'oublier, ne plus être alors que la sensation de marcher, je suis arrivé dans les ruines de l'ancien bagne... (Ce qui peut vouloir dire qu'il y en avait un nouveau, quelque part...) Un grand chien noir est venu vers moi et m'a léché la main...

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