samedi 7 mars 2009

Souvent, je pense à mon père. Il me manque, immensément, viscéralement, même si j'ai fait mon deuil, comme on dit. Il me manquera toujours. J'ai des souvenirs tristes et délavés comme des vieilles photographies. Ma sœur, quand je l'appelle au téléphone, me parle interminablement de gens que je ne connais pas, sans me laisser en placer une. Et toi, ça va comment? me demande-t-elle, une demi-heure plus tard, quelques secondes avant de raccrocher. Oh... moi, je suis toujours un cow-boy solitaire, tu sais... Oui oui, toujours locataire... Un jour ou l'autre, il faut rendre les clés... Mais ça ne m'empêche pas d'être chez moi, Marielle, là où je suis... J'achèterai peut-être un bateau, un jour, mais pour naviguer tu vois... Puis on me brûlera dedans, quand je serai mort, avec mes petites affaires, comme un viking, ou un manouche, ça me plairait bien, même si on n'a pas le droit il paraît, c'est quand même triste, la mort... Alors, je serai peut-être enfin un hors-la-loi, quand je serai mort... Peut-être que tout ça, c'est à cause des cadeaux de noël de cette année-là, je me dis... On vous remet un accessoire, un costume, ça vous colle à la peau toute votre vie... Une fois par an, je vais sur la tombe rose de mon père, à Clarafond, Haute-Savoie. Ma mère, souvent, m'attend à la sortie, car je reste un bon moment et qu'elle sait, sans que j'aie eu à lui dire, que j'ai besoin de rester seul. Je suis assis sur la tombe, je me roule une cigarette de cow-boy que je fume en regardant le paysage vallonné, les nuages paresseux, les oiseaux, en parlant à mon père, dans ma tête. Salut p'pa, je dis, en arrivant. T'as entendu, l'oiseau, là?... Pendant des années, j'ai parlé, dans ma tête, à mon père. Maintenant, c'est juste quand je viens fumer une cigarette sur sa tombe. (Il est mort d'un cancer du poumon.) Il a l'air fatigué, sur la photo. Déjà, à l'époque de cette photo, je ressentais sa fatigue, comme s'il était écrasé par la vie. Très tôt, je me suis dit que moi, je ne serais pas fatigué comme mon père, que je serais donc très souvent en vacance et que je ne deviendrais sans doute pas gendarme, ni père de famille peut-être... En ce sens, je le dis sans vanité, je n'ai pas trop mal réussi. Je viens de réaliser que j'ai plus de dix ans de plus que mon père à l'époque de cette photo. C'est troublant, car j'ai l'impression d'en avoir dix de moins. Cinq ans plus tôt, ce n'était pas le même homme, sur les photos. Comme s'il avait pris vingt ans, d'un coup.

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