jeudi 26 septembre 2013

Tout finit par s'abîmer. On croyait l'âme capturée pour toujours et qu'on pourrait toujours la retrouver. Mais l'âme aussi s'abîme. (Se décolore même encore plus vite que la moquette du Waldorf Astoria.) Les fantômes de plus en plus pâlots avant de disparaître totalement dans l'Abîme. C'est ainsi. Les tout premiers cauchemars, l'Abîme. Peut-être aussi les tout derniers. Je me souviens que j'allais parfois le voir, quand il était planton, tout seul, l'après-midi, souvent le dimanche. Une toute petite gendarmerie. Il était détendu, quand il était tout seul, au bureau. Il tapait ses pévés, tranquillement, avec tous ses doigts, en fumant sa Gauloise fichée au coin des lèvres, s'arrêtait parfois pour faire tomber la cendre, boire une gorgée de café froid. (Qu'il fût savoureux ou infect, il avait toujours cette même grimace, quand il avalait son café.) On avait nettoyé au compresseur dans la cour sa première machine à écrire pour que je puisse m'en servir, il me montrait un peu. C'était tranquille. Pas d'accidents ces jours-là, ni de crimes, ni de suicides. Pas d'Horreur. J'allais fureter un peu dans les bureaux, regarder un peu ce qu'il y avait dans les tiroirs — j'ai toujours eu besoin de regarder dans les tiroirs — allais faire aussi mon tour vers les cachots. Il y en avait deux. La porte était toujours ouverte. Les pensionnaires étaient très rares il faut dire, un vagabond, parfois, ou un ivrogne en dégrisement... J'entrais. C'était tout blanc. Mais pas un blanc éclatant. Un blanc un peu cassé. Un wc à la turque. Propre. Un minuscule lavabo. Deux mètres sur deux mètres. Pas de fenêtre, mais un cafuron, en haut, bouché par un gros verre dépoli. Une lumière tamisée. Sol en ciment. Je déroulais la paillasse et m'asseyais dessus. Parfois même je refermais la porte derrière moi, après avoir fait coulisser plusieurs fois le judas avant d'entrer, pour le bruit, très particulier, du judas qui se ferme, comme un verdict, et le silence qui s'ensuit, je m'allongeais alors sur la paillasse, les mains derrière la nuque. C'était calme. Ça sentait le propre. C'était l'automne. Le soir tombait. J'aurais pu m'endormir.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire