mercredi 25 septembre 2013

Dans la nuit, dans son lit, avec ses pieds, avec ses poings, le pépé se battait avec le Diable. Il voulait le prendre. Par les pieds, il essayait de l'emmener. Le pépé ne se laissait pas faire. C'est ce qu'il disait, après, quand on lui demandait la cause de ses hurlements, de ce pugilat infernal à vous glacer le sang. Une de ses belle-sœurs, une toute petite femme toujours souriante comme un masque, aux joues humides, toujours bien gentille, à toute petite voix de souris, toujours à la messe et aux vêpres, aux hôpitaux, aux chevets et aux cimetières, chuchotait qu'il était possédé, le pépé, comme d'ailleurs tous ses frères : le Diable les habitait, c'était même dans le sang. Il l'avait peut-être rencontré tout au fond de la mine, le Diable, je me disais, entre deux coups de grisou. (Une fois, au fond, un cheval l'a mordu, au bas des reins, il en a même gardé la marque.) Mais il se battait. C'était une force de la nature, le Père Blanc. Le Diable ne l'aurait pas comme ça. Et je crois qu'il ne l'a jamais eu et qu'à l'aube, c'était toujours le pépé, qui était victorieux. Il n'était pas homme de paroles même s'il était homme de parole,  mais plutôt d'action, et de silence. Comme le sigle Mercedes, son monde se découpait en trois. Il y avait le fond de la mine, où il arrachait le charbon, faisant souvent double journée. Il y avait son jardin : il s'asseyait sur son banc, fumait son Scaferlati Supérieur Caporal roulé dans son Job 38 bis non gommé, contemplant ses légumes qui poussaient — tout est dans l'art de bien répandre son fumier — dans la musique des insectes, le plus luxuriant des jardins, en haut les roses pour la mémé... et le thé rouge... Et il y avait la maison, où parfois, dans la nuit, il se battait avec le Diable. Il se battait aussi parfois avec la mémé, à une époque, quand il buvait. Et vers la fin, hospitalisé à Bellevue après une autre attaque, il s'était évadé et était remonté, hémiplégique, en liquette de malade, le cul à l'air, armé d'un couteau piqué dans les cuisines, à la maison, pour lui régler enfin son compte, à la mémé. Pour lui, alors, c'était peut-être aussi un peu le Diable, la mémé, je m'étais dit... Moi, le Diable, ça n'était pas mon affaire. Je ne l'avais jamais rencontré il faut dire. C'était l'affaire du pépé. Peut-être même l'affaire de toute sa vie. Moi c'était Dieu, qui venait dans la nuit et me faisait hurler, que je chassais. C'était un grand gaillard un peu vieux, tout en blanc — même si, dans la nuit, tous les dieux sont gris — avec une barbe blanche. Il venait s'asseoir au bord de mon lit. Je sentais même son poids. Il n'avait à priori rien d'effrayant. Un grand gaillard... Il ne disait jamais rien. Mais c'était dans les yeux. Ce que disaient ses yeux qui me fixaient. Rien de très chaleureux. Ni de très rigolo. Pas un dieu chaleureux, ni rigolo. Peut-être un peu celui de Job, de Jonas... Je me recroquevillais le plus possible sous mon drap pour ne plus le voir et ne plus sentir son poids. Ne surtout pas risquer de le toucher, physiquement ou autrement. J'hurlais, dans la nuit. Pendant des années, il est venu me voir et à chacune de ses visites j'ai fini par hurler. Pas toutes les nuits. De temps en temps. Quand je n'y pensais plus, il revenait. Puis il a dû se lasser, heureusement, a compris peut-être qu'on ne me prenait pas comme ça, moi non plus. Je me dis maintenant que c'était facile, pour Lui, avec un gamin de dix ans. Je craignais Dieu. Plus que la peste, le choléra, plus que toute maladie. (On verrait bien, aujourd'hui, s'il ferait encore le Malin...) Alors, on était assis, avec le pépé, sur le banc, au fond du jardin, on ne disait rien, cuisse contre cuisse, on n'avait rien besoin de dire, on était bien, vraiment bien, il n'y avait même que là qu'on était bien... Et quand on dormait, tous les deux, dans le cosy, ni Dieu ni le Diable n'auraient osé venir...

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