dimanche 1 septembre 2013

Le Roumain me salue. Je salue le Roumain. Le premier jour, je l'avais vu, en pleine canicule, couché en chien de fusil sur le trottoir devant le cinéma, inerte, parmi les mégots et les crachats, me demandant s'il était mort ou s'il faisait seulement la sieste. Fumant ma cigarette, j'avais attendu un moment, n'osant pas troubler son provisoire ou permanent repos. Puis il avait ouvert les yeux, m'avait fait un grand sourire. Une bonne nature, je m'étais dit alors. Il est toujours avec une petite fille en guenilles crasseuses, toute machurée, jolie et même gracieuse, malicieuse, l'œil vif. Ils ont élu trottoir devant le cinéma. Un jour, je le vois farfouiller derrière le bouclier en fer noir qui fait l'angle et sur lequel autrefois, quand le cinéma était florissant,  on collait des affiches. Curieux, je m'approche. Une bombe? Il va faire sauter le cinéma? Il serait temps... Mais non, il y entrepose ses affaires. Il y a des sacs, plein de sacs, qu'il bourre entre la pierre et le fer. C'est sa planque. Parfois il vient récupérer des choses, ou en stocker de nouvelles, des choses qu'il ramasse ici et là, son trésor. Réalisant que je l'observais il s'est senti un peu gêné au début, comme pris en flagrant délit, craignant sans doute que je le chasse, puis, matois,  m'a fait de grands sourires accompagnés de grands gestes, qui sonnaient un peu faux, forcément. Je lui ai fait comprendre d'un haussement de sourcils et d'épaules que je n'avais rien vu, que ça ne me regardait pas du tout. Il ne m'appartient pas de le juger honnête homme ou bien crapule. Depuis, il me salue toujours quand il passe, comme si je lui avais fait une grande faveur. Je le salue en retour, plutôt humblement. Il ne parle pas le français. Je ne parle pas le roumain. Ça me rappelle qu'on m'a traduit, jadis, en roumain, du temps que j'étais auteur sans aucun doute futurement considérable, célébré par la critique, courtisé internationalement, en route bien malgré lui vers la Postérité. Ma carrière, heureusement, s'est arrêtée nette aux portes de Varsovie. Mais dans la langue de Dracula, quand même, ce n'est pas rien... Ça lui ferait peut-être de la lecture?... Intrusul, ça s'appelait. Ça commençait comme ça : Nu îsi spala niciodata urechile. Et ça se terminait comme ça : ... si îmi dadeau si mie lacrimile...

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