vendredi 6 septembre 2013

Puis ce fut la Guerre. Je ne saurais dire quand elle a commencé, ce qui l'a déclenchée. C'était peut-être juste les hormones. La nature. Ce qui a été si proche, mêlé, doit à un moment se déchirer, se séparer. Je ne sais pas qui des deux était le plus cruel, le plus vicieux. Je la traînais par les cheveux dans tout l'appartement. Elle me suppliait de la lâcher. Avec mon bon cœur, je me laissais attendrir. Puis c'était elle qui, sitôt libérée, m'empoignait et  me traînait par les cheveux. Je la suppliais... Avec son bon cœur, elle se laissait attendrir... On traversait l'appartement, comme ça, dans un sens, puis dans l'autre. Des hurlements. Des claquements de portes, parfois même sur les doigts. Je la pinçais jusqu'au bleu. Elle me griffait jusqu'au rouge. Il y avait des trêves. Tout n'était pas perdu. Quand on se retrouvait seuls, le soir, les parents sortis, qu'on regardait le sixième sens à la télé, se blottissait l'un contre l'autre, deux petits animaux terrorisés par la Nuit. Je peux venir dans ton lit? La peur pouvait nous ressouder. Le désespoir, aussi, quand il fallait repartir, le lundi, elle chez les bonnes sœurs, moi chez les curés. On avait mal au ventre, la boule dans la gorge, quand il fallait y aller et même dès le dimanche. Elle pleurait, dans les couloirs sonores, et même hurlait, quand on la laissait là-bas, il fallait que les nonnes l'emmènent de force. Moi, j'étais un homme, me retenais jusqu'au soir, dans le dortoir, pour sangloter sous mon drap. On se sentait à ces moments un petit peu orphelins... Mais revenait vite l'envie de se faire mal, d'une façon ou d'une autre, quand on se retrouvait. Alors que depuis toujours elle sentait tellement bon, je ne pouvais soudain plus la sentir et c'était sans doute réciproque. Il y avait toujours cette envie de la toucher, d'être près d'elle, comme aimanté, mais qui était maintenant confuse, troublée par un je-ne-savais-quoi qui me poussait à un moment à vouloir la torturer d'une façon ou d'une autre. On s'éloignait. Elle était soigneuse, coquette, sa chambre bien proprette, quand moi j'étais négligé et ma chambre un foutoir. Elle lisait Fantômette, moi Pif gadget. Sa tirelire était en forme de ruche et la clé cachée quelque part, la mienne en forme de champignon toxique, la trappe sauvagement arrachée — j'étais un brise-fer, disait ma mère. Quand, un après-midi d'été, sur le lac d'Annecy, flottant les jambes écartées sur notre minuscule bateau pneumatique, rouge, qui autrefois nous avait paru si spacieux et ne pouvait maintenant plus nous contenir, celui qui était toujours percé et avait une boussole à la proue, je m'aperçus que des poils pubiens dépassaient de son maillot, un genre d'effroi inconnu me figea. La rupture était enfin consommée. La Guerre alors prit fin.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire