samedi 3 mars 2012

Toujours empli de l'absence de Pearl White, mais équipé de mon brand's haide, j'ai caboté mollement jusqu'à la Place Carnot. Au moins en tant que plante y soigner un peu ma carence en vitamine D d'oiseau urbain de nuit. Un monde... dès qu'il fait beau, ils sortent tous de leurs terriers... Au pire, j'irai dans l'herbe... Gare aux crottes de chiens... Mais une place sur le trottoir plein soleil était libre... On aurait dit qu'elle m'attendait... Tout ce monde... et tous à chercher une table, glapir qu'il n'y en a plus... Ils ne la voyaient pas, celle-là, la mienne... Peut-être un trou dans l'espace-temps... Je m'y dirige, donc, sans crainte ni précipitation, m'y installe, remonte les manches de ma chemise jusqu'au milieu du biceps, plus la surface de peau est grande mieux c'est pour bien capter la D, presque envie de me mettre tout nu... C'est pour le cancer, la D, ça fortifie les cellules, plus vaillantes alors à reconvertir celles qui ont été séduites par le côté sombre de la Force... A la fois, n'en faut pas trop, sinon Mélanome s'invite, tout noir et puant dans son vêtement miteux resté trop longtemps au grenier... Toc toc... Faut ce qu'il faut, modérément... Gaston passe devant et s'arrête : on s'en sert cinq : Prenez le soleil? — Et comment!... Il a toujours sa casquette de pépé sur son crâne chauve, moustache, un peu Choron, veste d'hiver... Il repart, me rend le soleil qu'il avait éclipsé derrière sa tête de lune, deux doigts sur la visière... Deux Russes, à tribord... Qu'est-ce que ça cause les Russes et fort... Heureusement, ça cause en russe... Des costauds, mâchoires carrées, cheveux en brosse, blonds, bien slaves, comme sortis d'affiches de propagande d'URSS, habillés chic, un peu voyant à la fois... Peut-être bien des maquereaux... Parce que dans le secteur j'ai cru parfois repérer des prostituées d'Europe de l'Est, qui doivent opérer sous les voûtes de Perrache... Alors je ferme les yeux, telle la plante épanouit ses feuilles, c'est bon... Mais quand même, au bout d'un court moment : Pourraient pas la fermer ces Russes?... Sitôt pensé ils se lèvent et s'en vont... Au même moment, le soleil ardent commence à se glisser sournois derrière un panneau signalant que la place est réservée aux handicapés... Voilà peut-être pourquoi... Le café est dégueulasse mais l'eau du robinet se laisse boire... J'ouvre enfin mon brand's haide... Sur la terrasse en face j'ai cru reconnaître une jeune femme mais l'ai laissée, indifférent, se noyer dans ma myopie... Une plante, pas un lapin... [21.3.1946 : sur papier cul britannique. Jaune bouteille gisait la lune fêlée, j'eus un renvoi en bas dans la brume violette (plus tard encore).] Ça me ressuscite soudain Pearl White et qu'elle a disparu. Je me demande maintenant si ce n'était pas la lune, qu'elle regardait. C'était peut-être la nuit. J'avais cru que c'était le jour, dans un jardin j'imaginais, mais me trompais peut-être. Et puis, elle buvait, Pearl White. Peut-être qu'aussi elle a eu un renvoi, dans la brume violette, après avoir contemplé la lune fêlée jaune bouteille qui gisait... Ça me serre le cœur soudain, à moins que ce soit le café... Elle a disparu... The lady vanishes... Je me retrouve alors dans un train... Elle disparaît... J'en ai presque un peu les larmes aux yeux, parce que Pearl White a disparu, dans le train... Était-ce la lune qu'elle contemplait ainsi songeuse? Ou un oiseau bleu et jaune dont les trilles éclaboussaient les Grands Feuillages?... La question m'habitera longtemps... [Ça s'appelle comment : un divan sans appuie-tête ni ressorts et qui n'a plus de tissus?] C'est alors que deux Russes sont venus s'asseoir à la table à côté. Deux autres Russes. Pareils à la fois. Des Russes de propagande. Qu'est-ce que ça cause, les Russes, et fort. C'est donc la table des Russes, qui vont toujours par deux. Je referme mon brand's haide. Le soleil commence à rejaillir de derrière le panneau : un genre d'aube latérale et blanche : Pearl White... Avant de mettre les voiles allume une cigarette pour voir où va le vent. Étirement des bras, doigts écartés, poings fermés pouces dedans. Coup d'œil sur ma montre : batteries rechargées. Grattement subtil de tête d'un doigt comme pour stimuler l'aire de cervelle dessous. Que de questions, en ce moment... Un divan sans appuie-tête ni ressorts et qui n'a plus de tissus...

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