samedi 31 mars 2012

Alors, vous ne le savez peut-être pas, mais je vous observe. (Ma lectrice, elle, le sait depuis longtemps. J'en profite pour la saluer. Bonjour alors, ou plutôt bonsoir, lectrice. J'espère que vous allez bien et que je ne vous ai pas trop saoulée, la dernière fois, avec mes trucs. Oui... oui... le hammam, vous devriez... Tout par le siphon, vous verrez!... Chuis quand même un peu con, quand je m'y mets...) Oui, alors, je vous observe, qui que vous soyez. Ça m'intrigue. Ça m'intrigue même beaucoup. (Ma lectrice le sait bien, car on en discute parfois. Elle s'y connait bien, en statistiques, bien mieux que moi...) Avant, il n'y a pas si longtemps, personne ou presque ne venait. J'étais tranquille. Je me foutais de tout. Je croyais être tout seul. Je ne me rasais pas tous les matins, loin de là. (Maintenant non plus.) Parfois même je ne me lavais pas de la semaine, voire du mois. C'est ça, la vie sauvage, on s'en fout, au bout d'un moment, on n'a à plaire à personne, même pas à soi. On se gratte un peu au début, parce qu'on n'est pas habitué, on a encore la peau délicate. Puis après, n'est-ce pas... Donc, il ne passait pas grand monde, par ici, je disais. J'étais bien. Incognito il me semblait. Je venais poser ma petite crotte, de temps en temps, sans trop m'appliquer, un besoin, allez hop! je ne vais quand même pas faire des manières, tout seul dans mon coin, je me disais... Puis, un jour, j'ai découvert l'existence des statistiques. Ça a coïncidé avec l'apparition de ma lectrice. Depuis, je suis obsédé par mes statistiques. Ça monte... ça monte... ça n'arrête plus de monter... Pas énormément non plus, mais il faut voir qu'il n'y a pas si longtemps c'était désert, vraiment... J'ai même fini par localiser au moins six visiteurs... Des habitués quoi, des qui reviennent et même parfois plusieurs fois par jour, voir s'il n'y aurait pas du nouveau, par hasard... Au début, ça m'a fait très bizarre... Comment pouvait-on revenir si fréquemment ici, alors qu'il n'y avait rien?... Alors, parmi les six, j'en connais au moins une, ma lectrice forcément, et puis peut-être aussi cette personne, à Toulouse, que j'en profite aussi pour saluer : salut, gars!... (Si c'est toi, évidemment...) Et puis peut-être aussi ma sœur?... Il en reste au moins trois... Alors, j'observe tout ce monde, je sais dans quelle ville ils sont, quels jours en général ils passent, plutôt le matin, l'après-midi ou le soir, je sais quel type d'ordinateur ils ont, par quels mots clés ils sont arrivés jusqu'ici, la définition de leur écran, leur fournisseur d'accès, quelles pages ils visitent et combien de temps ils y restent, je sais même comment ils sont habillés, la couleur de leurs yeux, s'ils sont laids comme des poux ou gracieux faut voir comme car je les observe par l'œil de leur webcam... si si... sauf ceux qu'ont bouché l'trou... malins... J'ai même un abonné depuis ce mois!... J'en revenais pas quand j'ai vu ça... Je pensais avoir interdit l'opération... Je ne suis pas un communicant moi, pas un type à réseaux, pas du tout liant sur la toile... Alors, un abonné, putain... je vais voir qui c'est... Un Frenchie expatrié aux States, rockeur, écrivain, pas un abonné de merde je me dis, abonné en plus qu'à des trucs bien classieux, littéraires, artistiques et tout... Hi! man!... Je suis même allé voir sur son site... mais je ne me suis pas abonné... car je ne m'abonne pas, moi, c'est comme ça, et puis je ne vote pas non plus... Oui oui... Pas mal... Sympa, le type... Y chante bien... Bonnes références et tout... S'la joue pas trop... Pas de la merde quoi même si le rock globalement ça me fait un peu chier... Si ça continue moi je vais m'inscrire sur facebook... Je pourrai lever mon pouce : "j'aime!".... J'aurai plein d'amis vachement cool, tous le pouce levé, sourire béat : "j'aime!"... Alors, je vous observe, comme je disais... Ça a dû changer ma façon d'être ici... Je me sens observé... donc j'observe... Pas grand monde, mais quand même, au moins six qui reviennent... C'est une foule, pour moi, six... Je les imagine, entassés dans mon petit chez-moi... on a du mal à respirer... il y a comme une oppressante promiscuité... Alors, le soir, je vais voir mes statistiques... les six, s'ils sont passés... (Il y en a même eu sept, à une époque, et même huit et même peut-être neuf, pour vous dire, je ne parle pas des occasionnels, je parle de ceux qui sont accros...) Parfois je fais un peu le con, pour voir... Il faudra bien que ça cesse, un jour, ces conneries... J'étais quand même mieux, avant les statistiques... Le fait de se sentir observé, on n'est plus le même... On se met alors soi-même à observer ceux qui vous observent.. On se met aussi alors à soigner plus la virgule, autrement dit à se couper les poils du nez, collé au miroir avec cet air idiot, pas un qui dépasse, pareil pour les oreilles mais à la pince à épiler pour les oreilles, poil après poil, bien plus difficile, les oreilles, et douloureux, alors que le nez, quand même, c'est fastoche à côté, allez choper juste un poil tout fin sur le lobe de l'oreille, à l'envers dans le miroir, vous croyez aller dans un sens mais vous allez dans l'autre, il faut alors se mettre à penser à l'envers, dire à la main d'aller à droite pour aller à gauche, d'avancer pour reculer, après vous faites tout à l'envers même dans la rue, n'importe où, n'importe quand, n'importe quoi, à cause d'un poil d'oreille et quand vous l'avez enfin coincé, le poil, vous ratez l'extraction et poussez un juron, putain de merde, il est encore là, ce con, en plus il a frisé en glissant entre les mâchoires pas assez fermes de la pince parce que vous étiez un peu fébrile lors de l'opération, la peur de l'échec, sera encore plus dur à coincer, le vicieux, allez coincer une spirale... Chuis pas trop moche?... Mais parfois j'ai envie d'être moche, aussi, de vous roter à la gueule, parfaitement, ou de lâcher un gros et mauvais vent... Vulgaire?... Ben ouais... Barrez-vous si vous êtes pas contents... J'vous emmerde... (Ma lectrice, elle n'aime pas, quand je dis ça...) J'étais bien mieux tout seul de toutes façons... Pas du genre moi bien parfumé et bien peigné à faire des délicats mots d'esprit... même si parfois je suis tenté et que ça doit peut-être même m'échapper, comme un pet de vieux... C'est une question de classe, je crois, que je n'ai pas, et n'aurai jamais, et ne voudrais pour rien au monde avoir, car je crois qu'alors je me dégoûterais pour de bon...  En même temps, j'ai l'air un peu comme ça rugueux, parfois, mais ça n'a rien de très sérieux...

2 commentaires:

Sa lectrice a dit…

Quoi ? 5 autres personnes sur MON banc ? Ce que ça devient touristique, ici... C'est comme ça, on croit avoir découvert un joli petit endroit pour soi seul-e, et puis on découvre que c'est hyper-fréquenté... pff...

Jean-Charles F. a dit…

C'est ça, un banc public... Faut se faire une raison... Mais si ça se trouve, ils ne l'ont même pas vu, le banc, se sont assis à côté, ont même pas pris le temps de s'asseoir ni même de regarder... Z'ont peut-être pas tort, hein... Peut-être pas grand chose à regarder... Z'êtes peut-être bien la seule à y voir quelque chose et c'est peut-être pas tant ce que j'y ai mis que ce que vous avez projeté... Et il y en a tant d'autres des bancs... Et puis ils sont invisibles, les autres gens, on s'en fout, c'est qu'une idée... statistique... Si ça se trouve, ce sont des robots, même pas en métal en plus et qui grincent avec des lumières de partout, des robots... qu'existent même pas vraiment...

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