dimanche 11 mars 2012

Elle est fascinée par l'homme qui rit. Mélange de pitié, d'horreur et de désir. Alors que tout le monde riait, elle n'a pas ri. Elle a même pleuré, saisie, quand elle a vu l'homme qui rit. Lui, il est amoureux d'une jolie aveugle, depuis l'enfance, la fille du forain philosophe qui l'a recueilli, qui est un peu aussi comme sa petite sœur. Il souffre parce qu'elle ne peut le voir et voir alors qu'il n'est qu'un monstre de foire. Il souffre de penser qu'il la trompe en étant invisible. Il ne la mérite pas. (A un moment, il lui fera toucher son rire, pour qu'elle se rende bien compte du grotesque, de qui il est : l'homme qui rit, même quand il pleure.) Mais elle l'aime tendrement, tout comme il l'aime tendrement. Il va alors voir la duchesse, la première qui n'a pas ri en le voyant, lui, le monstre. Il se dit que si la duchesse n'a pas ri, c'est peut-être qu'elle a vu son âme et que donc il n'est pas seulement un monstre, que son apparence n'est pas tout. Alors seulement il pourra épouser sa jolie aveugle, car une autre femme, voyante celle-là et qui plus est d'une grande beauté, ne l'aura pas considéré comme un monstre. La duchesse va lui arracher son cache-bouche, comme on arrache un cache-sexe. Parce qu'elle veut voir son rire. Parce que c'est son rire, qui l'excite. Parce que ça l'excite. Elle veut en jouir. Elle va vouloir ensuite lui dévorer la bouche. Fascination pour le monstre. Olga Baclanova (Madonna en est une copie un peu fade) est d'une sensualité torride. Elle finira en poule, dans freaks. Je consulte sa filmographie hélas très mince de films presque tous introuvables, il y a souvent "sin" dans le titre. Quelle splendeur, Olga Baclanova. Elle est à la fois très gracieuse, émouvante et incroyablement lascive, je n'en vois point d'autres à cette époque autant transpirant la luxure. Dans l'homme qui rit, je ne vois qu'elle. Comment l'horreur et la pitié peuvent déclencher le désir brûlant, un genre même de furie sexuelle. On en oublie souvent l'homme qui rit, pourtant magnifique, pour ne voir que la femme lascive, bien plus fascinante. Elle pleure, quand elle se retrouve seule avec son petit singe... Elle veut aussi s'emparer de sa fortune, car elle est très vénale, mais c'est une autre histoire, même si c'est la même histoire. On pourrait croire alors qu'elle fait semblant, pour duper celui qu'elle veut plumer, mais elle le désire vraiment, frénétiquement. Car le monstre l'excite tellement... Cette bouche, elle la veut... Ça l'émeut à un point... qu'elle en pleure... et qu'elle en mouille, à un point... Ça l'émeut de partout... Jamais elle n'avait désiré à un tel paroxysme... Et lui, ça l'effraie, soudain, l'expression d'un tel désir, la proximité tellement brûlante, violente, du sexe, lui qui en plus est certainement puceau, idéaliste, en même temps il comprend que c'est le monstre qu'elle veut, la sensation inédite, un genre d'absolu pathétique et sulfureux, malsain... Dans l'homme qui rit, de Paul Leni, on retrouve aussi fugacement l'inquiétant homme sans menton qui faisait le livreur de lait dans le chat et le canari. Joe Murphy, il s'appelle. Étrange bonhomme, qui a surtout joué dans des films courts du temps du muet, quelques longs métrages aussi dans lesquels il ne figure même pas au générique. L'homme des rôles minuscules. Le figurant, le passant, l'anonyme, même si désormais il ne l'est plus pour moi, sur lequel on s'attarde un peu plus que sur les autres, parce qu'il fait sensation. Fascination pour le monstre... En le croisant, on se dit qu'on l'a déjà vu quelque part, cet homme sans menton, et qu'on ne l'oubliera pas. Pourtant, on finit par l'oublier, lui qui est pourtant quelque part immortel, avant qu'il ne réapparaisse, comme sortant des brumes de notre inconscient... C'est comme cette dame, que je croise parfois dans la rue, qui a un pied-bot... Ou bien ce type, que je croisais dans mon cinéma, qui avait des bras minuscules, avec au bout des mains minuscules, m'évoquant cruellement un tyrannosaure rex... Ils ont cette façon singulière de se rappeler à ma mémoire, d'apparaître soudain, comme sortant des brumes de mon inconscient...

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