lundi 26 mars 2012

En fait, je voulais être tranquille, c'est tout. Je voulais être beau, aussi, dans ma tranquillité. Pas beau dans le sens où on m'aurait remarqué comme étant admirable, désirable ou je ne sais quoi. Beau tout simplement, sans le moindre effort ni le moindre artifice ni la moindre intention, tranquillement, pas du tout brillamment. Beau dans ma paresse. Dans l'abandon. Comme un chat. Et vieillir ainsi, les pieds chauffant à la fenêtre. Et disparaître, à un moment ou à un autre, sans faire de bruit, comme évaporé. Et personne n'aurait su à quel point j'étais beau, dans ma tranquillité. Le journal, je ne l'ai même pas lu. Les bruits du monde, au loin. Toutes ces voix qui se mélangent. Et toutes qui veulent parler plus fort que les autres pour émerger de ce brouhaha permanent. C'était un accessoire, le journal. Je le pliais dans un sens, puis dans un autre. C'était plutôt le bruit du papier, qui m'intéressait, qui participait de ma tranquillité. Les phrases que j'y lisais n'étaient pas toujours les phrases qui y étaient imprimées. J'avais mis les variations Goldberg, par Glenn Gould, la dernière version. Une tarte aux pommes cuisait lentement dans le four et parfumait la cuisine. Je buvais mon thé blanc de Chine. Fumais mon tabac de Colombie. Une étudiante, en face, qui habitait sous les toits, a secoué sa couette par la fenêtre. Elle a vite disparu et refermé sa fenêtre quand elle m'a vu, quand elle a vu que je l'avais vue, quand je lui ai légèrement souri. J'étais à la fois dedans et dehors. C'était ma place, les pieds à la fenêtre. Une tourterelle postée sur une antenne télé : Rou... rou... rou... Un fin nuage s'effilochant. Qu'as-tu fait de ta vie?... Que voulais-tu que je fasse de mieux? Que je me jette dans la meute? Que je me mette moi aussi à parler fort pour qu'on m'entende?... Mais je n'ai rien à dire. Peut-être que si j'avais eu quelque chose à dire... Et puis j'ai toujours préféré chuchoter, murmurer... Murmurer... C'est un drôle de verbe, murmurer... Il faut tendre l'oreille... Parfois, il m'est arrivé de me jeter corps et âme dans l'action, vraiment... Pour me rendre compte bientôt que je n'étais pas à ma place... Ma place : les pieds à la fenêtre... La seule personne qui aurait pu me voir était l'étudiante en face qui habitait sous les toits. Mais elle a vite refermé sa fenêtre. Peut-être qu'il y avait quelque chose d'indécent, dans ma tranquillité.

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