Il y a quelques jours, j'ai dû me rendre à la mairie faire certifier conforme ma signature dans une sombre affaire de saucisson, pardon : de succession. (Le tonton Roger...) Après cette menue corvée, je comptais bien aller me réconforter amplement à une terrasse au soleil Place Carnot, regarder un peu les filles passer, flemmarder un peu avec un livre, à cet effet avais embarqué un fin ouvrage pris sans trop réfléchir traînant sur mon canapé : l'homme sans postérité. En chemin : Tiens, c'est quand même marrant, d'avoir pris ce bouquin-là... Alors, sur la table, devant la secrétaire de mairie, pendant les formalités, je l'ai posé... Je trouvais ça tellement approprié... En sortant de la mairie, content de n'y être pas resté plus de cinq minutes, avec ma grosse enveloppe et mon bouquin, j'ai croisé un type qui y entrait et nous nous sommes salués. Ça roule?... il m'a lancé. (Drôlement!... j'ai répondu.) L'ancien directeur de mon premier cinéma, viré depuis et au chômage pour avoir traité devant la presse locale son patron de voyou, de scélérat, et caetera... ce qui n'était pas faux... C'est lui qui m'avait conseillé le bouquin en question, il y a quelques mois, au spleen, le café en bas de chez moi, où on avait taillé la bavette. (Le seul directeur de cinéma que j'ai croisé qui connaissait et aimait vraiment le cinéma, et je peux dire que j'en ai croisé un paquet, des marchands de pop corn totalement incultes aux regards bovins, le plus pénible aussi, dans son genre parfois hystérique.) J'ai trouvé ça décidément marrant, et approprié. Bref, je me suis retrouvé bientôt au soleil, comme je l'avais planifié, tranquille, j'ai levé ma tasse de café dégueulasse en l'honneur du tonton Roger... Je l'aimais bien, le tonton Roger, le dernier personnage majeur de mon enfance qui disparaît... Merci, Roger, pour le 1/10ème... Tu n'étais pas bien riche... Mais quand même, t'en avais mis de côté pas mal, j'aurais pas cru... C'est ça, souvent, les gens modestes... La peur d'être dans le besoin un jour, le bas de laine, au cas où... Moi je suis pareil... Lui en plus il avait connu la guerre, celle de 40, le rationnement, à 9 dans un deux pièces... Il était mineur, le tonton Roger, de fond même, c'était le grand copain de mon grand-père, du pépé qui était son voisin de palier ça circulait librement d'une turne l'autre c'est même comme ça que mes parents se sont connus, il le faisait parfois tourner en bourrique le pépé, il aimait bien lui faire des blagues, au fond comme en surface... Le pépé lui plutôt genre naïf... jamais rancunier... il rigolait y compris de lui-même, avec le Roger... Mon Roger, il disait... Des bons copains... Quand j'étais tout gamin, le tonton Roger me glissait une pièce et m'envoyait à l'épicerie acheter du passe-toi-z'en... J'y allais... Puis je revenais, lui rendais sa pièce : Y'en a plus, tonton... T'es sûr? Tu t'es pas trompé de nom? qu'il me demandait avec son accent stéphanois authentique et son fin sourire goguenard... Moi j'étais bien naïf, un peu comme le pépé, les chats font pas des chiens... Parfois même, j'y retournais... A l'épicier : Si si monsieur, c'est une poudre, dans un sachet... La fois d'après : Et en pommade, vous l'auriez pas?... Sacré tonton Roger... Il finissait par me laisser la pièce... J'en ai eu un peu la larme à l'œil, quand j'y ai repensé... Je me suis souvenu aussi de la dernière fois où je l'avais vu. Il était bien mal en point. Je m'étais dit en partant que c'était la dernière fois que je le voyais, le tonton Roger et je m'étais longtemps attardé sur le palier, la main sur son épaule, on avait parlé de nos bêtes, je venais de perdre Mouchette et lui sa chienne était toute mal fichue, on disait qu'on s'attachait, que ça faisait de la peine, quand elles mouraient, nos bêtes, mais que c'était la vie... Peut-être la conversation la plus intime, la plus émouvante qu'on ait jamais eue lui et moi, nos bêtes... Ma main sur son épaule toute décharnée, lui qui autrefois était si costaud, sacré gaillard, il n'était plus qu'os et peau... Il m'a regardé m'en aller... Je me suis retourné plein de fois pour lui faire signe de la main et je crois qu'on savait tous les deux que c'était la dernière fois qu'on se voyait... Puis j'ai fini, au soleil, l'homme sans postérité. [Même s'il a laissé après lui d'autres traces, celles-ci s'effaceront comme s'efface tout ce qui est terrestre, et quand enfin tout aura disparu dans l'océan des jours, les choses les plus grandes, les plus grandes allégresses, lui disparaîtra d'abord parce que tout en lui sombre déjà tandis qu'il respire, tandis qu'en lui persiste la vie.]
samedi 31 mars 2012
Alors, vous ne le savez peut-être pas, mais je vous observe. (Ma lectrice, elle, le sait depuis longtemps. J'en profite pour la saluer. Bonjour alors, ou plutôt bonsoir, lectrice. J'espère que vous allez bien et que je ne vous ai pas trop saoulée, la dernière fois, avec mes trucs. Oui... oui... le hammam, vous devriez... Tout par le siphon, vous verrez!... Chuis quand même un peu con, quand je m'y mets...) Oui, alors, je vous observe, qui que vous soyez. Ça m'intrigue. Ça m'intrigue même beaucoup. (Ma lectrice le sait bien, car on en discute parfois. Elle s'y connait bien, en statistiques, bien mieux que moi...) Avant, il n'y a pas si longtemps, personne ou presque ne venait. J'étais tranquille. Je me foutais de tout. Je croyais être tout seul. Je ne me rasais pas tous les matins, loin de là. (Maintenant non plus.) Parfois même je ne me lavais pas de la semaine, voire du mois. C'est ça, la vie sauvage, on s'en fout, au bout d'un moment, on n'a à plaire à personne, même pas à soi. On se gratte un peu au début, parce qu'on n'est pas habitué, on a encore la peau délicate. Puis après, n'est-ce pas... Donc, il ne passait pas grand monde, par ici, je disais. J'étais bien. Incognito il me semblait. Je venais poser ma petite crotte, de temps en temps, sans trop m'appliquer, un besoin, allez hop! je ne vais quand même pas faire des manières, tout seul dans mon coin, je me disais... Puis, un jour, j'ai découvert l'existence des statistiques. Ça a coïncidé avec l'apparition de ma lectrice. Depuis, je suis obsédé par mes statistiques. Ça monte... ça monte... ça n'arrête plus de monter... Pas énormément non plus, mais il faut voir qu'il n'y a pas si longtemps c'était désert, vraiment... J'ai même fini par localiser au moins six visiteurs... Des habitués quoi, des qui reviennent et même parfois plusieurs fois par jour, voir s'il n'y aurait pas du nouveau, par hasard... Au début, ça m'a fait très bizarre... Comment pouvait-on revenir si fréquemment ici, alors qu'il n'y avait rien?... Alors, parmi les six, j'en connais au moins une, ma lectrice forcément, et puis peut-être aussi cette personne, à Toulouse, que j'en profite aussi pour saluer : salut, gars!... (Si c'est toi, évidemment...) Et puis peut-être aussi ma sœur?... Il en reste au moins trois... Alors, j'observe tout ce monde, je sais dans quelle ville ils sont, quels jours en général ils passent, plutôt le matin, l'après-midi ou le soir, je sais quel type d'ordinateur ils ont, par quels mots clés ils sont arrivés jusqu'ici, la définition de leur écran, leur fournisseur d'accès, quelles pages ils visitent et combien de temps ils y restent, je sais même comment ils sont habillés, la couleur de leurs yeux, s'ils sont laids comme des poux ou gracieux faut voir comme car je les observe par l'œil de leur webcam... si si... sauf ceux qu'ont bouché l'trou... malins... J'ai même un abonné depuis ce mois!... J'en revenais pas quand j'ai vu ça... Je pensais avoir interdit l'opération... Je ne suis pas un communicant moi, pas un type à réseaux, pas du tout liant sur la toile... Alors, un abonné, putain... je vais voir qui c'est... Un Frenchie expatrié aux States, rockeur, écrivain, pas un abonné de merde je me dis, abonné en plus qu'à des trucs bien classieux, littéraires, artistiques et tout... Hi! man!... Je suis même allé voir sur son site... mais je ne me suis pas abonné... car je ne m'abonne pas, moi, c'est comme ça, et puis je ne vote pas non plus... Oui oui... Pas mal... Sympa, le type... Y chante bien... Bonnes références et tout... S'la joue pas trop... Pas de la merde quoi même si le rock globalement ça me fait un peu chier... Si ça continue moi je vais m'inscrire sur facebook... Je pourrai lever mon pouce : "j'aime!".... J'aurai plein d'amis vachement cool, tous le pouce levé, sourire béat : "j'aime!"... Alors, je vous observe, comme je disais... Ça a dû changer ma façon d'être ici... Je me sens observé... donc j'observe... Pas grand monde, mais quand même, au moins six qui reviennent... C'est une foule, pour moi, six... Je les imagine, entassés dans mon petit chez-moi... on a du mal à respirer... il y a comme une oppressante promiscuité... Alors, le soir, je vais voir mes statistiques... les six, s'ils sont passés... (Il y en a même eu sept, à une époque, et même huit et même peut-être neuf, pour vous dire, je ne parle pas des occasionnels, je parle de ceux qui sont accros...) Parfois je fais un peu le con, pour voir... Il faudra bien que ça cesse, un jour, ces conneries... J'étais quand même mieux, avant les statistiques... Le fait de se sentir observé, on n'est plus le même... On se met alors soi-même à observer ceux qui vous observent.. On se met aussi alors à soigner plus la virgule, autrement dit à se couper les poils du nez, collé au miroir avec cet air idiot, pas un qui dépasse, pareil pour les oreilles mais à la pince à épiler pour les oreilles, poil après poil, bien plus difficile, les oreilles, et douloureux, alors que le nez, quand même, c'est fastoche à côté, allez choper juste un poil tout fin sur le lobe de l'oreille, à l'envers dans le miroir, vous croyez aller dans un sens mais vous allez dans l'autre, il faut alors se mettre à penser à l'envers, dire à la main d'aller à droite pour aller à gauche, d'avancer pour reculer, après vous faites tout à l'envers même dans la rue, n'importe où, n'importe quand, n'importe quoi, à cause d'un poil d'oreille et quand vous l'avez enfin coincé, le poil, vous ratez l'extraction et poussez un juron, putain de merde, il est encore là, ce con, en plus il a frisé en glissant entre les mâchoires pas assez fermes de la pince parce que vous étiez un peu fébrile lors de l'opération, la peur de l'échec, sera encore plus dur à coincer, le vicieux, allez coincer une spirale... Chuis pas trop moche?... Mais parfois j'ai envie d'être moche, aussi, de vous roter à la gueule, parfaitement, ou de lâcher un gros et mauvais vent... Vulgaire?... Ben ouais... Barrez-vous si vous êtes pas contents... J'vous emmerde... (Ma lectrice, elle n'aime pas, quand je dis ça...) J'étais bien mieux tout seul de toutes façons... Pas du genre moi bien parfumé et bien peigné à faire des délicats mots d'esprit... même si parfois je suis tenté et que ça doit peut-être même m'échapper, comme un pet de vieux... C'est une question de classe, je crois, que je n'ai pas, et n'aurai jamais, et ne voudrais pour rien au monde avoir, car je crois qu'alors je me dégoûterais pour de bon... En même temps, j'ai l'air un peu comme ça rugueux, parfois, mais ça n'a rien de très sérieux...
mercredi 28 mars 2012
Elle avait de beaux yeux, Norma Shearer. Parfois, elle en faisait un peu des tonnes, avec ses yeux, mais c'est aussi ce qui était bien. Elle a continué quelques années au début du parlant à faire ce qu'elle faisait à l'époque du muet, avec ses yeux. Parce que les yeux parlaient. Alors on éclairait les yeux. On regardait ses yeux. Et puis ses seins, aussi, on regardait ses seins, qui tressautaient librement sous l'étoffe soyeuse de ses robes légères du début des années 30, avant le code Hays... Mais les yeux, oui, ils étaient sacrément beaux, cette dissymétrie... Norma Shearer, on ne voyait que les yeux... Elle avait une belle ligne aussi, le maintien aristocratique, et puis les seins aussi, qu'on sentait libres sous l'étoffe... mais les yeux... Le cinéma s'était mis à parler et elle continuait à faire parler ses yeux comme avant... Et puis elle riait aussi... On aurait préféré qu'elle se taise, même si son rire n'était pas déplaisant, car il y avait quelque chose qui ne collait pas, dans son rire et même dans sa voix... Ça nous distrayait de l'essentiel, de ses yeux... Là, dans a free soul, Clarence Brown a l'intelligence de lui masquer la bouche pendant qu'elle parle, parce que le miroir de l'âme, c'est les yeux, pas la bouche, c'est dans les yeux qu'il faut aller... Il faut dire qu'il savait y faire, Clarence, lui qui avait si bien filmé Greta Garbo... Ce besoin de parler, soudain, et même cette obligation, c'est bien triste quand même... Pour dire quoi?... Tout ce bavardage, alors que les yeux suffisaient amplement, et les seins... Du coup, ses regards, à la Norma, avec le parlant, se sont mis parfois à sonner un peu faux, comme si elle surjouait... Alors qu'elle jouait exactement comme avant, qu'elle parlait avec ses yeux... Et là, lui masquer la bouche pendant qu'elle parle, c'est redonner du pouvoir à ses yeux, c'est ressusciter le temps d'un plan le cinéma muet et même le cinéma tout court... De quoi être sacrément nostalgique... Là, tout redevient juste...
lundi 26 mars 2012
En fait, je voulais être tranquille, c'est tout. Je voulais être beau, aussi, dans ma tranquillité. Pas beau dans le sens où on m'aurait remarqué comme étant admirable, désirable ou je ne sais quoi. Beau tout simplement, sans le moindre effort ni le moindre artifice ni la moindre intention, tranquillement, pas du tout brillamment. Beau dans ma paresse. Dans l'abandon. Comme un chat. Et vieillir ainsi, les pieds chauffant à la fenêtre. Et disparaître, à un moment ou à un autre, sans faire de bruit, comme évaporé. Et personne n'aurait su à quel point j'étais beau, dans ma tranquillité. Le journal, je ne l'ai même pas lu. Les bruits du monde, au loin. Toutes ces voix qui se mélangent. Et toutes qui veulent parler plus fort que les autres pour émerger de ce brouhaha permanent. C'était un accessoire, le journal. Je le pliais dans un sens, puis dans un autre. C'était plutôt le bruit du papier, qui m'intéressait, qui participait de ma tranquillité. Les phrases que j'y lisais n'étaient pas toujours les phrases qui y étaient imprimées. J'avais mis les variations Goldberg, par Glenn Gould, la dernière version. Une tarte aux pommes cuisait lentement dans le four et parfumait la cuisine. Je buvais mon thé blanc de Chine. Fumais mon tabac de Colombie. Une étudiante, en face, qui habitait sous les toits, a secoué sa couette par la fenêtre. Elle a vite disparu et refermé sa fenêtre quand elle m'a vu, quand elle a vu que je l'avais vue, quand je lui ai légèrement souri. J'étais à la fois dedans et dehors. C'était ma place, les pieds à la fenêtre. Une tourterelle postée sur une antenne télé : Rou... rou... rou... Un fin nuage s'effilochant. Qu'as-tu fait de ta vie?... Que voulais-tu que je fasse de mieux? Que je me jette dans la meute? Que je me mette moi aussi à parler fort pour qu'on m'entende?... Mais je n'ai rien à dire. Peut-être que si j'avais eu quelque chose à dire... Et puis j'ai toujours préféré chuchoter, murmurer... Murmurer... C'est un drôle de verbe, murmurer... Il faut tendre l'oreille... Parfois, il m'est arrivé de me jeter corps et âme dans l'action, vraiment... Pour me rendre compte bientôt que je n'étais pas à ma place... Ma place : les pieds à la fenêtre... La seule personne qui aurait pu me voir était l'étudiante en face qui habitait sous les toits. Mais elle a vite refermé sa fenêtre. Peut-être qu'il y avait quelque chose d'indécent, dans ma tranquillité.
vendredi 23 mars 2012
Sais plus où j'étais. Resté coincé comme dans un fondu au noir. Longtemps. Une éternité même. Pas bougé tout ce temps. Me souviens plus de l'histoire. Plus de rien. Mais je n'étais pas si mal, je crois. Je n'étais pas non plus si bien, mais je n'étais pas si mal. Je m'étais comme assoupi au dedans de moi-même, si ça se peut. Un peu inquiet, au début : Tiens, il n'y a plus rien... Parce que c'était en plein milieu de l'histoire, je ne me souviens plus de l'histoire, alors à un moment j'ai ressenti une inquiétude, car ça tardait à revenir et j'ai compris un peu plus tard que ça ne reviendrait pas. Une frustration alors, forcément, j'aurais aimé connaître la suite. Sauf que c'était fini. Comme ça, sans prévenir, sans dénouement, sans conclusion édifiante, sans porte ouverte sur autre chose, sans nouvelle aube en perspective. Peu importait l'histoire, du coup, ça aurait pu être n'importe quelle histoire : Et c'est alors que... Ainsi la frustration s'en est allée. En cessant d'attendre, d'espérer un retour, car même quand j'ai su que ça ne reviendrait pas j'ai continué un certain temps d'attendre, d'espérer un retour, en cessant d'attendre et d'espérer la frustration s'en est allée. Il y en a tant, des histoires. Quelle importance, que ce soit celle-ci plutôt que celle-là... Puis : Que je sois moi plutôt qu'un autre... Alors, j'ai oublié. J'ai même oublié que l'histoire s'était interrompue en plein milieu peut-être même d'une phrase, si toutefois histoire il y avait, car là aussi on peut se faire toutes sortes d'histoires quand il n'y a pas forcément matière, même si quand on y pense il y a toujours matière, même misérable, au moins à histoires minuscules, potentiellement donc majuscules si on s'en donne un peu la peine, ou si on a envie, car tout n'est pas non plus question de peine. On veut être quelqu'un. Ou plutôt : On veut avoir été quelqu'un. Dans sa propre fiction. Et pourquoi pas aussi dans d'autres tant qu'on y est : On appelle ça exister. Sauf que tout ça n'avait plus aucune importance. J'étais comme assoupi au dedans de moi-même. Je ne dormais pas. Je n'étais pas non plus éveillé. D'abord inquiet. Puis frustré. Puis rien. Une éternité. Puis un point lumineux, trou d'épingle au début dans nulle part. Puis comme un soleil, mais n'éclairant qu'à peine. Un décor a semblé peu à peu se préciser. Au bout d'un moment : Peut-être bien la lune? Je me suis cru d'abord dans une ruelle étroite et sombre avec au bout la mer. Il y avait des portes, des deux côtés. Les pousser? Laquelle choisir d'abord? Mais ça ne sentait pas la mer et il n'y avait pas d'air et pas non plus le bruit des vagues ni aucun bruit d'ailleurs à part peut-être un lointain tic... tic... tic... comme d'une minuterie et j'ai su alors que ça ne durerait pas et en même temps je m'en fichais un peu, même si au début l'idée m'avait semblé plaisante, car ce n'était pas si excitant que ça un bord de mer sans air, ni odeurs, ni bruit des vagues, ni personne, ni rien.
mercredi 14 mars 2012
Venise était assiégée par les cygnes. (Quelques mots pleins de trous griffonnés au milieu de la nuit sur le carnet posé sur la chaise en paille près de mon lit.) Une mer blanche de cygnes et le peuple s'inquiétait. La reine, pleine de sagesse, écoutait ses conseillers. La rumeur principale : les cygnes étaient des extraterrestres venus nous envahir. Allait-on devoir leur faire la guerre? On n'avait encore jamais fait la guerre à des cygnes. On ne savait pas trop comment s'y prendre. Il y en avait peut-être des millions. Ils étaient là, ne bougeaient pas, flottaient silencieusement autour de l'île coupée du monde. Des envahisseurs extraterrestres alors, peut-être, qui avaient pris cette forme comme Zeus en d'autres temps. Même si on ne savait pas vraiment. On attendait un émissaire car peut-être qu'ils parlaient, eux qui avaient su prendre l'apparence du cygne et qu'alors ils nous diraient pourquoi ils étaient là, silencieux, en si grand nombre. Mais aucun émissaire ne se montra. Un peu plus tard on apprit qu'ils étaient là pour escorter un mort. Alors, la reine se retrouva dans une grande barque, en pleine mer, escortée par les cygnes et moi aussi j'étais dans la barque, cheveux au vent, ne savais pas si j'étais témoin seulement ou si le mort c'était moi... Ça me rappelle qu'une autre fois, j'ai été escorté par des cygnes. Sauf que c'était une escorte sous-marine ou plutôt sous-lacustre. A l'aube, tout habillé et égratigné de partout, je nageais sous les quilles des bateaux, escorté par des cygnes qui autour de moi faisaient des arabesques, émettaient parfois des éclats blafards dans l'eau trouble et verte, agiles comme des poissons, longs cous ondulant, me frôlant de leurs ailes nageoires et j'en avais des frissons. Puis j'étais sorti de l'eau, façon étrange créature du lagon noir...
mardi 13 mars 2012
Levant le nez de mon brand's haide : Quand même, il exagère... avec un petit ricanement — uh uh uh — intérieur... Le salaud, il m'a tout pris... me malaxant le lobe de l'oreille droite... Un cas de plagiat à rebours... Oui oui, tout, le scélérat, sans même me laisser le temps d'en placer une. J'étais autrefois sur le point de me lancer, quand... Je vois alors, à bâbord, se profiler la petite vieille qui démégote le trottoir. Elle est courbée, son regard perçant d'échassier scannant le bitume, grommelant, lèvres minces et sèches comme un coup de crayon, ses pattes d'échassier également. Alors je la regarde arriver. Lentement. Du pied droit elle expédie chaque mégot haineusement dans le caniveau. J'allume une cigarette, ingurgite le fond de mon café infect et froid en grimaçant, puis : Ah... le soleil... en fermant les yeux et m'étirant les bras... Une fille saoule à côté n'a pu retenir sa tête qui a cogné lourdement la table et ça m'a fait sursauter... Plus de peur que de mal, heureusement, ça a semblé la tirer de sa torpeur, elle s'est frotté un peu le front rougi avec un sourire gêné idiot de tous côtés... J'ai fait celui qui n'avait pas vu, pas entendu... Pas la gêner plus... (Plus tard, elle s'est endormie...) Ah!... elle en a oublié un!... mais qui était un peu en retrait... revenant à ma petite vieille démégoteuse... Ah!... Pfffff... Ah!... Chhhh... Qu'elle fait, en passant, genre de locomotive à vapeur au ralenti... shootant dans les mégots... Un sport, je me dis... Ça la maintient... Tout du pied droit... Et elle a disparu. Je la vois souvent. C'est son quartier, son trottoir et elle abomine les mégots. Des années que je la vois, courbée, sifflant entre ses lèvres serrées des horreurs pas même articulées et le bruit de son soulier... Tac... Tac... Fffff... Tac... Ffff... Ils ne mettent pas de cendriers sur les tables, à cette terrasse... Il y a de quoi faire... Elle ne lève jamais le nez... Plus tard, je la vois qui revient, à tribord, avec son pain... Cette fois, tout du pied gauche... C'est bien, elle muscle les deux côtés... Je me souviens alors du mégot que j'ai pichenetté devant moi sur le trottoir... J'ai presque honte, soudain, pas loin d'aller ramasser l'infâme subrepticement et l'enfouir dans ma poche comme on faisait à l'armée... (Ma poche puait le tabac froid...) Mais bien trop engourdi dans ma flemme solaire pour agir... Ce n'est qu'un mégot, une roulée c'est plus discret, si ça se trouve elle ne le verra même pas... Tac... Tac... Fffff... le mégot s'envole superbement et va percuter une jante de voiture avant de mourir dans le caniveau... Elle est forte des deux pieds... Je la regarde qui s'éloigne en maugréant... M'étire une fois encore en me frottant les bras et en bâillant... (Entre temps, le soleil s'était empêtré dans les branchages encore nus...)
dimanche 11 mars 2012
Elle est fascinée par l'homme qui rit. Mélange de pitié, d'horreur et de désir. Alors que tout le monde riait, elle n'a pas ri. Elle a même pleuré, saisie, quand elle a vu l'homme qui rit. Lui, il est amoureux d'une jolie aveugle, depuis l'enfance, la fille du forain philosophe qui l'a recueilli, qui est un peu aussi comme sa petite sœur. Il souffre parce qu'elle ne peut le voir et voir alors qu'il n'est qu'un monstre de foire. Il souffre de penser qu'il la trompe en étant invisible. Il ne la mérite pas. (A un moment, il lui fera toucher son rire, pour qu'elle se rende bien compte du grotesque, de qui il est : l'homme qui rit, même quand il pleure.) Mais elle l'aime tendrement, tout comme il l'aime tendrement. Il va alors voir la duchesse, la première qui n'a pas ri en le voyant, lui, le monstre. Il se dit que si la duchesse n'a pas ri, c'est peut-être qu'elle a vu son âme et que donc il n'est pas seulement un monstre, que son apparence n'est pas tout. Alors seulement il pourra épouser sa jolie aveugle, car une autre femme, voyante celle-là et qui plus est d'une grande beauté, ne l'aura pas considéré comme un monstre. La duchesse va lui arracher son cache-bouche, comme on arrache un cache-sexe. Parce qu'elle veut voir son rire. Parce que c'est son rire, qui l'excite. Parce que ça l'excite. Elle veut en jouir. Elle va vouloir ensuite lui dévorer la bouche. Fascination pour le monstre. Olga Baclanova (Madonna en est une copie un peu fade) est d'une sensualité torride. Elle finira en poule, dans freaks. Je consulte sa filmographie hélas très mince de films presque tous introuvables, il y a souvent "sin" dans le titre. Quelle splendeur, Olga Baclanova. Elle est à la fois très gracieuse, émouvante et incroyablement lascive, je n'en vois point d'autres à cette époque autant transpirant la luxure. Dans l'homme qui rit, je ne vois qu'elle. Comment l'horreur et la pitié peuvent déclencher le désir brûlant, un genre même de furie sexuelle. On en oublie souvent l'homme qui rit, pourtant magnifique, pour ne voir que la femme lascive, bien plus fascinante. Elle pleure, quand elle se retrouve seule avec son petit singe... Elle veut aussi s'emparer de sa fortune, car elle est très vénale, mais c'est une autre histoire, même si c'est la même histoire. On pourrait croire alors qu'elle fait semblant, pour duper celui qu'elle veut plumer, mais elle le désire vraiment, frénétiquement. Car le monstre l'excite tellement... Cette bouche, elle la veut... Ça l'émeut à un point... qu'elle en pleure... et qu'elle en mouille, à un point... Ça l'émeut de partout... Jamais elle n'avait désiré à un tel paroxysme... Et lui, ça l'effraie, soudain, l'expression d'un tel désir, la proximité tellement brûlante, violente, du sexe, lui qui en plus est certainement puceau, idéaliste, en même temps il comprend que c'est le monstre qu'elle veut, la sensation inédite, un genre d'absolu pathétique et sulfureux, malsain... Dans l'homme qui rit, de Paul Leni, on retrouve aussi fugacement l'inquiétant homme sans menton qui faisait le livreur de lait dans le chat et le canari. Joe Murphy, il s'appelle. Étrange bonhomme, qui a surtout joué dans des films courts du temps du muet, quelques longs métrages aussi dans lesquels il ne figure même pas au générique. L'homme des rôles minuscules. Le figurant, le passant, l'anonyme, même si désormais il ne l'est plus pour moi, sur lequel on s'attarde un peu plus que sur les autres, parce qu'il fait sensation. Fascination pour le monstre... En le croisant, on se dit qu'on l'a déjà vu quelque part, cet homme sans menton, et qu'on ne l'oubliera pas. Pourtant, on finit par l'oublier, lui qui est pourtant quelque part immortel, avant qu'il ne réapparaisse, comme sortant des brumes de notre inconscient... C'est comme cette dame, que je croise parfois dans la rue, qui a un pied-bot... Ou bien ce type, que je croisais dans mon cinéma, qui avait des bras minuscules, avec au bout des mains minuscules, m'évoquant cruellement un tyrannosaure rex... Ils ont cette façon singulière de se rappeler à ma mémoire, d'apparaître soudain, comme sortant des brumes de mon inconscient...
mercredi 7 mars 2012
The lady vanishes. Peut-être que ce n'est qu'un rêve. Dans un train. Ou alors même le train fait partie du rêve, le train est même le rêve et on est dans le rêve. Elle ferme les yeux. Quand elle les rouvre, tout a changé : Miss Froy a disparu. On veut maintenant lui faire croire qu'elle n'était que dans sa tête. Une hallucination. (Souvent, dans les rêves, je ferme les yeux, et alors je me réveille. C'est d'ailleurs un truc, pour moi, pour m'enfuir de rêves désagréables. Quand je sens que ça dégénère, je ferme les yeux très fort. Ou alors je passe à un autre rêve, si je les ferme moins fort, comme on change de diapo. Fermer les yeux revient à ouvrir les yeux.) Une nonne en talons hauts. C'est le genre de détail qui peut marquer, dans certains rêves, provoquer un rebondissement. Ça attire l'attention, soudain, ça focalise même toute l'attention et on glisse alors dans une autre réalité. Dans ce cas, association de contraires : la sainte et la putain. Ça donne le ton. Puis l'illusionniste italien, dont le spectacle s'intitule une femme disparaît... Peut-être que ce n'est qu'un rêve, me dis-je, un rêve de fille à la croisée des chemins, voyant Miss Froy s'enfuir par la fenêtre du train et s'égailler dans la nature hostile. On imagine que cette vieille dame gentille et peu sportive va rejoindre la frontière nazie toute barbelée on suppose avec des gardes armés jusqu'aux dents qui l'attendent fermement avec ordre de tirer à vue. Elle va tranquillement traverser, avec son petit chapeau, en faisant un grand sourire, tiendra peut-être même dans sa main un petit bouquet de fleurs des champs qu'elle aura cueillies en chemin. Puis, comme par enchantement, elle se retrouve en Angleterre à jouer du piano. Une rengaine, le genre d'air entêtant qu'on sifflote, qu'on oublie et qui revient, un genre de sérénade autrefois donnée sous la fenêtre, où le guitariste a fini étranglé. Est-ce un hasard si le d'abord détesté bientôt amoureux de la belle endormie est lui-même musicien? Et si c'était codé? Et si tout était codé? Il faut déjà connaître la musique... Elle, elle ne la connaît pas, la musique. Elle est dans le train. Elle rêve. Dans son rêve, elle va réaliser qu'elle est amoureuse, c'est tout, d'un type qu'elle tenait pour le dernier des goujats. Miss Froy, en fait, c'est Lui. La femme qui disparaît, c'est l'homme qui apparaît. C'est un transfert. Parce qu'elle a peur de son désir, elle transforme le jeune homme insolent en son antithèse : la vieille dame gentille, vraiment inoffensive, adorable, ignorant que, comme dans le conte, le loup se cache dans la grand-mère, comme la putain se cachait dans la sainte et aussi la sainte dans la putain. A la fin, Miss Froy leur tend, extatique, une main à chacun. C'est le trait d'union. On ne voit pas les mains se toucher mais on peut imaginer qu'alors Miss Froy va disparaître, cette fois pour de bon, au contact, et que les sens vont enfin s'embraser. Car elle n'est plus seulement Lui, mais Elle et Lui. On sent l'urgence, la pulsion, soudain, quand tout était si feutré, ce n'est plus la même Miss Froy, il y a un genre de lueur folle dans ses yeux, un si débordant enthousiasme, une flamme. Fusion annoncée. Explosion imminente. C'est souvent à ce moment-là, à un cheveu de la révélation, du contact, qu'on se réveille. The end... Si le film continuait, elle se réveillerait alors, la belle au train dormant, dans le train évidemment, avec un grand sourire bienheureux en même temps que bientôt une légère frustration. Tout s'étiolerait bien vite. Elle aurait quand même à un moment un genre d'impulsion, étincelle fugace de pur désir, aller retrouver le type insolent qui voyage en 3ème classe, avec sa clarinette insupportable... Puis, la réalité continuant de progresser telle la nappe de pétrole vers la plage immaculée avec pour seule mission de tout recouvrir... elle se souviendrait qu'elle va bientôt se marier, avec un très bon parti qui plus est... Elle aurait peut-être même bientôt un petit rire cruel en pensant au musicien qu'elle méprise, et peut-être aussi qu'elle déteste la musique, n'y entendant que du bruit lui donnant des migraines... Peut-être même que c'est elle, en pensées, qui a étranglé le guitariste, qui lui tapait sur les nerfs, parce qu'il lui rappelait, par sa sérénade, qu'elle allait épouser un homme qu'elle n'aimait pas... La musique dit des choses que la raison ignore et même parfois veut ignorer... Pas ce type, quand même... En même temps, elle serait troublée, se sentirait aussi quelque part un peu laide en riant de la sorte... Mais la raison l'emporterait... Et elle passerait le restant de sa vie à faire semblant de vivre, à s'emmerder terriblement sous son masque de femme épanouie qui finirait par craqueler... Parfois, elle se mettrait à chantonner vaguement un air, ne sachant plus trop d'où il vient, qui la rendrait d'abord heureuse, puis infiniment mélancolique...
samedi 3 mars 2012
Toujours empli de l'absence de Pearl White, mais équipé de mon brand's haide, j'ai caboté mollement jusqu'à la Place Carnot. Au moins en tant que plante y soigner un peu ma carence en vitamine D d'oiseau urbain de nuit. Un monde... dès qu'il fait beau, ils sortent tous de leurs terriers... Au pire, j'irai dans l'herbe... Gare aux crottes de chiens... Mais une place sur le trottoir plein soleil était libre... On aurait dit qu'elle m'attendait... Tout ce monde... et tous à chercher une table, glapir qu'il n'y en a plus... Ils ne la voyaient pas, celle-là, la mienne... Peut-être un trou dans l'espace-temps... Je m'y dirige, donc, sans crainte ni précipitation, m'y installe, remonte les manches de ma chemise jusqu'au milieu du biceps, plus la surface de peau est grande mieux c'est pour bien capter la D, presque envie de me mettre tout nu... C'est pour le cancer, la D, ça fortifie les cellules, plus vaillantes alors à reconvertir celles qui ont été séduites par le côté sombre de la Force... A la fois, n'en faut pas trop, sinon Mélanome s'invite, tout noir et puant dans son vêtement miteux resté trop longtemps au grenier... Toc toc... Faut ce qu'il faut, modérément... Gaston passe devant et s'arrête : on s'en sert cinq : Prenez le soleil? — Et comment!... Il a toujours sa casquette de pépé sur son crâne chauve, moustache, un peu Choron, veste d'hiver... Il repart, me rend le soleil qu'il avait éclipsé derrière sa tête de lune, deux doigts sur la visière... Deux Russes, à tribord... Qu'est-ce que ça cause les Russes et fort... Heureusement, ça cause en russe... Des costauds, mâchoires carrées, cheveux en brosse, blonds, bien slaves, comme sortis d'affiches de propagande d'URSS, habillés chic, un peu voyant à la fois... Peut-être bien des maquereaux... Parce que dans le secteur j'ai cru parfois repérer des prostituées d'Europe de l'Est, qui doivent opérer sous les voûtes de Perrache... Alors je ferme les yeux, telle la plante épanouit ses feuilles, c'est bon... Mais quand même, au bout d'un court moment : Pourraient pas la fermer ces Russes?... Sitôt pensé ils se lèvent et s'en vont... Au même moment, le soleil ardent commence à se glisser sournois derrière un panneau signalant que la place est réservée aux handicapés... Voilà peut-être pourquoi... Le café est dégueulasse mais l'eau du robinet se laisse boire... J'ouvre enfin mon brand's haide... Sur la terrasse en face j'ai cru reconnaître une jeune femme mais l'ai laissée, indifférent, se noyer dans ma myopie... Une plante, pas un lapin... [21.3.1946 : sur papier cul britannique. Jaune bouteille gisait la lune fêlée, j'eus un renvoi en bas dans la brume violette (plus tard encore).] Ça me ressuscite soudain Pearl White et qu'elle a disparu. Je me demande maintenant si ce n'était pas la lune, qu'elle regardait. C'était peut-être la nuit. J'avais cru que c'était le jour, dans un jardin j'imaginais, mais me trompais peut-être. Et puis, elle buvait, Pearl White. Peut-être qu'aussi elle a eu un renvoi, dans la brume violette, après avoir contemplé la lune fêlée jaune bouteille qui gisait... Ça me serre le cœur soudain, à moins que ce soit le café... Elle a disparu... The lady vanishes... Je me retrouve alors dans un train... Elle disparaît... J'en ai presque un peu les larmes aux yeux, parce que Pearl White a disparu, dans le train... Était-ce la lune qu'elle contemplait ainsi songeuse? Ou un oiseau bleu et jaune dont les trilles éclaboussaient les Grands Feuillages?... La question m'habitera longtemps... [Ça s'appelle comment : un divan sans appuie-tête ni ressorts et qui n'a plus de tissus?] C'est alors que deux Russes sont venus s'asseoir à la table à côté. Deux autres Russes. Pareils à la fois. Des Russes de propagande. Qu'est-ce que ça cause, les Russes, et fort. C'est donc la table des Russes, qui vont toujours par deux. Je referme mon brand's haide. Le soleil commence à rejaillir de derrière le panneau : un genre d'aube latérale et blanche : Pearl White... Avant de mettre les voiles allume une cigarette pour voir où va le vent. Étirement des bras, doigts écartés, poings fermés pouces dedans. Coup d'œil sur ma montre : batteries rechargées. Grattement subtil de tête d'un doigt comme pour stimuler l'aire de cervelle dessous. Que de questions, en ce moment... Un divan sans appuie-tête ni ressorts et qui n'a plus de tissus...