mercredi 28 janvier 2009

Je ne me lasse pas de Colonel Blimp. De tous les films du merveilleux tandem Powell Pressburger, c'est de loin mon préféré. En plus d'être un monument de virtuosité poétique d'une plastique somptueuse, une charge pétillante d'humour contre la raideur et la bêtise militaires, une très lucide analyse de l'Histoire au moment même où elle se produisait, le tableau du crépuscule d'une certaine chevalerie bien plus fin à ce propos que la grande illusion, un réquisitoire anti-nazi mais ô combien germanophile, ce qui était fort culotté en 1943 et outra quelque peu Fat Winston himself qui voulut l'interdire, une magnifique histoire de vraie amitié par delà les nations ennemies, c'est aussi et peut-être surtout un grand film d'amour plein de pudeur, de délicatesse, d'onirisme, de mélancolique légèreté. A la fin, le général à la retraite "Sugar" Candy, regardant une feuille morte flottant dans un réservoir d'eau, répond à une voix en lui-même, surgie du passé, la voix de la femme de sa vie, en présence du sosie parfait de la femme de sa vie : "Now here is the lake... and I still haven't changed...". C'est bon comme une rondelle de Shakespeare arrosée d'un doigt de Yeats... A ce moment, il ne me reste plus qu'à m'essuyer les yeux et à me moucher discrètement en regardant le générique de fin. Je n'ai toujours pas changé... Il ne s'en est jamais remis, d'avoir perdu cette femme, parce qu'elle aimait son meilleur ami, avec qui il s'était battu en duel, histoire de faire connaissance... Si lui a vieilli, son amour au moins n'a pas vieilli, a même gardé le même visage... Ça me rappelle une autre histoire de sosie, il y a bien des années, c'est pour ça aussi... A la bibliothèque, je l'ai vue, de dos, et j'en ai eu le souffle coupé, car c'était... sa nuque... Oui, exactement, sa nuque... Je me suis approché... Elle s'est retournée... Pendant au moins dix secondes, je suis resté pétrifié devant elle, les yeux dans les yeux, les poils dressés, comme un animal... Plus tard j'ai appris qu'elle habitait la même rue que moi, au 30, moi qui étais au 32... Un jour, je l'ai vue au bras d'un type... qui me ressemblait plus qu'un peu... Ça m'a un peu troublé... Une autre fois, je me suis retrouvé en face d'elle dans le métro... Evidemment, à chaque fois qu'on se croisait et on s'est croisés, à intervalles parfois très grands, sur une durée peut-être de... 7 ou 8 ans... j'ose avouer, je sentais qu'elle me reconnaissait, moi le type un peu bizarre qui était resté planté devant elle les yeux écarquillés et il y avait donc toujours une sorte de tension, entre stupeur et attirance... Elle était avec une amie, ce qui semblait lui donner plus d'assurance... Elles étaient vendeuses dans une boutique de lingerie... C'est alors que j'ai entendu sa voix et le charme est tombé, d'un coup... Mais moi non plus, je n'ai pas changé, au fond, tu sais, le lac est toujours là... "Sir?" interroge interloqué le sosie de la femme de sa vie. Alors, il a ce petit sourire, Sugar Candy... Puis c'est le générique. The End.

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