J'ai toujours trouvé étrange que le Samouraï, de Jean-Pierre Melville, et la marque du tueur, de Seijun Suzuki, soient sortis la même année, en 1967. (L'année de la mort de John Coltrane, entre parenthèses, une année bien sombre, donc, même si ça n'a aucun rapport, j'avais un an et ne le connaissais pas encore... Ça me fait penser qu'il y a quelques jours, j'ai parlé d'une photo qui a été prise en 67 et tout cela me semble de plus en plus étrange...) Quand j'ai vu le deuxième, j'ai pensé aussitôt que c'était un hommage au premier, même si les styles étaient très différents. Il y avait le motif de l'oiseau, dans les deux films, des petites choses comme ça... Une sorte de parenté... Deux grands stylistes... Une histoire de tueurs solitaires... Il y avait une évidence, pour moi, que Seijun Suzuki était un admirateur de Melville et avait cité le Samouraï, pas le contraire car les films de Suzuki n'étaient à l'époque sans doute pas distribués en France, alors qu'Alain Delon était une énorme star au Japon. J'ai donc été grandement étonné d'apprendre que les deux films étaient sortis simultanémént et y ai vu un bel exemple de synchronicité jungienne (deux évènements qui ne présentent pas de rapports de causalité, mais dont l'association prend un sens pour la personne qui les perçoit), comme si les deux cinéastes avaient été traversés, ou visités, au même moment, par la même "idée". Un petit oiseau dans une cage, en France, se retrouve pendu à un rétroviseur, au Japon.
samedi 31 janvier 2009
On est bien, dans Mifune. Quand il était sorti, je n'étais pas allé le voir, un peu las des films Dogme, même si le titre m'avait interpellé, un peu à la façon du Japón de Carlos Reygadas. Je le retrouve à 5 euro 90 chez le soldeur au coin de la rue et c'est une réelle très bonne surprise. Le seul grand défaut du film est de ne pas durer une heure de plus. On aimerait que ça continue, après, ou bien que les scènes soient plus longues, que ça décolle comme chez Cassavetes ou Rozier, même si ce n'est peut-être pas comparable, car c'est un film assez sage, découpé de façon assez classique finalement, alors qu'on s'attendait à quelque chose d'anarchique, de plus fou. Mais on est bien, en tout cas, dans ce film... non? Que demander de plus? La vie est belle, même si c'est une grosse merde qu'il faut re-bouffer tous les jours, comme dit Liva. Par exemple, j'aurais aimé que la scène où apparaît le terrible Toshiro Mifune, le 7ème samouraï ou plutôt le 7ème samovar, déborde carrément du cadre, mais ça n'aurait plus été le même film, et elle est formidable, cette scène-là... Non, on est bien... même si on aurait aimé que... Bon, c'est déjà rare, de voir un film comme ça, surtout par les temps qui courent... La rencontre d'une prostituée devenue gouvernante, de deux frères dont un simple d'esprit et d'un sale morveux viré de son internat, ça peut donner une improbable famille, mais tellement attachante... Parce que c'est une belle histoire de famille, en fin de compte, on a envie que ça dure, il y a quelque chose d'utopique, là-dedans...
vendredi 30 janvier 2009
Confessions intimes d'une courtisane chinoise, de Chu Yuan, est un film formidable, qui m'avait pourtant fait bâiller, la première fois, un peu écœuré après tout un paquet de sucreries très souvent mineures bien que presque toujours extrêmement rigolotes et colorées de la Shaw Brothers, d'où ne semblaient émerger que les opéras sanglants et torturés de Chang Cheh, j'étais passé à côté. Au début, on s'attend à un film de kung-fu en costumes de plus, même si déjà quelques plans semblent annoncer qu'on va quelque peu s'écarter du cahier des charges habituel. L'héroïne, enlevée et prostituée de force, est un peu fade, au début, tant qu'elle est victime, tandis que la méchante, la maquerelle, est carrément hyper-érotique, étonnamment sensuelle pour un film de la firme où les femmes étaient en général plutôt sages, pour ne pas dire accessoires. Elle est très cruelle, elle tue même à mains nues, avec ses ongles, c'est magnifique, une femme de caractère, enfin. On s'attend alors à un affrontement entre la gentille et la méchante, déclinaison féminine de ce qu'on était habitué à voir en masculin. Mais tout bascule. La gentille, dans sa quête de vengeance, devient elle aussi très belle et peut-être même plus cruelle que la méchante qui, par sa faiblesse sentimentale, devient très attachante. On commence à se dire que si elle est devenue ce qu'elle est devenue, c'était peut-être bien pour survivre, dans ce monde d'hommes veules et lubriques et on n'est pas loin finalement de Mizoguchi et le film prend alors de l'ampleur. Une sorte de lutte, d'abord voilée, s'engage entre les deux femmes, entre haine et amour, fascinées l'une par l'autre, animées et même taraudées par un profond et violent désir tout autant amoureux que meurtrier. Parfois, on en vient à douter de qui est qui, comme si leurs images s'étaient inversées, c'est très troublant. Leurs enlacements et leurs baisers sont torrides, elles se mêlent, leurs jolies petites langues dans leurs affolantes petites bouches. Les hommes ne sont bientôt plus que des pantins. Ils ne savent même pas se battre. Leur épée est bien fragile face à de pareilles furies et, s'ils la dégainent promptement, ils ne la tiennent jamais bien longtemps. Le film se clôt par une scène d'une violence absolue avec juste ce qu'il faut de jets de sang bien rouge comme des virgules dans une phrase, ô combien plus sauvage, dramatique et jouissive que dans Kill Bill, avec une montée quasiment orgasmique au climax stupéfiant : la méchante est littéralement transformée en vénus de Milo : on a très mal car on avait fini par carrément l'adorer, cette petite, c'est poignant, c'est même douloureux car ça atteint dans la chair, c'est tranchant, net, irréversible, on reste bouche bée, la tête faisant non-non... on se sent même d'un coup comme si on avait simultanémént été émasculé... Quand l'autre meurt à son tour, empoisonnée par un dernier baiser baigné de larmes et de sang, on est juste un peu peiné, car on l'aimait bien, quand même, et puis c'est pathétique, voilà où mène la vengeance, voilà où mène la passion, quel gâchis... même si on préférait la méchante... Il n'y a pas de gagnant(e)... Tout le monde a perdu, sauf le spectateur.
mercredi 28 janvier 2009
Je ne me lasse pas de Colonel Blimp. De tous les films du merveilleux tandem Powell Pressburger, c'est de loin mon préféré. En plus d'être un monument de virtuosité poétique d'une plastique somptueuse, une charge pétillante d'humour contre la raideur et la bêtise militaires, une très lucide analyse de l'Histoire au moment même où elle se produisait, le tableau du crépuscule d'une certaine chevalerie bien plus fin à ce propos que la grande illusion, un réquisitoire anti-nazi mais ô combien germanophile, ce qui était fort culotté en 1943 et outra quelque peu Fat Winston himself qui voulut l'interdire, une magnifique histoire de vraie amitié par delà les nations ennemies, c'est aussi et peut-être surtout un grand film d'amour plein de pudeur, de délicatesse, d'onirisme, de mélancolique légèreté. A la fin, le général à la retraite "Sugar" Candy, regardant une feuille morte flottant dans un réservoir d'eau, répond à une voix en lui-même, surgie du passé, la voix de la femme de sa vie, en présence du sosie parfait de la femme de sa vie : "Now here is the lake... and I still haven't changed...". C'est bon comme une rondelle de Shakespeare arrosée d'un doigt de Yeats... A ce moment, il ne me reste plus qu'à m'essuyer les yeux et à me moucher discrètement en regardant le générique de fin. Je n'ai toujours pas changé... Il ne s'en est jamais remis, d'avoir perdu cette femme, parce qu'elle aimait son meilleur ami, avec qui il s'était battu en duel, histoire de faire connaissance... Si lui a vieilli, son amour au moins n'a pas vieilli, a même gardé le même visage... Ça me rappelle une autre histoire de sosie, il y a bien des années, c'est pour ça aussi... A la bibliothèque, je l'ai vue, de dos, et j'en ai eu le souffle coupé, car c'était... sa nuque... Oui, exactement, sa nuque... Je me suis approché... Elle s'est retournée... Pendant au moins dix secondes, je suis resté pétrifié devant elle, les yeux dans les yeux, les poils dressés, comme un animal... Plus tard j'ai appris qu'elle habitait la même rue que moi, au 30, moi qui étais au 32... Un jour, je l'ai vue au bras d'un type... qui me ressemblait plus qu'un peu... Ça m'a un peu troublé... Une autre fois, je me suis retrouvé en face d'elle dans le métro... Evidemment, à chaque fois qu'on se croisait et on s'est croisés, à intervalles parfois très grands, sur une durée peut-être de... 7 ou 8 ans... j'ose avouer, je sentais qu'elle me reconnaissait, moi le type un peu bizarre qui était resté planté devant elle les yeux écarquillés et il y avait donc toujours une sorte de tension, entre stupeur et attirance... Elle était avec une amie, ce qui semblait lui donner plus d'assurance... Elles étaient vendeuses dans une boutique de lingerie... C'est alors que j'ai entendu sa voix et le charme est tombé, d'un coup... Mais moi non plus, je n'ai pas changé, au fond, tu sais, le lac est toujours là... "Sir?" interroge interloqué le sosie de la femme de sa vie. Alors, il a ce petit sourire, Sugar Candy... Puis c'est le générique. The End.
vendredi 16 janvier 2009
Mon père regardait l'objectif. Ma mère regardait ma sœur qui regardait les bougies qu'elle soufflait sur son gâteau d'anniversaire. Moi, je m'étais brûlé le bout du nez à une bougie, je n'avais pas un an et regardais ailleurs. La petite robe imprimée de ma mère, le marcel de mon père, la toile cirée avec des roses. Le globe de verre sur le frigo avec dedans les fleurs artificielles. Chez mes grands-parents. Je regarde dans la direction de la fenêtre, ou de l'évier, je ne sais plus très bien. J'ai toujours beaucoup aimé les fenêtres, ainsi que les éviers. Je n'ai jamais beaucoup aimé les anniversaires. Peut-être bien parce que je me suis brûlé le bout du nez ce jour-là. Composition en triangle, dominée par la mère. Tout semble tellement tranquille, serein, une jolie petite famille, heureuse, à la fin des années soixante, même si maintenant je distingue une légère mélancolie dans le regard de mon père. Ma mère est bien campée, regard couvant la petite, bras veillant le petit. Sa présence est indiscutable, c'est une madone. Mon père semble vouloir s'incruster dans la scène, un peu inconfortablement, une épaule rentrée, comme s'il désirait lui aussi faire partie de la couvée, au moins entrer dans le triangle. Il est le seul à poser vraiment pour la photo. Ils étaient beaux, en tout cas, mes parents. Je me souviens que j'étais fier, quand j'étais petit, d'avoir des parents aussi beaux. J'ai toujours trouvé cette photo très émouvante. Personne ne regarde dans la même direction. Les filles regardent ce qui est proche, dans le triangle, les garçons ce qui est loin, à l'extérieur... Il me semble que ma main droite est sur le gâteau...
mercredi 14 janvier 2009
Ran n'est pas mon Kurosawa préféré. Mais c'est par ce film que j'ai vraiment réalisé à quel point Kurosawa était grand. Des cavaliers, immobiles, perdus dans le paysage. Des nuages, pas n'importe quels nuages, passent. On en oublie la tragédie qui se trame. Ça n'a même plus aucune importance. Les nuages comptent bien plus, les éléments. Les cavaliers ne sont guère plus que des fourmis. Ils sont disposés là , comme une rose des vents, chacun dans la direction d'un point cardinal. J'ai senti que Kurosawa avait attendu ces nuages-là, pour tourner la scène, pas seulement des nuages, mais précisément ceux-là. J'imagine... des heures et des heures, peut-être des jours d'attente, pour avoir ça, que tous les éléments soient réunis, une seule prise je présume, car le nuage n'est pas un acteur qui accepte facilement de rejouer la scène. C'est pour ça aussi que les cavaliers sont statiques. Les vrais acteurs, à ce moment, sont les nuages. Tout ce qui a lieu sous ce ciel, finalement, est dérisoire, c'est ce que j'ai ressenti à ce moment-là. Regarder passer les nuages est bien plus intéressant. Bientôt il y aura beaucoup d'agitation, trahisons, guerre, folie, mais je n'oublierai jamais que tout est dérisoire, que rien ne sera changé fondamentalement. Alors pourquoi une tragédie? Parce qu'il faut bien s'occuper, arriver à croire et à faire croire que ces occupations, quelles qu'elles soient, ont de l'importance. Quoi de mieux alors qu'une tragédie pour nous redonner un rôle capable de nous faire oublier qu'on n'est pas grand chose, sous ces nuages, se prouver qu'on n'est pas seulement vivant mais qu'on existe et même intensément? Sinon, on ne ferait rien, on resterait couché dans l'herbe à contempler le ciel, on en deviendrait peut-être soi-même brin d'herbe, ou bien nuage, ou mieux encore rien du tout, ce qui n'est peut-être pas à la portée de tout le monde.
lundi 12 janvier 2009
Un même jour, sur France Culture, se sont enchaînés un reportage sur le quartier d'Ainay, où je vis, l'annonce d'un prochain reportage sur un quartier de St Etienne, où vivaient mes grand-parents, puis l'interview d'un chercheur français basé en Malaisie, étudiant la piraterie maritime... portant le même nom que moi. (Sans le "Y", ai-je vérifié ensuite…)