samedi 24 avril 2010

L'Aurore. C'est tout, il n'y a rien à dire de plus. Ça suffit amplement. Sunrise, a song of two humans. Un chant. Voilà. Alors, pourquoi les faire parler, puisque ça chante déjà? Ne risque-t-on pas de ne plus rien entendre? Non, il ne faut pas se fier à la photo, à ce que l'on voit. Ce n'est pas elle, le deuxième être humain du chant en question. Elle, elle n'est pas vraiment humaine, c'est la vamp, c'est la créature de la nuit, Nosferatu en femme. Là, il est en son pouvoir. Elle l'a envoûté. Murnau, pour moi, c'est l'héritier du romantisme allemand, Hoffmann, Chamisso et les autres. Autant chez Fritz Lang les contrastes entre le noir et le blanc me semblent très marqués, francs, les frontières entre le bien et le mal très tranchées, au scalpel, autant chez Murnau tout me semble incertain, inquiétant, mouvant, comme l'effet d'une respiration, d'une palpitation, d'un flux et reflux permanent. La lumière semble battre comme un cœur fragile dans l'eau épaisse et noire. Ce qui est blanc ne l'est jamais pour toujours. Les rivages sont sans arrêt recouverts et découverts par le flux et le reflux d'un épais, sombre océan. C'est une lutte permanente. Parfois, la lumière est à l'agonie. (Pendant des années, jusqu'à récemment, j'ai lutté, dans mes rêves, contre l'obscurité. Je me sentais comme agonisant. Mes rêves semblaient s'éteindre. C'était très angoissant. La lumière baissait, baissait, j'avais beau écarquiller les yeux... Fondu au noir... Dès le début du rêve, ça commençait, d'abord lentement, inéluctablement, le temps m'était compté... Plus j'en prenais conscience et luttais, plus ça s'accélérait... Puis, peut-être épuisé, j'ai accepté le néant, de disparaître dedans, de m'y abandonner... Peut-être même l'ai-je absorbé tandis qu'il m'absorbait, peut-être même suis-je devenu le néant... Un gouffre, sans fond, sans bords, une chute sans chute... Puis la lumière est revenue... Peut-être de la même façon, une fois, dans un torrent, j'ai été à un instant de me noyer, plaqué au fond comme une simple brindille, quand j'ai accepté la force du courant, de ne plus lutter, de m'y mêler, d'être lui...) Les étoiles finissent toutes, à un moment ou à un autre, par disparaître. L'image est vivante, vraiment vivante, elle respire, parfois difficilement, douloureusement, mais elle respire. Peut-être le plus grand poète du cinéma est mort au crépuscule du cinéma muet, à l'aurore d'autre chose. (Je pense aussi à Lon Chaney qui, en 1930, ironie cruelle, est mort des suites d'un cancer des cordes vocales.) Aurait-il survécu au parlant, Murnau, s'il ne s'était pas tué en voiture, en 1931, à 42 ans, une semaine avant la première de Tabu? Qu'aurait-il eu à dire? Je n'en sais rien. Personne n'en sait rien.

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