[Me retournant.] Les vieux sont sur les bancs. Les Roms sont dans les prés. [Qui a raison?] J'avais besoin de soleil. [Mes os.] Me suis trouvé un banc, mis à rôtir en picorant le bonheur des petits poissons. [Très bien pour quand on est dehors, en terrasse ou sur un banc.] Alors, un vieux est venu s'asseoir sur mon banc, la casquette, la grosse veste de cuir, transpirait pas une goutte, c'est ça les vieux ils ne se rendent plus compte, s'il fait chaud, froid. Je sens sa masse (désagréable, molle, envahissante) à côté de moi, ça me rappelle the blob que j'ai vu il y a quelques soirs. Il respire fort. Sa présence m'oppresse. Un autre vieux survient, mais en fauteuil roulant et ils se mettent à palabrer. Oui oui, 52 ans, il est malade. [Son fils?] L'en a encore pour dix ans, oui oui. [Avant la retraite?] Mais on n'a pas à se plaindre, hein?... Mais on n'a pas à se plaindre, hein?... Mais on n'a pas à se plaindre, hein?... [Trois fois. Pas sourd, l'autre, pourtant, celui en fauteuil, apparemment, même s'il ne répond pas, ou alors juste un peu en branlant la tête on ne sait si c'est de bas en haut ou de droite à gauche, indistinctement.] Et autrement? Ça va? – Oui oui, on n'a pas à se plaindre et puis là je l'attends, hein... – Qui ça?... – Ben lui... – Ah... J'hésite à migrer aussitôt. Ils parlent fort. Ne sentent pas bon. [Même si je suis à bonne distance et ne peux les sentir, je sais qu'ils ne sentent pas bon.] Me dépriment. Profondément. Plus la sourde terreur d'être contaminé, voire même absorbé. [the blob...] Mais il s'en va, sur ses roues, l'autre vieux. Un peu affligé, mais goûtant un début de délivrance, tout de même un petit peu philosophe, dans un grand soupir me remets dans les petits poissons, comme quoi fumer il n'y a rien de mieux et je suis bien d'accord et je m'en grille alors une, enfin, un peu de brouillard est parfois et même très souvent salutaire... Pas pour longtemps : un autre type bientôt survient. Plus jeune. Gras. Luisant. En tee shirt. Avec une gourmette. [Le fils?] Ça parle testament. Oui mais... si je fais mon testament... – C'est bien ce que je te dis... [Une bonne dizaine de fois.] Puis, le vieux, sans préambule : Une bonne queue, dans les toilettes, t'attraperas pas le sida... [Peut-être pas son fils, alors? Son amant?] Je referme mes petits poissons. Jette un œil derrière moi. Le Paradis était si proche. On aurait dit un Gauguin, sur le coup. Et disparais.
jeudi 25 avril 2013
lundi 22 avril 2013
samedi 20 avril 2013
J'imaginais que des foules d'anciens résidents viendraient voir le démembrement de la Bête. Au moins quelques uns, que je projetais en vieux bagnards, le crâne tondu strié de cicatrices, l'œil délavé, intense, la tête encore sonore d'échos de pas dans les couloirs, de clés dans les serrures. Mais personne n'est venu. Juste moi. Je me suis glissé derrière la palissade. Comme une carcasse de crabe gigantesque qu'on a vidé. Qu'on a vidé de tout. Le passé ne s'agrippera pas aux pierres. Ce qu'il en reste sera bientôt tout ravalé, tout propre. Un grand silence. Je n'ai pas eu l'audace de passer le muret pour aller voir de plus près. Ça m'a rappelé le muret de mon enfance, au fond de la cour. Il y avait, de l'autre côté, un terrible chien noir qui faisait traîner sa chaîne sur le goudron. La liberté était à ce prix, affronter le Grand Chien Noir, au moins traverser son territoire sans se faire dévorer. Mais là, pas de chien noir, juste des panneaux d'interdiction de pénétrer, les dangers habituels du chantier. Et le muret, qui autrefois était un mur avec des barbelés. Je suis reparti, me suis trouvé bien dressé, bien trouillard. L'excitation d'être passé en douce derrière la palissade, suivie de la honte d'être resté bloqué par un muret ridicule. Je reviendrai, je me suis dit, quitte à me prendre une poutre métallique sur la tête, au moins pour marcher tout droit en direction de la porte, me sentir avalé par l'architecture, le crabe, découvrir ce qu'il y a derrière, une cour, un mur, une fenêtre. Le chemin semble difficile : un trou, puis un grillage. Mais ça doit valoir la peine. Arrivé là-bas, dedans, peut-être au péril de ma vie, me faire la belle, enfin.
dimanche 14 avril 2013
Je sais où est ma place. Les pieds sur le rebord, voilà. Ils voudraient que je m'en fasse une, de place, alors que j'en ai déjà une, qui plus est au soleil, quand il y en a. N'est-elle pas bonne? Bien assez bonne pour moi. Pas enviable? Quel besoin, d'être enviable... Comme si une place ne valait que parce qu'elle est enviable... Je m'en fous, quand je suis à ma place, je me fous même de tout. C'est quand je la quitte que je peux être soucieux, malheureux, ou autres. Là, je suis bien. Bien. Il était temps. Demain, j'irai voir, ailleurs. Demain. Et demain, il y a des chances, je me dirai la même chose : Demain, on verra bien... Et que verra-t-on bien?... Ça, demain nous le dira... Ou pas... En attendant, je m'en fous, je suis à ma place. Comme les oiseaux, moi, je me remets à siffler, en ce moment. Sauf que je n'ai pas d'ailes. Alors je reste là. Je recharge la pile. Je m'assoupis sur un mince opuscule. Tchoôl! Le gars, il laisse tout tomber, y compris son dernier colombin français (mais dans un étang khmer) 1000 euro sur son compte, à l'aventure, je ne comprends pas tout, c'est comme écrit parfois dans une langue étrangère, mais je me laisse entraîner, ça dépayse, il a bien raison je me dis, c'est par là qu'il faut aller... Par là où?... Lui, c'est par là-bas, loin. Moi, c'est par ici, pas moins loin. Moins exotique? Si on veut. Discutable. Quelle énergie, en tout cas. Lui pour parcourir le monde. Moi pour passer du salon à la cuisine et me poster à la fenêtre. Il faudra bien que je me bouge le cul, un de ces quatre. Et juste ensuite : Est-ce vraiment nécessaire? Il est pas bien, ton cul, là?
samedi 13 avril 2013
jeudi 11 avril 2013
De ma fenêtre, vers les 18 heures. L'anxiété me réveille, en ce moment, vers les 8 heures du matin. C'est la saison. Rien, j'ai envie de répondre à chaque fois. Parfois, d'ailleurs, je me permets, je le dis : Rien. Une formation, ils sont bien gentils, eux, à vouloir me former. Et pourquoi d'abord faudrait-il être formé? Ma forme me suffit bien. Ou bien alors je serais informe? Oui, peut-être, sans forme, comme le Tao, à la rigueur, dans les bons jours. Je me regarde, parfois je me trouve beau, quand je ne me reconnais pas, quand je suis fatigué souvent, vague, pas assez dormi, l'anxiété qui m'a réveillé vers les 8 heures du matin quand je visais plutôt midi pour être en forme, toujours cette question de la forme, mais moche, aussi, parfois, quand je me reconnais, trop net. Alors le type, demain, va me demander : Alors, vous en êtes où? Nulle part, je crois bien, je vais lui répondre. Me former. Il aimerait bien. Il me trouve très intelligent, vif, parfois un peu moqueur, mais informe. Ses tests le prouvent, j'ai toutes les qualités, pour être formé, je suis tout en haut, même si je commence quand même à être un peu vieux. Quand il a analysé mes résultats, il s'en étranglait : Ah!... Et là, la moyenne est à tant et le maximum à tant et vous... hum?... vous êtes à tant!... Tout ce que je pourrais faire, alors, toutes les formations et donc toutes les formes que je pourrais prendre... Toutes ces formes possibles finissent par m'embrouiller la cervelle et me travailler les viscères parce qu'il faudrait en plus que je me dépêche... Mais moi, je veux seulement être tranquille, je lui dis, je ne demande pas grand chose... Je ne vais quand même pas m'engouffrer dans n'importe quel cauchemar juste pour lui faire plaisir... C'est vrai qu'il a l'air malheureux, et tout maladif, tout rabougri, tout poussiéreux, le teint cireux... Le travail... le travail... Honnêtement, je lui dis, la sieste, vous n'auriez pas quelque chose dans ce domaine?... Ça le fait sourire. Faut bien sourire un peu. Il croit que je plaisante. Mais non, vraiment, c'est pour ça que je suis fait, je vous assure, c'est même je crois dans ma nature, ça ne m'a pas pris sur le tard, dès le début j'étais mûr, je ne vois rien de mieux... beau me creuser la tête... Je suis pourtant plein de bonne volonté... Après, on va fumer une clope, il a une mauvaise toux persistante, des problèmes pulmonaires il me dit... Il fait peine à voir, tout ratatiné, comme s'il était malade et malheureux et miséreux pour les autres et vraiment très mauvaise toux... Gardien de phare, je lui dis, ça m'aurait bien plu ça, mais il n'y en a plus il paraît, ou alors peut-être qu'il y n'en a plus qu'un, pour la forme, à Ouessant peut-être, faudrait que je me renseigne, il est peut-être proche de la retraite, on lui cherche peut-être alors un successeur... Il opine gravement de la patate... Vous m'imaginez? Tranquille, dans mon phare, tout en haut... Ah oui... ça... j'aurais aimé... tout en haut... la mer... le vent... Je l'aime bien, malgré tout, il me rappelle mon oncle Dudu, pas un rigolo le Dudu, ou alors malgré lui, mais bon fond... Et puis il est de Saint-Étienne, comme le Dudu... On dirait qu'il sort des années 70, sinistré comme la ville... Il me rappelle le catalogue Manufrance, l'amicale bouliste, le pépé qui remontait du jardin, le Dudu qui faisait ses scrabble, tout seul, l'après-midi, sur sa table de cuisine... Et la rue de la Jomayère, vous voyez?... Bien sûr, il me dit, je suis de la Ricamarie, juste à côté... (Ah... la Ric..)
dimanche 7 avril 2013
Ça fait tellement longtemps que je n'ai pas vu la mer. La dernière fois, c'était avec Mouchette, en voiture, vers Sète, on était juste passés. Elle n'aimait pas la voiture, Mouchette, elle avait miaulé tout le long, toute tremblante, oreilles couchées, montant même parfois sur la plage avant tenant à peine sur ses pattes. Dès le début de notre périple, elle avait chié et pissé et vomi sur mon pull vert, que j'avais jeté dans la première poubelle de station essence, le même pull vert que je portais quand je l'avais rencontrée et quand on s'était retrouvés elle avait semblé déçue que je n'aie pas pris mon pull vert, comme si je n'étais plus du tout le même, sans cette saloperie de pull vert, comment avais-je pu le garder si longtemps? Elle n'aimait pas voyager. Pas comme dans mes rêves, où elle trottait toujours à mes côtés comme le Milou à Tintin. Et chez les autres, alors, tout son temps aplatie sous les lits. Après, on n'a plus du tout voyagé. C'était un test. Je m'étais dit essayons, pour voir si elle aime ça. Pas du tout. Je la revois, terrorisée, sur la plage avant. Je ne pouvais pas trop descendre la vitre, sinon elle aurait sauté, à la moindre ouverture essayait de forcer le museau, aurait aimé avoir l'épaisseur d'une feuille de papier. Dans la voiture il y avait aussi un copain, qu'on avait récupéré à Agen et qu'on emmenait à Toulouse. Il essayait de la tenir sur ses genoux tant bien que mal. On rigolait. Elle perdait ses poils par poignées. Mais on ne s'est pas arrêtés. Ça avait l'air joli, Sète. Puis on est remontés à Lyon, de nuit, juste Mouchette et moi, il pleuvait. En plus des essuie-glaces qui étalaient le gras sur le pare-brise, tirs tendus d'étoiles filantes, il y avait Mouchette qui se baladait en tremblant, miaulant rauquement sur la plage avant. On avait pris l'autoroute pour que ça aille plus vite. Je me demande encore comment on n'a pas eu d'accident. Je l'attrapais, essayais de la maintenir sur mes genoux, elle se libérait, montait sur le volant, se mettait à hurler, je n'y voyais plus rien. Tout ça pied au plancher. Quand on est finalement arrivés, elle s'est calmée aussitôt. La porte de traboule franchie je l'ai sortie de sa boîte. Reconnaissant son territoire, le labyrinthe, queue en l'air d'un coup comme un cran d'arrêt, me regardant : miaou? Puis a avalé ventre à terre les cinq étages en terrasses en grognant de plaisir, les Grands Espaces retrouvés. Bien deux heures ensuite à faire sa toilette tellement l'aventure l'avait fripée. M'en a pas voulu. Pas du tout dans son caractère. Ronronnant bientôt sur moi, toute propre, tout son long, sa patte sur mon épaule, sphinge de gouttière, sa tête qui d'un coup tombait sur ma poitrine, toute molle, toute chaude. Parfois, elle sursautait, me plantait un peu les griffes, devait rêver. Mais quelle idée, de partir en voyage...
jeudi 4 avril 2013
Je suis sombre. Je me lève difficilement le matin. Mais si je me rendors, mes rêves ne sont pas mieux, voire même bien plus sombres, des nuées de corbeaux. J'ai la crève, tuyaux glaireux, suées nocturnes, je tousse comme un mineur silicosé, depuis deux semaines. Alors, je me lève, tout brouillé, je bois des cafés, fume des cigarettes, longtemps, en écoutant le monde s'écrouler à la radio, je bâille, me gratte, aujourd'hui je me suis coupé les ongles de pied, mets du temps à me décider à aller faire ma toilette. Quelque chose ricane en moi. Quand je suis moins sombre, ça sourit. Quand je suis sombre, ça ricane. Mauvaise période. Mon monde vacille. Ma tranquillité est menacée. J'ai parfois envie de tout envoyer balader, craquer une allumette sous le tas informe de mon existence, prendre mon sac, ma clarinette, disparaître. Pour aller où? Le monde m'ennuie. Il n'y a que le mien de monde qui m'intéresse vraiment. Mes paysages, mes saisons, mes torrents et mes gouffres. Même s'il n'y en a pas. Les autres humains aussi m'ennuient. Il n'y a que mes personnages qui m'intéressent, même s'ils sortent rarement de l'ombre. Lui, là, il ricane. Un chien à tête humaine. Il a tout compris, c'est pour ça qu'il ricane, c'est à dire qu'il a compris qu'il n'y avait rien à comprendre. Il passe, de gauche à droite, en ricanant, c'est tout. Et moi je le regarde passer. Ça me distrait un moment. Ce n'est pas moi, qui ricane, c'est lui, le chien à tête humaine, le cynique. J'attends qu'il soit passé pour me plonger dans la contemplation de cette zone obscure, profonde, qui m'attire, mais il n'a jamais fini de passer et me gâche le tableau, le silence, l'oubli. Je pourrais très facilement l'effacer, mais il n'y aurait alors plus du tout de lumière. Et puis, ne le voyant plus, je l'entendrais encore, le sachant là dissimulé dans la nuit. Mais je ne le déteste pas. C'est juste qu'il me gâche le silence. Son ricanement d'ailleurs parfois me gagne et je me demande alors si ce n'est pas moi finalement le chien à tête humaine (ou l'homme à tête de chien?) le cynique.
mercredi 3 avril 2013
Œil de très grand corbeau, œil de baleine, de bœuf ou de perdrix, je ne sais plus vraiment. L'animal me regardait, en tout cas, ça j'en suis sûr, et je me voyais dans son œil qui me regardait et je savais que j'allais disparaître, à un moment ou à un autre, soit qu'il ne me regarderait plus, soit que je cesserais de le voir et alors de me voir dans son œil me regardant, tout simplement peut-être parce que j'aurais cessé de voir, qu'un voile aurait peu à peu tout obscurci. Un voile sur mon œil, ou alors sur le sien. C'est là que je me suis dit que c'était peut-être moi, le Grand Corbeau, car c'était un grand corbeau, je ne vais pas continuer à me voiler l'œil en supputant un animal plus rassurant, oui, un grand, très grand corbeau, sur sa branche, qui me regardait et je me voyais dans son œil qui luisait comme une flaque de pétrole, parfaitement, dans mon rêve, et le matin, à l'aube, une corneille s'est posée sur une antenne télé et le grand corbeau m'est revenu : effroi. Mais c'était peut-être moi, le Grand Corbeau, juste moi, je me dis maintenant. Et le reflet dans son œil? Une projection, rien de plus, anthropomorphe. Ça aurait pu être n'importe quoi d'autre. Un humain, voilà, la projection, je serais un humain, comme on dit dans l'enfance quand on joue. Et j'ai fini par y croire, à cette projection. Un humain. Je serais un humain, on dirait. Alors que je suis le Grand Corbeau. J'aurais préféré éléphant, ou baleine, renard ou chat. Je n'ai pas choisi. Quel effroi, de se rencontrer. On se rejette alors très loin. Mais maintenant, je me dis que ce n'est pas si mal, grand corbeau.