mercredi 27 février 2013

Tu vois, je n'ai rien fait de ma vie. Je n'ai aucune descendance, aucune carrière, aucune œuvre non plus qui m'aurait accompli ni aucune œuvre, même en secret, à accomplir. Depuis 10 ans, je n'ai travaillé qu'à respirer. Car je ne savais pas respirer. Il a fallu que j'apprenne. Que je désapprenne, au début. Les 35 premières années de ma vie, je les ai vécues en apnée. Je ne suis pas encore très fin respirant mais je sens que j'ai évolué vers le mieux même si je n'en aurai jamais fini d'avancer vers le Souffle et fatalement le Dernier Souffle que de plus en plus je considère comme le seul accomplissement possible, pas trop le foirer si possible. Je m'étais dit à une époque je souffle mal, ça ne va pas. Comment accomplir quoi que ce soit en respirant si mal? Pendant ce temps, mes cheveux blanchissaient. Mais je respire mieux. Ou plutôt je respire, je commence enfin à respirer. Avant, je croyais respirer, mais je ne respirais pas. Maintenant, je respire, pas très bien encore mais au moins je le sais et aspire à mieux respirer. Car je suis un débutant. Le reste, n'est-ce pas, est bien secondaire, anecdotique. Que vais-je laisser? Qu'ai-je besoin de laisser quoi que ce soit? Je pourrais disparaître à l'instant sans le moindre regret ni la moindre amertume. À une époque je croyais avoir une œuvre à accomplir et j'avais même commencé à la tricoter tant bien que mal, langue sortie, une maille à l'endroit, une maille à l'envers... Mais il ne s'agissait que de ma place dans le Monde. Montrer au Monde ce que je valais. Et je valais beaucoup. J'étais même un génie, souvent. Mais je ne savais pas respirer. Et je ne savais pas encore que je ne savais pas respirer. J'étouffais, en permanence étouffais, dans le vide de mon importance. Maintenant que je sais un peu mieux respirer j'ai bien mieux conscience de ma petitesse, de mon insignifiance, de l'absurdité de toute œuvre passée, présente ou à venir. D'où ma joie profonde, parfois. Au moins, je ne m'épuiserai pas en vain. J'ai renoncé. Musicien, j'aurais aimé. Pour personne. Mais je ne savais pas respirer. J'aimais l'idée que la musique se jouât et se perdît dans l'instant. Je n'aurais pas accepté d'être enregistré. Qu'il n'y ait que l'instant... Qu'as-tu fait de ta vie? Mais rien du tout, ma jolie, que voulais-tu que j'en fasse? Fallait-il donc absolument que j'en fasse quelque chose? On m'aurait donné la vie et moi j'aurais dû en faire quelque chose? Et je devrais me sentir coupable de n'en rien avoir fait? Alors c'était plutôt un prêt, avec des intérêts? Il faut rembourser, au bout d'un moment, et même au centuple? On m'a donné une motte de terre. Plus tard, quelqu'un est venu et m'a regardé sévèrement : Qu'as-tu fait de ta motte de terre? Et moi : Je l'ai simplement regardée. Et encore, pas tout le temps...

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