Je suis le Guerrier Immobile. Devant le Robinet du Temps. Ploc... Ploc... Ploc... Je suis le Guerrier Immobile. J'attends. Le Temps est une fuite, une simple fuite, la conséquence d'une avarie minuscule pour ainsi dire, d'une simple usure. Il suffira qu'une fois quelqu'un ou quelque chose ou rien du tout ni personne se décide enfin à changer un petit joint de rien du tout pour que le Temps soit aboli. Et ça arrivera forcément. Et c'est même déjà arrivé plein de fois. Ce sera peut-être moi, d'ailleurs, qui changerai le joint, ou alors le prochain locataire. Ou alors je suis le Gardien, le Guerrier Immobile, veillant sur le Robinet du Temps, prêt à pourfendre tout intrus, annihiler toute velléité plombière. Car l'avarie, la fuite, l'usure, c'est la Vie. Ou alors je suis les deux. L'Intrus et à la fois le Guerrier Immobile. Ne le regarde pas, il n'existe pas, m'a dit un jour mon Maître. Un souffle suffit pour l'effacer. Tout comme la cible, il faut l'oublier. La flèche sait où aller. Tu es la flèche. Je suis le Guerrier Immobile. Devant le Robinet du Temps. J'attends. Je sens la Guerre qui vient, repart, revient, c'est comme une pulsation. Elle se rapproche. La Grande. La Der des Ders. Je suis prêt. Je suis le Guerrier Immobile. Devant le Robinet du Temps. De temps en temps, je passe un coup d'éponge, dans le Grand Évier du Temps. Les guerriers, en temps de paix, ont ce genre d'activité, ils font de l'entretien, ou bien de l'exercice, quand ils ne s'ennuient pas à mourir. Mais je la sens qui vient, la Guerre, la Grande, la Der des Ders, la Vraie 14-18, qui sera bien plus brève et terrible que l'autre je pressens, du genre entre 14 et 18 heures, voire entre 14 et 18 minutes, secondes... On se rapproche, d'ailleurs... Le bubon a tellement gonflé il faut dire, la saloperie tellement proliféré, épaisse, jaunâtre, que ça ne peut qu'exploser. Les pommades, au bout d'un moment, sont sans effet, il faut que ça sorte, que les humeurs s'expriment enfin librement, explosent, s'épanchent, enfin, pour soulager le Corps. En attendant, je suis là, debout, bien droit, devant le Robinet du Temps. Je suis le Guerrier Immobile et j'attends. Je suis prêt.
jeudi 28 février 2013
mercredi 27 février 2013
Tu vois, je n'ai rien fait de ma vie. Je n'ai aucune descendance, aucune carrière, aucune œuvre non plus qui m'aurait accompli ni aucune œuvre, même en secret, à accomplir. Depuis 10 ans, je n'ai travaillé qu'à respirer. Car je ne savais pas respirer. Il a fallu que j'apprenne. Que je désapprenne, au début. Les 35 premières années de ma vie, je les ai vécues en apnée. Je ne suis pas encore très fin respirant mais je sens que j'ai évolué vers le mieux même si je n'en aurai jamais fini d'avancer vers le Souffle et fatalement le Dernier Souffle que de plus en plus je considère comme le seul accomplissement possible, pas trop le foirer si possible. Je m'étais dit à une époque je souffle mal, ça ne va pas. Comment accomplir quoi que ce soit en respirant si mal? Pendant ce temps, mes cheveux blanchissaient. Mais je respire mieux. Ou plutôt je respire, je commence enfin à respirer. Avant, je croyais respirer, mais je ne respirais pas. Maintenant, je respire, pas très bien encore mais au moins je le sais et aspire à mieux respirer. Car je suis un débutant. Le reste, n'est-ce pas, est bien secondaire, anecdotique. Que vais-je laisser? Qu'ai-je besoin de laisser quoi que ce soit? Je pourrais disparaître à l'instant sans le moindre regret ni la moindre amertume. À une époque je croyais avoir une œuvre à accomplir et j'avais même commencé à la tricoter tant bien que mal, langue sortie, une maille à l'endroit, une maille à l'envers... Mais il ne s'agissait que de ma place dans le Monde. Montrer au Monde ce que je valais. Et je valais beaucoup. J'étais même un génie, souvent. Mais je ne savais pas respirer. Et je ne savais pas encore que je ne savais pas respirer. J'étouffais, en permanence étouffais, dans le vide de mon importance. Maintenant que je sais un peu mieux respirer j'ai bien mieux conscience de ma petitesse, de mon insignifiance, de l'absurdité de toute œuvre passée, présente ou à venir. D'où ma joie profonde, parfois. Au moins, je ne m'épuiserai pas en vain. J'ai renoncé. Musicien, j'aurais aimé. Pour personne. Mais je ne savais pas respirer. J'aimais l'idée que la musique se jouât et se perdît dans l'instant. Je n'aurais pas accepté d'être enregistré. Qu'il n'y ait que l'instant... Qu'as-tu fait de ta vie? Mais rien du tout, ma jolie, que voulais-tu que j'en fasse? Fallait-il donc absolument que j'en fasse quelque chose? On m'aurait donné la vie et moi j'aurais dû en faire quelque chose? Et je devrais me sentir coupable de n'en rien avoir fait? Alors c'était plutôt un prêt, avec des intérêts? Il faut rembourser, au bout d'un moment, et même au centuple? On m'a donné une motte de terre. Plus tard, quelqu'un est venu et m'a regardé sévèrement : Qu'as-tu fait de ta motte de terre? Et moi : Je l'ai simplement regardée. Et encore, pas tout le temps...
lundi 25 février 2013
Le pépé Ness. Entre 14 et 18. L'image s'efface. Il est mort quand j'avais 10 ans. Il ne regarde pas l'objectif. Il est ailleurs, le regard intensément dans le vague. Il sent à peine la main de son camarade de tranchée sur son épaule et que le foyer de sa pipe est tout froid. Il a dû en voir, le pépé Ness. Plus tard, il était assis bien droit dans son fauteuil, le même regard, sous le carillon Westminster. Cloc... Cloc... Cloc... Le temps s'écoule. Like as the wawes towards the pebbled shore, so do our minutes hasten to their end... Je ne me souviens pas du son de sa voix. Il ne parlait pas. Pas pour ne rien dire en tout cas. Pour moi, enfant, le pépé Ness était incorruptible, forcément. Et un mystère. Jamais une plainte. Jamais la moindre histoire. Toujours bien droit. Mort quand j'avais 10 ans. En soulevant sa casquette, qu'il n'enlevait jamais, on découvrit un cancer du cuir chevelu, souvenir de là-bas, d'un éclat d'obus, qu'il avait gardé tout ce temps juste pour lui. Il a dû en voir. Parfois il passait la main sous sa casquette et il grattait. On lui demandait ce qu'il grattait. Mais rien voyons... il répondait et personne de son vivant ne sut ce qu'il cachait sous sa casquette. Mon père aussi, parfois, se grattait la tête à un endroit précis. Et moi aussi, ça peut m'arriver, de temps en temps, car j'ai moi aussi une petite marque sur le sommet du crâne, une cicatrice ancienne que j'attribue à une chute dans la cour, je devais avoir 5 ou 6 ans, alors que ce n'est peut-être qu'atavique. Se gratter la tête serait alors comme la célébration de l'indicible. Le pépé Ness savait pourquoi il se grattait la tête. Mon père le savait déjà beaucoup moins. Et moi, j'ai peut-être seulement inventé une histoire. Je cours, trébuche sur un tuyau au ras du sol et tombe sur le crâne et même sur le sommet du crâne, j'entends encore le bruit sourd. On m'emmène d'urgence à la pharmacie. On me pèse sur une grande balance en métal. Je me demande : Pour savoir quel poids j'ai perdu dans la chute, combien de matière s'est échappée de ma tête? Une dame en blanc me prend dans ses bras. Ça sent l'éther. Je perds connaissance. Dans ses bras.
vendredi 22 février 2013
Le père, au début, lors d'un pique-nique, tente de revolvériser ses enfants, avant d'incendier sa voiture et de se brûler la cervelle. La jeune fille et son petit frère se retrouvent alors perdus en plein désert. C'est un voyage initiatique, walkabout. On n'en fait plus guère, des films comme ça. Question d'époque. On ne saurait plus érotiser ainsi une jeune fille de quinze ou seize ans. D'ailleurs, ici, elle n'est pas érotisée, mais simplement érotique en elle-même. Une jeune femme plus qu'une jeune fille. Une femme qui éclot, il n'y a rien d'ambigu. On se dit que c'est beau, c'est tout et on chemine et passe à côté du Paradis sans presque s'arrêter. À la fin on a le cœur serré, car on a perdu quelque chose. On a même tout perdu. C'était tellement simple, il faut dire, il y avait une telle évidence. La fourche d'un arbre, les jambes de la jeune fille. Le désert. L'aborigène accomplissant son voyage initiatique pour devenir un homme voit en elle une femme et même sa femme. Ils ne parlent pas la même langue mais se comprennent d'instinct. Mais elle a peur, à un moment, de l'évidence, de l'essentiel. Et tout disparaît. Ce monde malade où le père a voulu tuer ses enfants, ce cancer de béton et de miroirs, elle y retourne quand même, ça ne lui a pas suffi comme avertissement. On ne lui en veut pas. On aurait sans doute fait la même chose. On a d'ailleurs fait la même chose, si un jour on s'est retrouvé à la croisée des chemins. À la fin, elle n'est plus une jeune fille, ni une jeune femme, mais une femme, une femme accomplie et même terminée, comme si la vie s'était arrêtée. Son mari insipide en costume lui annonce sa prochaine promotion, quelle vie magnifique ils auront, elle fait mine de trouver ça intéressant, mais ne songe plus qu'à son monde perdu. Ils parlent la même langue mais ne se comprendront jamais. Ils vieilliront peut-être ensemble, mais ne vivront sans doute jamais rien ensemble.
mercredi 20 février 2013
He is always here with me. Inside me. I can hear him. He was a child. With half a white beard. The same eyes. He was already old. Or he stayed the same child. The Terminator was a child. Without age. He drawned himself mysteriously in East River in 1970, he was 34 years old. November, water was so cold and they never found his saxophone. He was a very strange fellow. He said that Coltrane was the Father, Pharoah Sanders the Son and himself the Holly Spirit. (No less, no more...) Holly Spirit drawned in East River, what a sad story... Water was so cold... I remember the first time I heared Albert Ayler, in the night, at St Jean, to the radio, it was Summertime... It changed my life... Chaos and Cosmos are the same... Chaosmos, if you want, or cosmhaos if you prefer... I don't find the words to describe this... Words... words... words... would say William Shakespeare... Or : Like as the wawes towards the pebbled shore, so do our minutes hasten to their end... Yes, Bill, you are true, you are always true... I would'nt say better... You are the greatest, even greater than Mohammed Ali... and of course than me, when I write in english, because in french, my little fellow, in my land, hum... (Come on Bill... Make my day...) So, Albert Ayler didn't graw old, just became taller, and his saxophone too, and he never died because Holly Spirit can't die... I suppose... So What?... So nothing... I was just trying to write three little words in this curious barbarian dialect... Time on my hands... You see?... It's always the same song... You in my arms... Et caetera...
lundi 18 février 2013
Very good question baby... I wonder... Is someone there?... Hum... I love Lee Remick, her eyes, her lips, her teeth... I don't remember very well this Blake Edward's film, experiment in terror... but Lee, I remember... Her line... Hum... Her voice... Hum... Is someone there?... What a fine question... I don't know, really don't know... I dreamed a lot, last night... My last dream I was in a hotel and reserved a room for 8:30 AM... The old lady at the reception looked at me strangely... It is time to quit, not to come... But for me it was time to love... Her train was arriving... She who?... Nobody, a mix... She never arrived, in my dream, was only about to come, I knew that but I was happy, alive, there... I was there, so much... And before I was in another place, maybe another me... So... is someone there?... Less or more, I guess... And you, are you there?... Less or more... I was waiting for a girl and I asked for a room for 8:30 AM... and the old lady looked at me strangely... It is time to quit, not to come... She said a lot of things but I didn't understand everything 'cause my english is so poor... Just this : It's time to quit, not to come... I noticed the sexual insinuation and I smiled... And now, in the real world, I remember and wonder... Is someone there?... I don't know... Less or more... I was in so many places, just this night, was so many me... The girl never came, of course, and I never went up in the hotel room, and I never came... I stayed at the reception and just the old lady was there with me and, at a moment, in my happiness, I said to myself : I grew old...
vendredi 15 février 2013
Dans la forêt de bambous de Kuroneko. (le chat noir, de Kaneto Shindō.) Une nuit pleine de rêves, après l'avoir vu. Dans la forêt de bambous. Toujours la même forêt. Le paysan malgré lui devenu samouraï suit la femme dans la nuit. Elle lui rappelle sa femme. Comme deux gouttes d'eau. Et l'autre femme, plus âgée, lui rappellera sa mère, comme deux gouttes d'eau. Un démon, dans la forêt, s'attaque aux samouraïs et s'abreuve de leur sang. Lui, c'est le Héros, celui qu'on a chargé de trouver et tuer le démon. Sauf que ce n'est pas un démon, mais deux démones, sa femme et sa mère. Dans la forêt de bambous, la nuit tombée et jusqu'à l'aube. J'ai pensé au Mizoguchi des contes de la lune vague après la pluie. Pas étonnant, car Shindō en fut l'assistant. Les démons nous captivent. En l'occurrence, ici, les démones. Sa mère, sa femme, toutes deux violées et tuées par une bande de samouraïs errants en temps de guerre, revenues en démones pour se venger. Et lui, le petit paysan enrôlé de force devenu samouraï, Héros malgré lui. Ils se retrouvent alors, dans la forêt de bambous. Les ruines sont un palais. Il retrouve sa femme. Ça dure 7 nuits. Ils s'aiment. Puis elle disparaît. Elle a rompu son pacte avec les ténèbres. N'a pu tuer le samouraï. Ne reste que la mère. Elle est moins tendre, la mère, pas disposée à se sacrifier comme sa femme, bien plus profondément démone, bien plus dangereuse. Il sort son sabre. Plus que jamais, le sabre est l'âme (malade) du samouraï. Tuer la mère, la démone. Il en devient complètement fou. Peut-être qu'il était tout seul, je me dis, à la fin, dans sa forêt de bambous, avec ses démones et quand il ne les a plus, il n'a plus rien du tout, même plus la forêt de bambous. Il s'effondre. Ça finit dans les ruines, dans la cendre. Si ça me touche autant, c'est que j'ai exactement déjà vécu tout ça.
mercredi 13 février 2013
Il me dit que c'est toujours pareil au début. Elle lui plaît. Il la regarde. Il en a envie. Elle le provoque, aussi, elle prend des poses, elle fait des moues, lui envoie toutes sortes de signaux qui sont le secret de la femelle pour attirer le mâle. Il en a de plus en plus envie. Jusqu'au moment où il ne tient plus et il fonce, toujours plus ou moins avec une pomme d'arrosoir sur la tête et même une grande, très grande pomme d'arrosoir. Il a l'air con, vraiment con, mais tant pis, faut qu'il y aille. Il se rue. Se retrouve bientôt au bord d'un océan, vaste océan, comprend qu'elle est de l'autre côté du très vaste océan et que ça n'est pas gagné, que ça n'est pas un mince obstacle, quand il la croyait si proche, juste là, à portée de main. — Un océan de merde, on dirait, je lui dis, ça en a au moins la couleur. — C'est vrai, un océan de merde, il reconnaît, un peu troublé. Pour dire que ça n'est pas facile. Et puis ensuite, une fois qu'il y est enfin arrivé, de l'autre côté, il la laisse s'envoler. Il se sent fort, sur le coup, et même fier, victorieux, il a traversé l'océan de merde, il ne désire rien de plus finalement. C'est donc toujours pareil aussi à la fin. Tout est toujours pareil. Elle disparaît. Il la regarde disparaître. Ensuite on peut imaginer qu'elle se retrouvera tellement loin qu'un nouvel océan de merde plus ou moins les séparera et qu'alors tout recommencera. Elle ne se laissera jamais attraper. Ou bien, une fois qu'il l'aura retrouvée, après avoir traversé l'océan de merde, il n'en aura plus envie, tellement comblé déjà par le voyage, de merde peut-être aussi.