jeudi 28 avril 2011

Hideko Takamine est sublime, dans quand une femme monte l'escalier, de Mikio Naruse. Mizoguchi avait Kinuyo Tanaka. Ozu avait Setsuko Hara. Kurosawa, lui, avait Toshiro Mifune, c'était plus masculin, jusqu'à ce qu'ils rompent avec fracas. Naruse, peut-être moins possessif, partageait Hideko Takamine avec Keisuke Kinoshita. (La rivière Fuefuki, comme c'était beau, expérimental et classique à la fois... Et vingt-quatre prunelles alors... maîtresse petit caillou... comme j'ai pleuré, à la fin...) On l'a vue aussi chez Ozu. (Ah... les sœurs Munakata...) En fait, ils la voulaient tous, la belle Hideko... Dans quand une femme monte l'escalier, ils la veulent tous, aussi... Même si elle commence à vieillir, même si elle vomit du sang à cause de son ulcère... Son ulcère?... A cause de l'escalier, devoir le monter, tous les jours, quand on a horreur de ça... Naruse lui disait, à Hideko, avant de tourner : Vous n'êtes pas obligée de tout dire votre texte, si vous préférez l'exprimer autrement... Ils s'entendaient bien... Pas besoin de parler, souvent, on se comprend à demi-mot et même à pas de mot du tout... Le cinéma, ce n'est pas du blabla... Un visage, ce n'est pas qu'une bouche, c'est même souvent un paysage... Et celui d'Hideko alors, vous l'avez vu une fois, vous ne pouvez plus vous en détacher... Vous aussi, vous la voulez, Hideko!... Les paroles qui sortent de sa bouche sont plutôt une sorte de musique, un coup d'œil sur les sous-titres en anglais que vous comprenez à peu près vous apprennent que vous n'avez pas raté grand chose... Sa voix est une émanation de son corps, voilà, comme son parfum, le sens de ses paroles est finalement secondaire. (Le son détermine la phrase, disait Stan Getz...) C'est beau, le japonais, très expressif, musical, on saisit beaucoup de choses, de nuances, sans connaître la langue... Naruse est le dernier des quatre. Avant, ils n'étaient que trois, Ozu, Mizoguchi, Kurosawa, les trois piliers du cinéma classique japonais. Puis, sur le tard, à titre posthume, on a inclus Naruse. On n'arrivait pas à le situer, à le résumer, on ne le trouvait pas assez... japonais, zen... net... je ne sais pas quoi... On n'arrivait pas à l'adorer comme les trois autres... Il nous glissait entre les doigts, en somme... Il n'y a pas de héros, pas véritablement non plus de salauds... Tout le monde est sous la même lumière, disparaît dans la même obscurité... Les hommes, même si parfois ils sont veules comme chez Mizoguchi, ne sont pas que ça... Tout le monde a ses faiblesses... La femme n'a pas besoin d'être idéalisée pour être magnifique... (Même si, pour Naruse, La Femme, c'était Hideko Takamine...) [ Prononcer les "e" "é" et les "u" "ou"...]

vendredi 22 avril 2011



Là, il n'y a plus rien à dire. Du tout. Dire quoi? Tout a été dit. Ou alors rien. Faire du bruit avec la bouche. Croire que les mots ont du sens. Que les phrases, esquifs pleins de trous, ont du sens et nous emmènent dans ce sens, par là-bas, on ne sait pas trop où, sur des océans d'ignorance. De toutes façons, personne n'écoute. Mieux vaut siffler. Un air. Juste pour soi. Quelque chose qui passe par la tête. Plutôt que parler. Les oiseaux parlent-ils? Pour dire quoi? Salut, ça va?... il fait bien beau... j'ai mal au bec à cause que je suis rentré dans un carreau... et puis j'ai chié en vol sur la tête de deux tourtereaux, sur un banc, du travail de précision, si t'avais vu leur figure... Pas si bêtes, les oiseaux... Alors nous, à côté, ou plutôt en dessous, pleins d'idées, le prix du pain et puis le Verbe qui était là soi-disant au début. Pourquoi pas plutôt le si bémol?... Et à la fin, il y sera aussi, le Verbe? Et pendant tout ce temps, il était passé où?... Non, mieux vaut encore siffler... A Paris, il y a bien longtemps, une vieille dame tout émue dans une cage d'escalier m'a dit : Autrefois, quand j'étais jeune, les hommes sifflaient... vous m'avez rappelé ce temps-là... Le plus beau compliment qu'on m'ait fait... Des siffleurs, il n'y en a plus tant que ça...

dimanche 17 avril 2011










Avoir une bonne copine...


















Avoir un bon copain...
J'ai enfin vu Pauvre humanité et ballons de papier, de Sadao Yamanaka. Son dernier film, 1937. Il fut envoyé ensuite sur le front de Mandchourie, comme simple soldat (il n'était pas très bien vu des autorités), où il mourut de dysentrie, en 1938, il n'avait pas trente ans. Shinji Aoyama (voir, ou revoir, le formidable Eureka, un des très rares très grands films de ce début de millénaire) a dit de lui que s'il avait survécu, il aurait peut-être bien été respecté plus profondément que Mizoguchi, aimé plus fort qu'Ozu (il était très copain avec Ozu, sa mort affecta beaucoup ce dernier) et aurait subjugué plus encore que Kurosawa. (Il dit aussi qu'il est le Jean Vigo japonais. Sauf que Vigo, à côté, il n'a rien fait ou presque. L'atalante? Enlevez Michel Simon, qu'en reste-t-il?) A la toute fin de son testament, quelques mois avant sa mort : "Enfin, je dis à mes aînés et amis : S'il vous plaît, faites de bons films." Comme s'il n'y avait que ça qui comptait vraiment, faire de bons films... En fait, oui, il n'y avait que ça, qui comptait. On le comprend en découvrant Pauvre humanité et ballons de papier. Ce n'est pas une simple production pour divertir les foules, même si c'en est aussi une. Quelle maturité, pour un si jeune cinéaste. Quel style. Il a trouvé. Tout est juste. Il nous a promené dans son monde plein de tristesse, de joie, de cruauté, de poésie. Il filmait si bien la pluie, la nuit. Il savait si bien couper ses plans. (L'art du sabre.) Laisser l'action se dérouler ailleurs. Quand le coiffeur héroïque est sur le pont pour y être exécuté par le chef yakusa et sa bande, on ne sait pas trop ce qu'il sort de son kimono pour contrer l'arme du tueur. Son éventail? Sa pipe? En tout cas, son geste est très beau. Peu importe, finalement, que ce soit un éventail, une pipe ou un couteau. Ce qu'il dégaine, c'est son élégance, sa dégaine, son style. On ne le voit pas mourir. Tout comme on ne voit pas le double suicide du samouraï pauvre sans maître, avec sa femme, à la fin. On voit juste la lame du couteau qui luit dans la main de sa femme. Un ballon en papier qui descend le caniveau. C'est la victoire du style. Qu'ils aient été écrasés par la force, la vulgarité et la misère ne compte pas tant que ça, finalement. Ils ont fait ce qu'ils avaient à faire, avec tellement d'élégance... Le reste... Faites de bons films...

jeudi 14 avril 2011

Mon ancêtre le plus illustre, prénommé Marcelin, n'était peut-être pas un saint. Il fut guillotiné, début mars 1846, à Montbrison, dans la Loire. On n'en sait pas plus, ni le pourquoi, ni le comment. Un petit guillotiné, on dira. Il avait peut-être étranglé sa femme, ou quelque chose comme ça, une mégère peut-être même qui avait fait de sa vie un enfer, d'instinct (mon sang s'exprimant plutôt que ma raison) je n'imagine pas pour cet homme un motif politique ni le bandit de grand chemin... Ça devait être un drôle de spectacle, la guillotine. On devait s'y préparer comme pour la messe et même avec plus de soin encore, car ce n'était pas tous les dimanches, surtout dans les petites villes, c'était même bien plus rare que le cirque j'imagine. A Paris, le 18 novembre 1793, on exécuta un chien à coups de gourdin en même temps que l'on guillotinait son maître, chacun étant témoin du supplice de l'autre, car il avait mordu un envoyé républicain, le chien. Le 19 septembre 1793, pour l'exécution de Besse, dit "Piarrissou", colosse mendiant, je n'en sais pas plus, une première pour la Corrèze, le bourreau s'y reprit à quatre fois. En vain. C'est son épouse, qui termina le géant, au couteau de boucher, lequel devait servir aussi pour le gigot. Car c'était bien souvent une affaire de famille. La femme veillait au grain, au fourneau ainsi qu'à l'échafaud. Le fils cadet du bourreau Sanson, le 27 août 1792, lors de l'exécution de trois faux-monnayeurs, dont un abbé, tomba de l'échafaud et se tua. Il devait être en formation avec son père, le petit. Peut-être un peu fragile, novice, hypoglycémique, puceau de l'horreur comme disait l'autre, il a un peu tourné de l'œil, les jambes en coton, a perdu l'équilibre. Sombre journée pour les Sanson. Métier difficile. Et périlleux. (Le bourreau Roch, en 1829, perdit trois doigts en tentant de maintenir une tête récalcitrante dans la lunette.) Il fallait du sang-froid, des nerfs solides. De l'estomac. On ne compte pas les fois où le bourreau arriva saoul et salopa le boulot. Il y en eut même un qui fut guillotiné à son tour, ainsi que son aide, pour faute professionnelle, ou grave, je ne sais pas comment ils disaient à cette époque où ils n'avaient pas encore les prud'hommes. Il avait foiré la toute première exécution à Lyon, finissant son client au couteau, c'était dégoûtant, il transpirait énormément, il faut dire qu'il faisait lourd, Place des Terreaux, ce 15 juillet 1793, était couvert de sang, le manche glissait, le client remuait beaucoup tout en émettant de furieux gargouillements, des enfants à peine sevrés hurlaient, des femmes au premier rang, éclaboussées, s'évanouissaient, ou vomissaient, ou jouissaient... les hommes sifflaient, huaient, riaient... (Ainsi périt Joseph Chalier, révolutionnaire, qui prônait un salaire minimum pour les soyeux, entre autres, propulsé, peu de temps après, héros et martyr de la révolution... C'eût été un citoyen ordinaire, sur l'échafaud, le bourreau malchanceux (ainsi que son grouillot) n'eût peut-être bien reçu qu'un simple blâme...) Le bourreau Sénéchal, à Nantes, le 19 décembre 1793, exécuta d'affilée et impeccablement vingt hommes et sept femmes, finissant par quatre nobles et fort belles demoiselles, la plus jeune ayant seulement dix-sept ans. Ce jour-là, quelque chose se fissura en lui, il entendit même le bruit. Il ne fut plus jamais le même, après. (Pourtant, il avait du métier, en avait vu passer, des têtes... et mêmes d'enfants...) Moins d'un mois plus tard, hanté par les gracieuses suppliciées, il mit fin à ses jours. C'est qu'elles étaient drôlement jolies, les demoiselles, toutes fraîches et roses et élancées dans leurs corsets pigeonnants qu'on leur avait un peu délacés pour qu'elles pussent respirer plus librement, des cous si délicats, coupe Louise Brooks, toutes pâles soudain devant la mort... Leurs si beaux yeux, se révulsant dans le panier, leurs jolies bouches, silencieuses comme les poissons, cherchant de l'air encore un peu... S'il n'y avait eu que des moches, à la rigueur...

[ Bonus : Débat sur les effets de la guillotine

Paris, le 1er octobre 1794

La guillotine tue, on le sait bien. Mais la mort du supplicié coïncide-t-elle avec sa décapitation? Le débat agite violemment le monde médical depuis un an. L'Encyclopédie ne distinguait-elle pas déjà la "mort imparfaite" de la "mort absolue"? On rappelle l'anecdote célèbre selon laquelle la tête coupée de Marie Stuart aurait parlé. Plus récemment, les témoins de l'exécution de Charlotte Corday n'ont-ils pas vu son visage rougir d'indignation lorsque le bourreau l'avait giflée? Dans son Opinion sur le supplice de la guillotine, le chirurgien Sue, qui soutient la thèse de la "survie" du sentiment chez le  supplicié, écrit : "Quelle situation plus horrible que celle d'avoir le perception de son exécution et, à la suite, l'arrière-pensée de son supplice?" Devant cette "idée métaphysique" qui n'est que "le fruit de l'imagination", les médecins disciples des Lumières se sont mobilisés. Dans sa Note sur le supplice de la guillotine, Cabanis reconnaît dans les mouvements que l'on prête aux têtes coupées l'effet des seuls réflexes machinaux. Selon lui, le principe vital "n'a pas de siège exclusif" et "le moi n'existe que dans la vie générale". La raison est sauve, et l'horreur s'éloigne... ]

samedi 9 avril 2011

Les impatiences ne durent pas longtemps, chez moi. C'est délicat, les impatiences. Les cyclamens non plus ne durent pas longtemps. Il n'y a que le lierre du Diable, qui dure, chez moi. Il n'a pas besoin de beaucoup de lumière, sans pour autant la craindre. On peut l'arroser, oublier de l'arroser. Il s'adapte. Il est coriace.

mardi 5 avril 2011


Il y a toujours la même rampe d'escaliers. Derrière le bâtiment, dans un recoin, il y a toujours le mur aux fusillés. Il n'y avait pas de salle de bain. Les wc, à la turque, étaient au rez-de-chaussée, mais j'étais encore trop petit pour y aller et je faisais mes affaires dans un pot jaune qui sentait l'eau de javel. J'avais peur de descendre tout seul à la cave. Il fallait passer devant les cachots. Dedans, même si je ne voyais pas, il y avait parfois des gens qui hurlaient, ou qui geignaient, ou qui toussaient, ou qui étaient silencieux, ce qui était encore plus inquiétant. Un jour, dans la cour, j'ai vu les gendarmes passer au jet un clochard saoul qui s'était chié dessus. Il braillait. Ils rigolaient. Eux-aussi, les gendarmes, ils buvaient. Ils étaient souvent grands et gras, nez comme des fraises trop mûres. Mon père, lui, ne buvait pas. Il sentait le café au lait et le tabac brun. C'était réconfortant. Ma mère sentait le lait un peu suret et le parfum, car elle en vendait, du parfum, c'était parfois écœurant, le mélange des deux. Mais elle avait les mains douces. Il y avait des fantômes, la nuit, dans les rideaux en tulle, des longues femmes maigres et pâles, qui me guettaient, des bêtes tapies sous le lit, et des prisonniers dans les cachots, en bas. En haut comme en bas, c'était peu rassurant. Derrière, au fond de la cour, il y avait un muret, un peu plus haut que moi. Au delà, il y avait un passage, gardé par un grand chien noir, qui grognait dès qu'on approchait, babines toutes retroussées, bondissait à presque s'étrangler au bout de sa chaîne. Il avait le cou à vif. On disait qu'il était fou. Au delà, il y avait la voie de chemin de fer. Je me disais qu'un jour ou l'autre, il faudrait que je l'affronte, le grand chien noir, si je voulais m'en aller. J'en ai rêvé tellement souvent, de ce chien noir. Un bruit de chaîne sur le goudron. Un jour, bien plus tard, ailleurs, à l'autre bout du monde, dans les ruines d'un bagne où j'avais abouti je ne savais trop comment, je l'ai retrouvé, le grand chien noir. Bien des choses s'étaient passées entre temps. Il ne m'a pas dévoré. Il est juste venu vers moi, comme si on se connaissait depuis toujours. Il m'a d'abord remarqué, de loin, se figeant soudain, puis est venu en trottant, sans me quitter des yeux, puis m'a léché la main, mon grand chien noir.

dimanche 3 avril 2011

Leila 4, m'a offert (à moi, 44) ce très beau dessin, il y a peut-être deux mois. Je lui ai dit que je l'exposerais dans ma cuisine. Depuis, je me perds dans sa contemplation, à la fois ébahi et inquiet. (Son père est directeur de prison. Je ne le connais pas. Mais si un jour je vais en prison, sait-on jamais, connaître la mère de sa fille me sera peut-être utile, je me dis, toujours pragmatique. J'ai remarqué qu'il avait plein de disques de John Coltrane, dans ses étagères toutes bien étiquetées...) Sa mère, jolie, douce, cérébrale doctoresse es sciences sociales que je n'avais pas vue depuis bien dix ans, m'a le même jour vivement recommandé la lecture d'Edgar Hilsenrath. (Beaucoup aimé Fuck America, et encore plus le retour au pays de Jossel Wassermann.) Merci, les filles...