dimanche 17 avril 2011

J'ai enfin vu Pauvre humanité et ballons de papier, de Sadao Yamanaka. Son dernier film, 1937. Il fut envoyé ensuite sur le front de Mandchourie, comme simple soldat (il n'était pas très bien vu des autorités), où il mourut de dysentrie, en 1938, il n'avait pas trente ans. Shinji Aoyama (voir, ou revoir, le formidable Eureka, un des très rares très grands films de ce début de millénaire) a dit de lui que s'il avait survécu, il aurait peut-être bien été respecté plus profondément que Mizoguchi, aimé plus fort qu'Ozu (il était très copain avec Ozu, sa mort affecta beaucoup ce dernier) et aurait subjugué plus encore que Kurosawa. (Il dit aussi qu'il est le Jean Vigo japonais. Sauf que Vigo, à côté, il n'a rien fait ou presque. L'atalante? Enlevez Michel Simon, qu'en reste-t-il?) A la toute fin de son testament, quelques mois avant sa mort : "Enfin, je dis à mes aînés et amis : S'il vous plaît, faites de bons films." Comme s'il n'y avait que ça qui comptait vraiment, faire de bons films... En fait, oui, il n'y avait que ça, qui comptait. On le comprend en découvrant Pauvre humanité et ballons de papier. Ce n'est pas une simple production pour divertir les foules, même si c'en est aussi une. Quelle maturité, pour un si jeune cinéaste. Quel style. Il a trouvé. Tout est juste. Il nous a promené dans son monde plein de tristesse, de joie, de cruauté, de poésie. Il filmait si bien la pluie, la nuit. Il savait si bien couper ses plans. (L'art du sabre.) Laisser l'action se dérouler ailleurs. Quand le coiffeur héroïque est sur le pont pour y être exécuté par le chef yakusa et sa bande, on ne sait pas trop ce qu'il sort de son kimono pour contrer l'arme du tueur. Son éventail? Sa pipe? En tout cas, son geste est très beau. Peu importe, finalement, que ce soit un éventail, une pipe ou un couteau. Ce qu'il dégaine, c'est son élégance, sa dégaine, son style. On ne le voit pas mourir. Tout comme on ne voit pas le double suicide du samouraï pauvre sans maître, avec sa femme, à la fin. On voit juste la lame du couteau qui luit dans la main de sa femme. Un ballon en papier qui descend le caniveau. C'est la victoire du style. Qu'ils aient été écrasés par la force, la vulgarité et la misère ne compte pas tant que ça, finalement. Ils ont fait ce qu'ils avaient à faire, avec tellement d'élégance... Le reste... Faites de bons films...

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