jeudi 14 avril 2011

Mon ancêtre le plus illustre, prénommé Marcelin, n'était peut-être pas un saint. Il fut guillotiné, début mars 1846, à Montbrison, dans la Loire. On n'en sait pas plus, ni le pourquoi, ni le comment. Un petit guillotiné, on dira. Il avait peut-être étranglé sa femme, ou quelque chose comme ça, une mégère peut-être même qui avait fait de sa vie un enfer, d'instinct (mon sang s'exprimant plutôt que ma raison) je n'imagine pas pour cet homme un motif politique ni le bandit de grand chemin... Ça devait être un drôle de spectacle, la guillotine. On devait s'y préparer comme pour la messe et même avec plus de soin encore, car ce n'était pas tous les dimanches, surtout dans les petites villes, c'était même bien plus rare que le cirque j'imagine. A Paris, le 18 novembre 1793, on exécuta un chien à coups de gourdin en même temps que l'on guillotinait son maître, chacun étant témoin du supplice de l'autre, car il avait mordu un envoyé républicain, le chien. Le 19 septembre 1793, pour l'exécution de Besse, dit "Piarrissou", colosse mendiant, je n'en sais pas plus, une première pour la Corrèze, le bourreau s'y reprit à quatre fois. En vain. C'est son épouse, qui termina le géant, au couteau de boucher, lequel devait servir aussi pour le gigot. Car c'était bien souvent une affaire de famille. La femme veillait au grain, au fourneau ainsi qu'à l'échafaud. Le fils cadet du bourreau Sanson, le 27 août 1792, lors de l'exécution de trois faux-monnayeurs, dont un abbé, tomba de l'échafaud et se tua. Il devait être en formation avec son père, le petit. Peut-être un peu fragile, novice, hypoglycémique, puceau de l'horreur comme disait l'autre, il a un peu tourné de l'œil, les jambes en coton, a perdu l'équilibre. Sombre journée pour les Sanson. Métier difficile. Et périlleux. (Le bourreau Roch, en 1829, perdit trois doigts en tentant de maintenir une tête récalcitrante dans la lunette.) Il fallait du sang-froid, des nerfs solides. De l'estomac. On ne compte pas les fois où le bourreau arriva saoul et salopa le boulot. Il y en eut même un qui fut guillotiné à son tour, ainsi que son aide, pour faute professionnelle, ou grave, je ne sais pas comment ils disaient à cette époque où ils n'avaient pas encore les prud'hommes. Il avait foiré la toute première exécution à Lyon, finissant son client au couteau, c'était dégoûtant, il transpirait énormément, il faut dire qu'il faisait lourd, Place des Terreaux, ce 15 juillet 1793, était couvert de sang, le manche glissait, le client remuait beaucoup tout en émettant de furieux gargouillements, des enfants à peine sevrés hurlaient, des femmes au premier rang, éclaboussées, s'évanouissaient, ou vomissaient, ou jouissaient... les hommes sifflaient, huaient, riaient... (Ainsi périt Joseph Chalier, révolutionnaire, qui prônait un salaire minimum pour les soyeux, entre autres, propulsé, peu de temps après, héros et martyr de la révolution... C'eût été un citoyen ordinaire, sur l'échafaud, le bourreau malchanceux (ainsi que son grouillot) n'eût peut-être bien reçu qu'un simple blâme...) Le bourreau Sénéchal, à Nantes, le 19 décembre 1793, exécuta d'affilée et impeccablement vingt hommes et sept femmes, finissant par quatre nobles et fort belles demoiselles, la plus jeune ayant seulement dix-sept ans. Ce jour-là, quelque chose se fissura en lui, il entendit même le bruit. Il ne fut plus jamais le même, après. (Pourtant, il avait du métier, en avait vu passer, des têtes... et mêmes d'enfants...) Moins d'un mois plus tard, hanté par les gracieuses suppliciées, il mit fin à ses jours. C'est qu'elles étaient drôlement jolies, les demoiselles, toutes fraîches et roses et élancées dans leurs corsets pigeonnants qu'on leur avait un peu délacés pour qu'elles pussent respirer plus librement, des cous si délicats, coupe Louise Brooks, toutes pâles soudain devant la mort... Leurs si beaux yeux, se révulsant dans le panier, leurs jolies bouches, silencieuses comme les poissons, cherchant de l'air encore un peu... S'il n'y avait eu que des moches, à la rigueur...

[ Bonus : Débat sur les effets de la guillotine

Paris, le 1er octobre 1794

La guillotine tue, on le sait bien. Mais la mort du supplicié coïncide-t-elle avec sa décapitation? Le débat agite violemment le monde médical depuis un an. L'Encyclopédie ne distinguait-elle pas déjà la "mort imparfaite" de la "mort absolue"? On rappelle l'anecdote célèbre selon laquelle la tête coupée de Marie Stuart aurait parlé. Plus récemment, les témoins de l'exécution de Charlotte Corday n'ont-ils pas vu son visage rougir d'indignation lorsque le bourreau l'avait giflée? Dans son Opinion sur le supplice de la guillotine, le chirurgien Sue, qui soutient la thèse de la "survie" du sentiment chez le  supplicié, écrit : "Quelle situation plus horrible que celle d'avoir le perception de son exécution et, à la suite, l'arrière-pensée de son supplice?" Devant cette "idée métaphysique" qui n'est que "le fruit de l'imagination", les médecins disciples des Lumières se sont mobilisés. Dans sa Note sur le supplice de la guillotine, Cabanis reconnaît dans les mouvements que l'on prête aux têtes coupées l'effet des seuls réflexes machinaux. Selon lui, le principe vital "n'a pas de siège exclusif" et "le moi n'existe que dans la vie générale". La raison est sauve, et l'horreur s'éloigne... ]

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire