jeudi 15 décembre 2011

Mon oncle n'aura pas eu une vie très heureuse. Il en a passé l'essentiel dans son lit, à contempler le plafond tout lézardé, jaunasse, taché d'humidité. Funestes fantasmagories. Les bois de lit sculptés semblaient avoir des yeux, globuleux, malsains, qui vous guettaient, attendant le moment... Les camions, en passant dans la rue, la nuit, faisaient trembler les vitres, à une époque, puis ils n'ont plus eu le droit de passer dans la rue. Il n'y avait plus que le balancier du carillon westminster, mat, pour meubler le silence. Il y avait aussi plusieurs réveils mécaniques déréglés dont les trotteuses, plus pointues, faisaient la course, une course monotone, elles se rattrapaient, se dépassaient puis se mettaient à perdre du terrain quand juste avant elles en gagnaient, c'était sans fin. Le plancher qui craquait quand il allait au cabinet, de son pas lourd et lent, ou quand la mémé allait au cabinet, de son pas lourd et lent, parce qu'il était retourné chez sa mère, à 35 ans. D'ailleurs, c'est avec sa mère, qu'il est parti s'installer dans la maison de vieux qui était juste à côté. (Ils avaient des chambres mitoyennes.) C'est là qu'il est mort, un an peut-être avant sa mère. Il est monté sur une chaise, pour remonter son carillon westminster, car dans la maison de vieux on pouvait amener ses affaires et alors il était venu avec son carillon westminster, ses bois de lit pleins d'yeux, ses chaises en formica, son armoire, sa table de nuit sur laquelle étaient posés son réveil, sa lampe de chevet ainsi que sa petite radio qui lui donnait le résultat des courses de chevaux et même parfois les courses en direct, s'il avait pu il aurait emmené peut-être aussi le plafond car là-bas, dans la maison de vieux, le plafond était tout blanc et il n'y avait donc plus grand chose à regarder, parce qu'un plafond tout blanc c'est un peu comme un ciel tout bleu, pas très causant. Sur sa chaise en formica, en remontant son carillon westminster, il a perdu l'équilibre, il est tombé. Peu avant l'aube, il était mort. Sa mère était à son chevet, lui passait un gant de toilette mouillé sur le front, lui disait mon petit... mon petit... mon pauv' petit... Maman... il a dit... Puis il est mort. (Son fils n'est pas venu à l'enterrement. Mais il est venu récupérer les sous à la banque.)

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