mercredi 28 décembre 2011

Ceci n'est pas une décoration militaire. Ni un symbole religieux. C'est une croix de malte, le cœur du projecteur, ce qui permettait à l'image de s'arrêter 24 fois par seconde dans le couloir de projection. C'était caché, dans un bain d'huile. Une belle invention, simple et pure, évidente, qui depuis plus d'un siècle fonctionnait à merveille. Mais le ferrailleur est passé, hélas. Fin d'une époque. Fin du cinéma. J'ai une croix de guerre aussi, de la guerre de 14, de mon grand-père paternel que j'ai très peu connu. On dit que la Grande Guerre marque le véritable début du XXème siècle. Pour moi, c'est le cinéma, qui marque le véritable début du XXème siècle. La croix de malte plutôt que la croix de guerre. Et la fin du XXème siècle et donc le début du suivant, ce n'est pas le 11 septembre 2001, alors, mais 10 ans plus tard, en septembre également, quand j'ai vu dans le hall du cinéma où je travaillais un gros tas de ferraille. Ce gros tas de ferraille, c'était le cinéma. (Qui était bien moribond, il faut dire, depuis longtemps, il était peut-être temps de l'achever.) Un peu naïvement, j'avais espéré que les deux technologies cohabiteraient. Une projection numérique, pourquoi pas, si on n'a rien de mieux, je me disais. Mais l'argent est roi... Et le spectateur est un veau... Les salles de cinéma sont devenues des salles de home cinéma. Plus grand chose à voir avec le cinéma. C'est juste plus grand qu'à la maison. C'est génial, maintenant on peut même voir des matchs de foot, des opéras... Parce que le ferrailleur est passé... Personne n'a vraiment protesté... Les soi-disant gardiens du temple, qu'ils soient directeurs de festivals, de cinémathèques, cinéastes connus et reconnus, journalistes, ont tous applaudi... (Ah... Monsieur Frémaux, au festival Lumière, s'enthousiasmant devant une salle comble et un parterre de personnalités influentes, maire de Lyon et patron de Pathé avec lui sur le devant de la scène, ravis, se congratulant, se faisant même des cadeaux, la Grande Famille, disant qu'on allait voir les enfants du paradis comme on ne l'avait jamais vu avant... petits veinards... C'est à dire comme à la télé, j'aurais dû conclure en lui arrachant le micro, sauf que c'était moi qui lançais la séance, à la souris...) C'est le Progrès... L'image était vivante. Elle ne l'est plus. Et la main qui faisait fonctionner tout ça n'a plus aucune utilité. Et moi non plus alors je n'ai plus aucune utilité, puisque la main c'était la mienne. Depuis septembre, je n'ai plus vu de films au cinéma. (J'ai déjà une télé.) Voilà, 2011, Mouchette est morte et quelques mois plus tard le cinéma l'a suivie dans la tombe. Comme elle me manque encore, Mouchette. Et le cinéma, aussi... Tous ces gestes que je ne ferai plus... Le claquement du volet qui s'ouvre... je sursautais toujours un peu... Alors, par ce sursaut, quelque chose d'autre commençait...

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