Il n'a plus 20 ans. Elle en a tout juste 18. Il fait la course avec deux jeunes cons de 20 ans. Il veut prouver qu'il a la plus grosse, tout en sachant qu'il n'a pas la plus grosse, la plus puissante, la plus rapide bagnole. Il s'invente des histoires. Il est tout seul, en fait. Il est gentil. Il est paumé. Il est triste. Il ramasse des autostoppeurs. Il frime un peu, gentiment. Il est un peu ringard. Il a des mocassins à glands, dans le coffre un mini bar. Parce qu'il n'a plus 20 ans. Il a raté sa vie. Maintenant, il est sur la route, dans sa pontiac GTO flambant neuve. Il ne sait pas où il va. Les jeunes cons non plus ne savent pas où ils vont, mais ils s'en fichent, ce qu'ils veulent c'est faire la course, avoir la plus grosse, la plus puissante, la plus nerveuse, entendre le vrombissement du moteur, dans leur chevrolet 55. Eux, ils ne sont pas ringards. Ils sont cool. Parce qu'ils sont jeunes. La fille, de toutes façons, elle s'en fout, de qui a la plus grosse. Ils sont chiants, ces garçons, avec leur bagnole, même quand ils sont jeunes et cool, à 40 ans ça en devient pathétique. Elle aimerait autre chose, elle, même si elle ne sait pas vraiment quoi. Lui aussi, il aimerait autre chose et il sait très bien quoi, sauf qu'il n'a plus 20 ans et qu'il est complètement largué. Il aimerait repartir de zéro, de nouveau avoir 20 ans, ne pas avoir vécu cette vie de merde. En même temps, il sait bien que c'est impossible. Alors, il se raconte des histoires... On va se poser baby, on construira une maison, tu verras, on sera bien... Elle ne l'entend pas, parce qu'elle dort... C'est parce qu'elle dort, qu'il ose lui dire... Parce qu'il sait très bien qu'elle s'en fout, de la maison, tout comme de la bagnole... Il pourrait même lui dire n'importe quoi, endormie ou éveillée, ce serait toujours pareil, elle s'en foutrait, parce qu'elle aimerait autre chose, même si elle ne sait pas vraiment quoi... Mais il lui dit quand même, pendant qu'elle dort, parce qu'il a besoin de se raconter des histoires...
vendredi 30 décembre 2011
mercredi 28 décembre 2011
Ceci n'est pas une décoration militaire. Ni un symbole religieux. C'est une croix de malte, le cœur du projecteur, ce qui permettait à l'image de s'arrêter 24 fois par seconde dans le couloir de projection. C'était caché, dans un bain d'huile. Une belle invention, simple et pure, évidente, qui depuis plus d'un siècle fonctionnait à merveille. Mais le ferrailleur est passé, hélas. Fin d'une époque. Fin du cinéma. J'ai une croix de guerre aussi, de la guerre de 14, de mon grand-père paternel que j'ai très peu connu. On dit que la Grande Guerre marque le véritable début du XXème siècle. Pour moi, c'est le cinéma, qui marque le véritable début du XXème siècle. La croix de malte plutôt que la croix de guerre. Et la fin du XXème siècle et donc le début du suivant, ce n'est pas le 11 septembre 2001, alors, mais 10 ans plus tard, en septembre également, quand j'ai vu dans le hall du cinéma où je travaillais un gros tas de ferraille. Ce gros tas de ferraille, c'était le cinéma. (Qui était bien moribond, il faut dire, depuis longtemps, il était peut-être temps de l'achever.) Un peu naïvement, j'avais espéré que les deux technologies cohabiteraient. Une projection numérique, pourquoi pas, si on n'a rien de mieux, je me disais. Mais l'argent est roi... Et le spectateur est un veau... Les salles de cinéma sont devenues des salles de home cinéma. Plus grand chose à voir avec le cinéma. C'est juste plus grand qu'à la maison. C'est génial, maintenant on peut même voir des matchs de foot, des opéras... Parce que le ferrailleur est passé... Personne n'a vraiment protesté... Les soi-disant gardiens du temple, qu'ils soient directeurs de festivals, de cinémathèques, cinéastes connus et reconnus, journalistes, ont tous applaudi... (Ah... Monsieur Frémaux, au festival Lumière, s'enthousiasmant devant une salle comble et un parterre de personnalités influentes, maire de Lyon et patron de Pathé avec lui sur le devant de la scène, ravis, se congratulant, se faisant même des cadeaux, la Grande Famille, disant qu'on allait voir les enfants du paradis comme on ne l'avait jamais vu avant... petits veinards... C'est à dire comme à la télé, j'aurais dû conclure en lui arrachant le micro, sauf que c'était moi qui lançais la séance, à la souris...) C'est le Progrès... L'image était vivante. Elle ne l'est plus. Et la main qui faisait fonctionner tout ça n'a plus aucune utilité. Et moi non plus alors je n'ai plus aucune utilité, puisque la main c'était la mienne. Depuis septembre, je n'ai plus vu de films au cinéma. (J'ai déjà une télé.) Voilà, 2011, Mouchette est morte et quelques mois plus tard le cinéma l'a suivie dans la tombe. Comme elle me manque encore, Mouchette. Et le cinéma, aussi... Tous ces gestes que je ne ferai plus... Le claquement du volet qui s'ouvre... je sursautais toujours un peu... Alors, par ce sursaut, quelque chose d'autre commençait...
mercredi 21 décembre 2011
Elle était drôlement jolie, Maureen O' Sullivan, dans Tarzan l'homme singe. Drôlement sensuelle aussi et coquine. On la voit même nageant toute nue, dans Tarzan et sa compagne il me semble, mon préféré de la série, celui de Cedric Gibbons, le grand décorateur hollywoodien. Tarzan vivait comme un singe dans les arbres, très simplement, pas du tout matérialiste. Avec Jane, tout va changer, la super cabane dans les arbres, avec tout le confort moderne, l'eau courante, même un ascenseur, actionné par un éléphant. Ça me faisait tellement rêver, quand j'étais gamin, les Tarzan avec Johnny Weissmuller et Maureen O'Sullivan. A dix ans, en gros, il y avait Charlot, King Kong, John Wayne, Tarzan... A 45 ans, Maureen O' Sullivan me fait toujours rêver... et envie... Finalement, Tarzan devient son esclave... Elle veut une maison dans les arbres? Un lave-vaisselle? Un ascenseur? Il suffit de demander... Esclave domestique, esclave sexuel aussi, parce que c'est du sexe, Tarzan, surtout... Elle sait y faire, Jane... Et Tarzan, qui n'avait jamais connu la femme, tombe dans le piège, lui qui était un homme libre, un grand singe distingué, qui jouait, chassait, dormait... What else?... Là, il devient constructeur... Ou plutôt ouvrier, esclave, car la tête pensante, c'est Jane, la maîtresse (de maison), la civilisation... Elle est attirée par la vie sauvage, la simplicité et en même temps il lui faut un certain confort, une certaine sophistication... C'est la femme moderne, Jane, la bobo bio... En même temps, on le comprend bien Tarzan, il ferait n'importe quoi, si elle le lui demandait... Parce qu'elle est quand même sacrément jolie, cette petite, et vive, et drôle et elle doit sentir tellement bon... Et puis il n'est pas complètement esclave... Il est toujours roi de la jungle, avec ses potes les éléphants et les grands singes... Il faut bien faire des concessions... Il n'aurait pas pu continuer longtemps à vivre avec elle sur une simple peau de bête dans une vague hutte dans les arbres... Il fallait s'installer... Ça a un prix... J'aurais fait pareil... si dans ma jungle une Jane était restée, forcément... esclave domestique et sexuel... tout le confort moderne... Mais, en même temps, quand même, roi de la jungle... (PS : La maison dans les arbres, avec eau courante et ascenseur, ce sera dans le troisième volet, Tarzan s'évade (1936). Le sénateur Hays est passé par là. On ne verra plus jamais, hélas, le joli derrière de Maureen O' Sullivan. La mode a changé. Fini les échancrures polissonnes... Un short sous sa robe ras le cou, qui fait aussi costume de bain... Tarzan, en bout de table, découpe le gigot de gnou pour les invités... L'ambiance a changé...)
lundi 19 décembre 2011
Peut-être deux sœurs. Deux gamines qui ont l'air déjà de vieilles femmes. Elles ont la même robe. Le même collier. Les mêmes collants blancs. Le même menton peut-être. Mais la ressemblance s'arrête là. L'une est plus triste que l'autre, plus accablée par on ne sait quoi, la vie peut-être. L'autre est plus dure, semble avoir plus d'énergie, être moins accablée par la vie peut-être. Un jour particulier. Un dimanche, une fête à la campagne peut-être. Le même bouquet de je ne sais quoi, pas des fleurs, juste des feuilles. Difficile de dire qui est l'aînée, qui domine et qui est dominée. L'une nous regarde et l'autre regarde à côté, peut-être quelqu'un, ou quelque chose, ou alors dans le vide, dans ses pensées. La photo a été déchirée à deux endroits, peut-être dans un accès de rage, puis rafistolée. C'est peut-être ma grand-mère, à droite, qui s'appuie sur l'épaule de sa grande sœur, même si je ne la reconnais pas. C'est sans doute ma grand-mère qui a déchiré la photo. Elle s'était peut-être fâchée avec sa sœur. Ou bien elle n'était pas sur la photo et s'était fâchée avec les deux ou l'une des deux. Parce qu'elle se fâchait beaucoup, ma grand-mère, faisait souvent des histoires qui souvent dégénéraient. Ils en venaient aux mains même parfois. Des histoires de famille. Mais aussi de voisinage. Ça l'occupait. Ça l'occupait même beaucoup. C'était même toute sa vie, faire des histoires. Elle embrouillait la tête de mon pauvre grand-père pour qu'il aille corriger sa belle sœur soi-disant adultère et il y allait, rouge de colère et de vin, lui qui était un homme pourtant si tranquille. Elle l'énervait, le faisait sortir de ses gonds et alors c'était parfois elle qui ramassait, même si elle avait du répondant. Ce genre d'histoire. Même à plus de 90 ans, elle continuait de regarder les gens de travers avec son regard noir et maugréer des vacheries à la moindre occasion, mégère jamais apprivoisée. Elle avait peut-être ses raisons d'être aussi hargneuse, d'en vouloir au monde entier. Elle s'était mariée enceinte jusqu'aux yeux avec mon grand-père qui n'était peut-être pas responsable de la chose, on disait, tout bas. Le prince charmant l'avait peut-être engrossée, avant de disparaître, qui sait... Cette photo, en tout cas, m'a toujours fait un drôle d'effet, depuis tout gamin, quand je regardais les photos dans la boîte de ma grand-mère... Deux sœurs... pas jumelles... Il en émane une étrangeté, un mystère... La lumière, ou la tache, dans le coin gauche... Elles n'ont pas les mêmes chaussures... Des bouquets sans fleurs...
dimanche 18 décembre 2011
On se demande qui il est, ce qu'il fout là, avec sa moustache. Un copain de régiment, peut-être, on se dit. Ou bien un vague cousin. Il a l'air sympa en tout cas. Viens sur la photo! on a dû lui dire. Allez, viens!... Parce qu'il ne voulait peut-être pas, lui, être sur la photo. Il me semble l'avoir déjà vu, sur des photos de régiment peut-être. C'est peut-être lui qui a essayé de reprendre contact avec mon père, plus de dix ans après sa mort. Apprenant qu'il n'était plus de ce monde, il s'était mis à pleurer au téléphone, le copain de régiment, parlant de son Jeannot, comme ils étaient copains, dans le temps, comme il aurait aimé le revoir, il y pensait tellement souvent, depuis plus de quarante ans, à son Jeannot... Quand on traîne trop... Il a envoyé par la suite à ma mère tout un album où on les voit tous les deux, son Jeannot et lui, en Algérie, c'était la guerre, mais ils étaient dans les bureaux, c'était le bon temps, Philippeville, la jeunesse, la plage, le soleil... Ça me fait penser que moi je n'ai aucune photo de régiment et aucune nostalgie de ce temps... (Ma mère aurait tellement aimé avoir une photo de son fils en uniforme...) Et puis je vois mon grand-père, sa dégaine toujours impeccable... Comme il se tenait près de sa fille, comme il en était fier, de sa fille et comme il l'aimait bien lui aussi, son Jeannot... C'était dans l'allée, à côté du jardin...
jeudi 15 décembre 2011
Mon oncle n'aura pas eu une vie très heureuse. Il en a passé l'essentiel dans son lit, à contempler le plafond tout lézardé, jaunasse, taché d'humidité. Funestes fantasmagories. Les bois de lit sculptés semblaient avoir des yeux, globuleux, malsains, qui vous guettaient, attendant le moment... Les camions, en passant dans la rue, la nuit, faisaient trembler les vitres, à une époque, puis ils n'ont plus eu le droit de passer dans la rue. Il n'y avait plus que le balancier du carillon westminster, mat, pour meubler le silence. Il y avait aussi plusieurs réveils mécaniques déréglés dont les trotteuses, plus pointues, faisaient la course, une course monotone, elles se rattrapaient, se dépassaient puis se mettaient à perdre du terrain quand juste avant elles en gagnaient, c'était sans fin. Le plancher qui craquait quand il allait au cabinet, de son pas lourd et lent, ou quand la mémé allait au cabinet, de son pas lourd et lent, parce qu'il était retourné chez sa mère, à 35 ans. D'ailleurs, c'est avec sa mère, qu'il est parti s'installer dans la maison de vieux qui était juste à côté. (Ils avaient des chambres mitoyennes.) C'est là qu'il est mort, un an peut-être avant sa mère. Il est monté sur une chaise, pour remonter son carillon westminster, car dans la maison de vieux on pouvait amener ses affaires et alors il était venu avec son carillon westminster, ses bois de lit pleins d'yeux, ses chaises en formica, son armoire, sa table de nuit sur laquelle étaient posés son réveil, sa lampe de chevet ainsi que sa petite radio qui lui donnait le résultat des courses de chevaux et même parfois les courses en direct, s'il avait pu il aurait emmené peut-être aussi le plafond car là-bas, dans la maison de vieux, le plafond était tout blanc et il n'y avait donc plus grand chose à regarder, parce qu'un plafond tout blanc c'est un peu comme un ciel tout bleu, pas très causant. Sur sa chaise en formica, en remontant son carillon westminster, il a perdu l'équilibre, il est tombé. Peu avant l'aube, il était mort. Sa mère était à son chevet, lui passait un gant de toilette mouillé sur le front, lui disait mon petit... mon petit... mon pauv' petit... Maman... il a dit... Puis il est mort. (Son fils n'est pas venu à l'enterrement. Mais il est venu récupérer les sous à la banque.)
mardi 13 décembre 2011
On nous fait tout un boniment en ce moment avec Tom Cruise, Action Tom j'ai entendu dire qu'on l'appelait, qui fait lui-même ses cascades, qu'il serait intrépide, ferait des trucs incroyables que lui seul aurait les couilles... Ça ferait bien rire Harold Lloyd, Buster Keaton et les autres qui eux ne s'en vantaient pas et se cassaient vraiment des os, se brisaient le cou voire même perdaient des doigts et ça ne les empêchait jamais de recommencer, puisqu'ils étaient encore vivants. Oui, mais c'était de la poésie. Oui... Non, finalement, ça ne les ferait pas rire du tout, de voir Tom Cruise, l'Action Tom... Et moi non plus ça ne me fait pas rire du tout... Si Harold était tombé, ce jour-là, il serait mort, c'est la grande différence, même s'il y en a bien d'autres tout aussi grandes. Il y avait un plateau, 3 mètres au dessous, avec un matelas, au cas où. Sauf qu'après la scène, ils se sont rendus compte, en lâchant un mannequin, qu'Harold aurait sans doute rebondi dessus de travers et se serait sans doute finalement écrasé dans la rue bien plus bas. Action Tom... Comment est-on tombé si bas?... Ça ne serait plus possible, aujourd'hui, de faire ce qu'ils faisaient, Harold Lloyd, Buster Keaton et tant d'autres. A cause des assurances notamment. Parce que les assureurs de l'Action Tom, ils ne seraient pas d'accord... De toutes façons, l'Action Tom, il chierait dans son froc, même si ça ne lui viendrait pas même à l'esprit, de faire ce qu'ils faisaient, Harold Lloyd, Buster Keaton et tant d'autres, parce que c'était complètement fou, c'était de la poésie et ce genre de poésie, en permanence sur le fil, est bien souvent une question de vie ou de mort. Action Tom, quelle rigolade, ou plutôt quelle tristesse... Être tombé si bas, quand on était monté si haut... (Je ne parle pas pour Tom Cruise, évidemment, mais pour le cinéma.) On riait tellement bien, en ce temps-là... On ne rit jamais aussi bien, aussi fort, qu'au bord du gouffre... sans assurance...
Avant, on rêvait mieux, quand même, je me dis, après here comes Mr. Jordan. On riait mieux aussi. On pleurait mieux aussi. Au cinéma. Il est boxeur, se crashe en avion même s'il a son saxophone porte-bonheur, dont il ne sait jouer qu'un air, son air, rengaine dans le genre de celles qu'Albert Ayler affectionna tant quelques années plus tard. D'ailleurs, je ne serais pas étonné d'apprendre que c'est après avoir vu ce film qu'Albert Ayler a vraiment trouvé son style, sa voix. (Il recevait souvent des menaces de mort, à cause de son style, de sa voix, qui pouvait déplaire à certains. On l'a retrouvé noyé, mystérieusement, dans l'East River, en 1970. La première fois que je l'ai entendu, un soir, à la radio, c'était summertime, ma vie a changé, vraiment. C'était à l'époque où je soufflais beaucoup aussi dans mon saxophone.) On rêvait mieux, je disais. Il se crashe en avion. Sauf que le collecteur d'âmes le collecte trop tôt. Ce n'était pas son heure. Maintenant, il s'agit de retrouver un corps. Variation, donc, sur le ciel peut attendre, ça donne envie de revoir les versions de Lubitsch et de Powell. C'était l'époque du jazz, on prenait un thème, on le jouait, ça n'emmenait jamais au même endroit, on ne s'en lassait jamais. Alexander Hall s'en sort très bien, très sobrement. J'essayerai d'en voir d'autres. En tout cas, je n'oublierai pas son nom, même si l'Histoire l'a peut-être un peu oublié. Mais qu'est-ce que l'Histoire? Chacun se fait la sienne. De mon point de vue, c'est toujours mieux en minuscule.
dimanche 11 décembre 2011
J'ai la tête vide. Dure, plate et vide. Et ronde. J'ai l'air parfois de réfléchir. Mais je ne réfléchis pas. Je ne réfléchis rien. J'absorbe. Comme un trou noir j'absorbe. Tout se perd dedans, dans ma tête dure, plate et vide. Et ronde. Ça ne devient rien. Ça ne se reforme pas de l'autre côté. Parce qu'il n'y a pas d'autre côté. (Une bouche, mais pas de trou du cul.) Ça se perd, dedans, nulle part, car dedans il n'y a rien, il n'y aura jamais rien, c'est ainsi, même si certains vous diront qu'il y a quelque chose, qu'il y a même tout un monde en fait et que rien ne se perd, il n'y a rien, dedans, en fait, c'est tout vide et tout ce qui est absorbé dedans devient rien, se dissout dans ce rien, ce rien qui a toujours le même volume, toujours la même densité, c'est à dire qu'il n'a aucun volume et n'est qu'indensité. S'il n'y avait pas mes mains, ma tête tomberait, c'est cela qu'il faut voir, l'important ce sont les mains qui maintiennent ma tête dure, plate et vide et ronde qui sinon tomberait et on se trompe en pensant que derrière il y aurait un visage car derrière il n'y a rien, il n'y aura jamais rien, c'est ainsi et ceux qui croiront voir un visage, un regard, se feront une fois de plus abuser car il n'y a rien, il n'y aura jamais rien. Ce sont les mains, qui maintiennent l'illusion de la tête. Elles maintiennent jusqu'au moment où elle lâchent, car c'est lourd, une tête, même si c'est une tête vide, ça finit par peser, au bout d'un moment. Alors la tête tombe, roule le long du chemin, va se perdre dans les herbes, descendre les ruisseaux, les rivières, jusqu'à la mer peut-être avec beaucoup de chance. Les mains alors sans tête s'en vont en quête d'une autre tête. C'est leur seule raison d'être, trouver une tête, la maintenir un certain temps, jusqu'au moment où elles la lâchent, parce que ça devient trop pesant, passé un certain temps.
mercredi 7 décembre 2011
Je ne me souviens plus du début, mais je connais déjà la fin. Car c'est toujours la même fin. Je pensais, à une époque, que j'y arriverais, que j'étais fait pour ça. Être fait pour ça, quelle drôle d'idée. Ça quoi? Ça. Je pensais même que ma voie était toute tracée. Je ne sais pas comment m'est venue cette idée. Une pente, un arbre mort, une trace. Ce qu'on ne voit plus, c'est l'adversaire. La trace, c'est celle qu'il a laissée en tombant. Il est sorti du cadre. Il a disparu. On oublie qu'il a été là. On oublie que la trace c'était la sienne, son corps inerte qui a roulé en bas de la pente. Je pensais, à une époque, que j'y arriverais. Que j'arriverais où? En bas de la pente? Ou bien à quoi? Sortir du cadre? Disparaître? Celui qui reste, c'est l'adversaire. L'adversaire de celui qui a disparu. L'adversaire de l'adversaire qui n'est plus et dont c'est la trace, dans la neige. Il regarde la trace qu'a laissée son adversaire en roulant. Au bout d'un moment, il oublie que c'est la trace qu'a laissée son adversaire en roulant. Parce que l'adversaire est sorti du cadre. A disparu. Il n'y a plus que la trace. Il se dit alors que c'est sa voie, peut-être, et qu'elle est toute tracée. En haut, de toutes façons, il n'y a rien. Il faudra bien redescendre, à un moment ou à un autre, même si en bas non plus il n'y a rien.
samedi 3 décembre 2011
Archie Mayo est mon ami, me dis-je, après the black legion, 1937. On n'en parle pas beaucoup, il me semble, d'Archie Mayo. On dit souvent que c'est Raoul Walsh, qui a permis à Bogart d'être enfin Bogart, dans high sierra, 1941. Avant, il servait surtout de faire-valoir à James Cagney ou Edward G Robinson dans des films de gangsters, c'était même le salaud le plus répugnant, le traître, le sournois, brutal, sadique, pas du tout sympathique, qu'on voyait aussi dans des rôles improbables à la Bela Lugosi comme dans the return of doctor X de l'excellent Vincent Sherman. Toujours impeccable. Archie Mayo est mon ami, disais-je. D'abord dans la forêt pétrifiée (1936), puis dans the black legion, il a mis Bogart au centre. Alors, on a regardé Bogart. Il ne servait plus à en faire briller un autre. Il n'y avait plus que lui. Il n'était pas encore le Bogart minéral qu'on verra par la suite. Mais il n'était déjà plus le salaud répugnant des débuts. Il est ouvrier. Plein de ressentiment, il adhère à la légion noire, des nazis en cagoules et chemises de nuit façon Ku Klux Klan qui disent l'Amérique aux Américains et font des virées sauvages en voitures, comme au bon vieux temps de naissance d'une nation... C'est un bon gars, à la base, puis il tombe là-dedans... Il ira jusqu'à tuer son meilleur ami... Il y avait qui d'autres sous les cagoules en ce temps-là?... Il y avait Ford, pas le grand John, mais celui des bagnoles, qui était même membre d'honneur du NSDAP, mécène, copain d'Hitler... Il y avait aussi IBM, qui fournissait aux nazis l'ancêtre de l'ordinateur, une machine à fiches perforées, idéale pour le comptage des Juifs et des Tziganes... Et tant d'autres... Bref, l'Amérique ne savait pas encore très bien sur quel pied danser... C'est donc un peu un film de propagande anti-nazis, the black legion... avant que l'Amérique choisisse nettement son camp... Mais ce n'est pas que ça... Il y a un très beau travelling, de nuit, dans les bois... Une fluidité... (Archie Mayo, mon ami, a fait aussi Moontide, que j'aime beaucoup, le seul rôle potable de Gabin à Hollywood, avec peut-être l'imposteur, de Duvivier, pour dire qu'il était toujours bien, puisqu'il n'en a fait que deux.)
vendredi 2 décembre 2011
The mayor of hell (Archie Mayo, 1933). Un gangster réformant une maison de correction, il fallait oser. Au début, il s'intéresse surtout à l'infirmière. Il n'a pas vraiment d'idéaux. Il veut juste la draguer. Ce qu'il fera, en épousant ses convictions à elle, en quelques sortes se réformant et alors on peut dire que c'est elle, la véritable réformatrice, la tête pensante, la révolutionnaire. Lui, il apportera son style. Car, sans style, rien n'est possible. Il instaure une république des enfants. Le vieux système répressif a fait son temps. Ça ira jusqu'à la révolution. Le directeur brutal et conservateur sera même mis à mort, après juste procès tout de même, poursuivi par une meute d'enfants vengeurs, finira même avec les cochons. James Cagney évitera de justesse la chaise électrique, acceptera à la fin le poste de directeur de maison de correction, car ça lui convient bien mieux que gangster finalement, là il s'épanouit vraiment, car il aime les enfants, surtout ceux de la rue et de la misère d'où il vient lui aussi... et puis il y a la jolie infirmière, évidemment... C'est un film d'une grande dureté, d'une grande violence et à la fois d'une grande joie. Le directeur a fini le crâne ouvert avec les cochons? Il l'avait bien mérité, le cochon... Il n'y a pas de quoi fouetter un chat en tout cas et encore moins un gamin même s'il avait des lueurs meurtrières dans les yeux... La société approuve... Bon débarras... (Le scénariste, Edward Chodorov, sera blacklisté en 1953...) On retrouve avec plaisir en gamin dur à cuire Frankie Darro qui jouait, la même année, dans l'excellent wild boys of the road de l'excellent Wild Bill Wellman. (Il avait quelques années plus tôt joué dans l'ennemi public le rôle de Cagney jeune. Bien des années plus tard, il fera Robbie le robot dans planète interdite...) Juillet 1934 : instauration du code Hays. Les anges aux figures sales, magnifique, tragique, sort en 1938. Une chape de plomb pèse sur tout le film. On voit bien ce qui a changé. James Cagney, le prince des gangsters, finit sur la chaise électrique. La société et la morale conservatrices gagnent toujours à la fin. Soit curé, soit gangster... Une petite chose aussi, qui m'a sauté aux yeux. Dans the mayor of hell, il y a un petit noir, parmi les enfants. En fait c'est un gamin comme les autres, pas du tout une caricature, il s'exprime même très bien, il a même un sacré caractère. Son père, lui, est une caricature, mais c'est la génération d'avant... Les choses ont donc changé... Dans les anges aux figures sales, Cagney, en prison, moleste un peu un noir en le traitant de sale negro. Je ne crois pas que Curtiz était plus raciste que Mayo. Seulement, il fallait aller au moins un peu dans le sens du poil des censeurs, qui n'interdisaient pas le racisme mais bien plutôt l'encourageaient. Il ne fallait plus mélanger... Un petit moment de racisme ordinaire pouvait dans certains cas peut-être faire pencher la balance du bon côté, voilant un peu certaines ambiguïtés qui sinon auraient été bien trop voyantes...
jeudi 1 décembre 2011
Savoir qu'il y a James Cagney me suffit. Lady killer (le tombeur) est loin d'être un chef-d'œuvre, mais il y a de très bons moments, en gros dès qu'apparaît James Cagney, c'est à dire tout le temps. C'était un danseur. Voir un film de gangsters avec James Cagney c'est un peu comme voir une comédie musicale avec Fred Astaire. Les styles sont bien différents, mais on est toujours dans la grâce. Le film est un peu bancal, même s'il n'est pas non plus raté, mais en fait on s'en fiche, car on venait avant tout pour James Cagney. Si on tombe sur un chef-d'œuvre, tant mieux, mais si ce n'est pas le cas on se console bien vite car personne n'a jamais su si bien tirer les cheveux d'une fille que James Cagney. Il lui fait même traverser toute la pièce en la traînant par les cheveux, c'est magnifique. Faut pas l'emmerder, James Cagney, et il n'est pas du genre sexiste... Il faut le voir écraser un pamplemousse sur la figure de Mae Clarke dans the public enemy... (Déjà Mae Clarke, en traînée...) Bien vite, le code Hays interdira tout ça et d'autres choses encore... C'est rigolo à lire, le code Hays... (Et pisser contre un arbre, j'ai l'droit?...) A partir du 1er juillet 1934 (Dillinger sera refroidi quelques semaines plus tard en sortant d'un cinéma car il aimait beaucoup les films de gangsters) les films américains notamment de gangsters n'auront plus tout à fait la même saveur... Même si James Cagney, heureusement, sera toujours James Cagney... (1966 : abrogation du code Hays, je nais...)
Apprenez à marcher et vous pourrez maîtriser l'aïkido, disait Morihei Ueshiba. Alors, au début, on rigole. Évidemment, que je sais marcher, allons... Et après, il dit qu'il faut aussi avoir l'habileté nécessaire pour ouvrir une porte... Il n'y a que ça... Fastoche... Apprendre à marcher, savoir ouvrir une porte, c'est tout... Les portes, c'est technique... Au Japon, on les fait glisser, le plus souvent, les portes, c'est latéral, mais il y a aussi le bouton de porte qu'on fait tourner, la porte de garage qu'on soulève, celle aussi, articulée, qui se plie, il y a toutes sortes de portes quand on y pense... Mais quand même, on se dit que c'est simple, s'il n'y a que ça... Puis, ouvrir une porte tout en marchant... Déjà, il faut savoir marcher... Ensuite il ne s'agit pas de marcher vers la porte, de s'arrêter, de l'ouvrir puis de repartir... Il s'agit de marcher et d'ouvrir le porte, dans le même temps... En fait, marcher et ouvrir la porte c'est la même chose, il faut que ce soit la même chose... C'est ça, la clé... Alors on en voit plein qui foncent comme des taureaux dans la porte... Ils sont contents, ils savent défoncer une porte... Ils pensent qu'ils sont forts, qu'ils sont bons... Parfois, ils ne voient même pas que la porte était déjà ouverte, ou bien que la porte était juste à côté et qu'en fait ils sont rentrés dans le mur... Ils n'ont pas compris non plus qu'il y a toutes sortes de portes et qu'il faut savoir les discerner, être même expert en portes, pour savoir les ouvrir tout en marchant, pour même que ce soit la même chose, la même action, marcher et ouvrir une porte... C'est drôle, en même temps, à observer... Souvent, les mêmes s'enorgueillissent de défoncer les portes souvent ouvertes ou bien le mur juste à côté... Ils ont réussi, ils sont contents... Après, ils rentrent chez eux, en se frottant un peu l'épaule, mais ils sont contents, ils ont réussi, ils savent faire... On les regarde, ils ne savent pas marcher, soit ils courent dans tous les sens, soit ils sont figés, dans une sorte de stupeur... Ne parlons même pas des portes, ils vont vouloir la tirer quand elle se pousse, la faire glisser quand il suffit de tourner le bouton... Ni de marcher sans bouger... (Parce que souvent, c'est le paysage, qui vient vers vous... Les portes alors vous foncent dessus...)