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jeudi 28 avril 2011
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vendredi 22 avril 2011
Là, il n'y a plus rien à dire. Du tout. Dire quoi? Tout a été dit. Ou alors rien. Faire du bruit avec la bouche. Croire que les mots ont du sens. Que les phrases, esquifs pleins de trous, ont du sens et nous emmènent dans ce sens, par là-bas, on ne sait pas trop où, sur des océans d'ignorance. De toutes façons, personne n'écoute. Mieux vaut siffler. Un air. Juste pour soi. Quelque chose qui passe par la tête. Plutôt que parler. Les oiseaux parlent-ils? Pour dire quoi? Salut, ça va?... il fait bien beau... j'ai mal au bec à cause que je suis rentré dans un carreau... et puis j'ai chié en vol sur la tête de deux tourtereaux, sur un banc, du travail de précision, si t'avais vu leur figure... Pas si bêtes, les oiseaux... Alors nous, à côté, ou plutôt en dessous, pleins d'idées, le prix du pain et puis le Verbe qui était là soi-disant au début. Pourquoi pas plutôt le si bémol?... Et à la fin, il y sera aussi, le Verbe? Et pendant tout ce temps, il était passé où?... Non, mieux vaut encore siffler... A Paris, il y a bien longtemps, une vieille dame tout émue dans une cage d'escalier m'a dit : Autrefois, quand j'étais jeune, les hommes sifflaient... vous m'avez rappelé ce temps-là... Le plus beau compliment qu'on m'ait fait... Des siffleurs, il n'y en a plus tant que ça...
dimanche 17 avril 2011
J'ai enfin vu Pauvre humanité et ballons de papier, de Sadao Yamanaka. Son dernier film, 1937. Il fut envoyé ensuite sur le front de Mandchourie, comme simple soldat (il n'était pas très bien vu des autorités), où il mourut de dysentrie, en 1938, il n'avait pas trente ans. Shinji Aoyama (voir, ou revoir, le formidable Eureka, un des très rares très grands films de ce début de millénaire) a dit de lui que s'il avait survécu, il aurait peut-être bien été respecté plus profondément que Mizoguchi, aimé plus fort qu'Ozu (il était très copain avec Ozu, sa mort affecta beaucoup ce dernier) et aurait subjugué plus encore que Kurosawa. (Il dit aussi qu'il est le Jean Vigo japonais. Sauf que Vigo, à côté, il n'a rien fait ou presque. L'atalante? Enlevez Michel Simon, qu'en reste-t-il?) A la toute fin de son testament, quelques mois avant sa mort : "Enfin, je dis à mes aînés et amis : S'il vous plaît, faites de bons films." Comme s'il n'y avait que ça qui comptait vraiment, faire de bons films... En fait, oui, il n'y avait que ça, qui comptait. On le comprend en découvrant Pauvre humanité et ballons de papier. Ce n'est pas une simple production pour divertir les foules, même si c'en est aussi une. Quelle maturité, pour un si jeune cinéaste. Quel style. Il a trouvé. Tout est juste. Il nous a promené dans son monde plein de tristesse, de joie, de cruauté, de poésie. Il filmait si bien la pluie, la nuit. Il savait si bien couper ses plans. (L'art du sabre.) Laisser l'action se dérouler ailleurs. Quand le coiffeur héroïque est sur le pont pour y être exécuté par le chef yakusa et sa bande, on ne sait pas trop ce qu'il sort de son kimono pour contrer l'arme du tueur. Son éventail? Sa pipe? En tout cas, son geste est très beau. Peu importe, finalement, que ce soit un éventail, une pipe ou un couteau. Ce qu'il dégaine, c'est son élégance, sa dégaine, son style. On ne le voit pas mourir. Tout comme on ne voit pas le double suicide du samouraï pauvre sans maître, avec sa femme, à la fin. On voit juste la lame du couteau qui luit dans la main de sa femme. Un ballon en papier qui descend le caniveau. C'est la victoire du style. Qu'ils aient été écrasés par la force, la vulgarité et la misère ne compte pas tant que ça, finalement. Ils ont fait ce qu'ils avaient à faire, avec tellement d'élégance... Le reste... Faites de bons films...
jeudi 14 avril 2011
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[ Bonus : Débat sur les effets de la guillotine
Paris, le 1er octobre 1794
La guillotine tue, on le sait bien. Mais la mort du supplicié coïncide-t-elle avec sa décapitation? Le débat agite violemment le monde médical depuis un an. L'Encyclopédie ne distinguait-elle pas déjà la "mort imparfaite" de la "mort absolue"? On rappelle l'anecdote célèbre selon laquelle la tête coupée de Marie Stuart aurait parlé. Plus récemment, les témoins de l'exécution de Charlotte Corday n'ont-ils pas vu son visage rougir d'indignation lorsque le bourreau l'avait giflée? Dans son Opinion sur le supplice de la guillotine, le chirurgien Sue, qui soutient la thèse de la "survie" du sentiment chez le supplicié, écrit : "Quelle situation plus horrible que celle d'avoir le perception de son exécution et, à la suite, l'arrière-pensée de son supplice?" Devant cette "idée métaphysique" qui n'est que "le fruit de l'imagination", les médecins disciples des Lumières se sont mobilisés. Dans sa Note sur le supplice de la guillotine, Cabanis reconnaît dans les mouvements que l'on prête aux têtes coupées l'effet des seuls réflexes machinaux. Selon lui, le principe vital "n'a pas de siège exclusif" et "le moi n'existe que dans la vie générale". La raison est sauve, et l'horreur s'éloigne... ]
samedi 9 avril 2011
Les impatiences ne durent pas longtemps, chez moi. C'est délicat, les impatiences. Les cyclamens non plus ne durent pas longtemps. Il n'y a que le lierre du Diable, qui dure, chez moi. Il n'a pas besoin de beaucoup de lumière, sans pour autant la craindre. On peut l'arroser, oublier de l'arroser. Il s'adapte. Il est coriace.
mardi 5 avril 2011
Il y a toujours la même rampe d'escaliers. Derrière le bâtiment, dans un recoin, il y a toujours le mur aux fusillés. Il n'y avait pas de salle de bain. Les wc, à la turque, étaient au rez-de-chaussée, mais j'étais encore trop petit pour y aller et je faisais mes affaires dans un pot jaune qui sentait l'eau de javel. J'avais peur de descendre tout seul à la cave. Il fallait passer devant les cachots. Dedans, même si je ne voyais pas, il y avait parfois des gens qui hurlaient, ou qui geignaient, ou qui toussaient, ou qui étaient silencieux, ce qui était encore plus inquiétant. Un jour, dans la cour, j'ai vu les gendarmes passer au jet un clochard saoul qui s'était chié dessus. Il braillait. Ils rigolaient. Eux-aussi, les gendarmes, ils buvaient. Ils étaient souvent grands et gras, nez comme des fraises trop mûres. Mon père, lui, ne buvait pas. Il sentait le café au lait et le tabac brun. C'était réconfortant. Ma mère sentait le lait un peu suret et le parfum, car elle en vendait, du parfum, c'était parfois écœurant, le mélange des deux. Mais elle avait les mains douces. Il y avait des fantômes, la nuit, dans les rideaux en tulle, des longues femmes maigres et pâles, qui me guettaient, des bêtes tapies sous le lit, et des prisonniers dans les cachots, en bas. En haut comme en bas, c'était peu rassurant. Derrière, au fond de la cour, il y avait un muret, un peu plus haut que moi. Au delà, il y avait un passage, gardé par un grand chien noir, qui grognait dès qu'on approchait, babines toutes retroussées, bondissait à presque s'étrangler au bout de sa chaîne. Il avait le cou à vif. On disait qu'il était fou. Au delà, il y avait la voie de chemin de fer. Je me disais qu'un jour ou l'autre, il faudrait que je l'affronte, le grand chien noir, si je voulais m'en aller. J'en ai rêvé tellement souvent, de ce chien noir. Un bruit de chaîne sur le goudron. Un jour, bien plus tard, ailleurs, à l'autre bout du monde, dans les ruines d'un bagne où j'avais abouti je ne savais trop comment, je l'ai retrouvé, le grand chien noir. Bien des choses s'étaient passées entre temps. Il ne m'a pas dévoré. Il est juste venu vers moi, comme si on se connaissait depuis toujours. Il m'a d'abord remarqué, de loin, se figeant soudain, puis est venu en trottant, sans me quitter des yeux, puis m'a léché la main, mon grand chien noir.
dimanche 3 avril 2011
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