mercredi 23 février 2011
dimanche 20 février 2011
J'ai hésité quelques secondes entre Bach et Billie Holiday. Puis c'était évident qu'il fallait Billie Holiday. Tout doucement, pour accompagner. Il était autour de minuit. C'est tellement doucement déchirant, Billie Holiday. C'est ce qu'il fallait. Le silence n'était pas envisageable, à ce moment. J'avais ouvert un peu la fenêtre, pour qu'elle ait un peu d'air. Peu de temps avant, ses petites plaintes étaient devenues tellement déchirantes que je m'étais enfin décidé. J'ai commencé à composer le numéro des urgences bien trois ou quatre fois avant de pouvoir le terminer. C'est difficile. Mais ce n'était plus possible. Ses pattes étaient de plus en faibles. Plus rien ne fonctionnait. Rien ne rentrait. Rien ne sortait. Quand j'ai parlé au téléphone, il me semble qu'elle m'a compris, avec ses grands yeux qui ne me quittaient plus. Quelques minutes plus tard, elle a fait une autre tentative pour se lever, pour aller vers sa caisse, en zigzaguant, tellement volontaire, comme pour me prouver qu'elle pouvait y arriver, que ce n'était pas encore le moment de fermer le rideau. Elle a gratté sa litière énergiquement, frénétiquement... A fait un long miaou déchirant. Je suis vite arrivé. Évidemment, rien n'était sorti... En faisant un pas vers moi, ses pattes avant se sont dérobées. J'ai juste eu le temps de la rattraper, l'ai vite portée jusqu'à sa couverture près du poêle. A peine l'y avais-je déposée qu'elle faisait une crise énorme, avec des gros spasmes bruyants dans la poitrine, ses pattes se raidissant et frappant à toute volée la tôle du poêle, avant de se figer sur le flanc, les yeux grand ouverts. J'ai cru qu'elle était morte, foudroyée, après un tel choc. Mais non. Elle respirait encore. Elle était même consciente. Je lui ai doucement caressé la tête, en lui parlant, ne cessant plus de regarder ma montre. Il m'avait dit qu'il fallait compter une demi-heure, le type, au téléphone. C'est long, une demi-heure. Heureusement, il fut là en une vingtaine de minutes, donc à peu près dix minutes après la crise terrifiante. Tout se passa très gentiment. Ma voix tremblait parfois, en posant des questions au type. (Je suis curieux.) Souvent, les cœurs malades mettent beaucoup plus longtemps à s'arrêter que les autres. Parce qu'ils sont habitués à lutter? (Il dut lui faire une seconde injection.) Alors que le type remettait sa sacoche sur l'épaule, je me suis baissé, ai pris délicatement le sac avec dedans ma petite Mouche toute molle, l'ai remise au type. C'était mon rituel à moi. (Une urne pour les cendres? Ah non merci. Dispersion dans la fosse commune c'est très bien. C'est ce que je choisirais pour moi.) Quand il l'a prise, je lui ai dit : Attention... doucement... Il est parti. J'ai ouvert toutes les fenêtres en grand. Ai fait brûler du papier d'Arménie dans tous les coins. Ai jeté la couverture. Vidé, nettoyé et remisé toutes ses affaires. Dès que je m'arrêtais, je me mettais à pleurer bruyamment. Pendant peut-être deux heures, je me suis activé. Revenant sur mes pas pour une broutille. Ah, ses cachets... Dans mon sac. Je les ramènerai lundi chez le vétérinaire. Ça, poubelle... Le cyclamen aussi... Quand je me suis couché, il ne me restait plus que quelques heures avant de partir au boulot... La couette sentait la Mouchette... Je changerai la housse demain... En fermant mes yeux brûlants, j'ai eu une sorte de vision... C'était dans la cour, chez mes grands-parents, à côté des clapiers qui autrefois avaient été les cabinets, qu'on appelait toujours les cabinets. Vers les cabinets donc, il y avait mon grand-père, assis sur une chaise de camping en toile avec des accoudoirs, tranquille, avec sa casquette sur la tête, sa roulée à la bouche. Mon père aussi était là, debout, les mains sur les hanches, en short, avec ses genoux cagneux... Ils étaient cool, me souriaient tous les deux... Puis Mouchette arrivait, la queue en l'air, tournait un peu autour d'eux avant de s'arrêter et de me regarder elle aussi... Quelques heures auparavant, en début de soirée, elle avait tant bien que mal réussi à sauter sur le canapé et à venir se coucher sur moi. Elle m'avait même tendu la patte. Elle avait même ronronné tranquillement tandis que je la caressais et lui parlais. Un long moment, peut-être une heure. On avait alors un peu réussi à mettre de côté toutes nos misères. Un dernier moment parfait. Ça dure ce que ça dure, je lui avais murmuré, ce qui compte c'est le moment, c'est maintenant... Elle semblait d'accord avec moi... Juste pour ce moment, je n'en veux plus à mon vétérinaire de me l'avoir rafistolée sans m'avoir demandé mon avis et rendue toute moribonde, à l'essai... Même si ça m'a coûté deux nuits blanches et deux grises sur quatre... Elle a dormi, la plupart du temps, paisiblement, sur mon lit, ou sur sa couverture près du poêle... Et puis elle est morte à la maison, dans son environnement, pas dans une clinique qui ne sent pas bon, avec toutes ces bêtes malades... Et puis j'étais là, à chaque miaou... Avec des caresses, des paroles, j'arrivais à la soulager de sa détresse, je crois... Ça marche pas, qu'elle me disait... Ben oui, ma cocotte, je vois bien... Le lendemain, aujourd'hui, je suis parti bosser, dans mon cinéma, j'avais dans la tête my old flame, Billie Holiday, 1944, toute la journée. J'étais épuisé, toute la journée. J'ai marché, toute la journée, en zigzaguant, comme Mouchette hier. Dès que je m'arrêtais, me posais, les larmes me montaient. J'ai fait un décadrage sur Au delà, de Clint Eastwood, ce qui ne m'arrive jamais. On m'a prévenu au talkie. J'ai dû y retourner en vitesse, en zigzaguant. Enfin, la journée s'est terminée. Je suis rentré, en zigzaguant. Un moment d'absence : ah ben j'vais retrouver Mouchette... Ben non... Derrière ma porte verte, plus de miaou... Je suis arrivé, j'ai tout de suite changé la housse de couette, ai voulu ensuite passer l'aspirateur, mais mes jambes flageolaient... Alors, stop... Repos... Je me suis fait du thé... Dans la salle de bain, j'ai vu des empreintes de pas de Mouchette, allant vers où il y avait sa caisse... Non, un autre jour... Je me suis effondré dans mon canapé, ma théière à portée de main, emmitouflé dans ma vieille couverture pleine de trous, me suis mis Billie Holiday... My old flame... I can't even think of his name... But it's funny now and then... How my thougths go flashing back again... To my old flame...
jeudi 17 février 2011
mardi 15 février 2011
En 66, je nais. En 66, sort également quand l'embryon part braconner, de Koji Wakamatsu. Le spectateur japonais, qui venait voir un porno, devait tirer une sacrée gueule, en tombant sur une telle chose. Il y avait sans doute aussi les initiés, ceux qui savaient ce qu'il faisait, le Koji. Devait se mêler dans la salle toute une faune de voyeurs branleurs et d'intellos arty... Moi je découvre, en ce moment, ce qu'il faisait, le Koji. C'est assez dingue. Maman, qu'il lui dit, à la fin... Même si le sado-masochisme est très présent dans la culture japonaise, on est quand même assez estomaqué. Ce n'est plus simplement du domaine du rituel censé émoustiller, comme dans nombre de films japonais érotiques de cette brillante époque. Et là, il n'y a aucune complaisance, aucun soucis de plaire. C'est complètement tordu et à la fois complètement droit, dur et vif comme la lame du rasoir. Maman... Tourné en 5 jours... Hallucinant... Et tous ses films le sont, hallucinants... Individus profondément perturbés, ou complètement anomiques. Par delà le bien et le mal... Cinéaste de la révolte, ses révoltés sont tous de dangereux abrutis qui tuent et violent souvent juste parce qu'il n'y a rien d'autre à faire... (Le seul personnage touchant, le seul en qui j'ai pu un peu m'identifier, est le facteur qui recherche le tueur de son fils dans Shinjuku mad, pour comprendre.) Les vieux sont des vieux cons et les jeunes des psychopathes en puissance ou avérés... No future... Peut-être que son plus digne héritier (en plus rigolo) est Miike?... (Haneke, peut-être aussi, première période, en moins rigolo...) En tout cas, c'est moins beau, Miike... Parce que c'est d'une beauté parfois sidérante, Wakamatsu... A la même époque, Godard faisait ses films mao... Ça a très très mal vieilli, ses films mao... La Chinoise, quel ennui... Alors que le nihilisme de Wakamatsu est toujours très actuel... Il n'y a aucun espoir, aucune idéologie ne pourra jamais nous sauver de l'enfer d'exister... Il n'y a pas d'amour, pas d'amitié... Il n'y a que l'individu... Et l'individu est une bête... En groupe, c'est une meute...
vendredi 11 février 2011
Un jour, il y a peut-être douze ou treize ans, je suis passé devant un atelier de réparation de machines à écrire, au bord de la Saône. Ça existait encore, à l'époque. Mais c'était la fin. Il n'y avait plus beaucoup d'activité, dans l'atelier. Ils semblaient d'ailleurs faire leurs cartons. Curieux, je suis entré. J'ai tout de suite remarqué la belle machine posée dans un coin. J'ai demandé à l'essayer. Le type a glissé une feuille. Tout ému, je suis reparti avec, dans un carton, c'était bien lourd. Le lendemain, j'ai résilié mon abonnement internet. J'entrais en résistance. Un véritable héros, prenais le maquis avec juste ma bite et mon couteau. Plus jamais je n'écrirais sur un clavier d'ordinateur. Depuis que j'ai internet, je n'ai jamais rien fait de bon. Je me disperse. Je me paume. Je me sens même aliéné. Ça m'aspire la moelle par les yeux. Je ne suis plus que deux globes écarquillés et fourmilleux par lesquels je me vide. A tel point que je ne ressens plus rien. Je n'en veux plus. Rentré chez moi, j'ai glissé une feuille, me suis mis à taper dessus avec frénésie. Quel son magnifique! A la fin de chaque feuille, sans la relire, je l'arrachais et la froissais en boule que je jetais dans un grand sac en papier kraft. J'étais bien. C'était ma méthode. Ne rien relire. Ne rien garder. Simplement jouir du moment. (A la même époque, au stylo plume, j'écrivais de longues lettres parfois très lyriques, truffées de fulgurances, magnifiquement pathétiques, qu'ensuite je déchirais.) Mais il y eut vite des curieux. C'est quoi ce grand sac? Ma poubelle. Y-a quoi d'dans? Rien, des boulettes. On peut lire? Non. Comme je voyais les choses, je me désintoxiquais. La machine était comme un cheval qu'il me fallait dompter, avant d'envisager la moindre promenade. Et ma poubelle grossissait... Jusqu'au jour où, sur un coup de tête, un instant de néant comme celui qui précède une nouvelle cigarette, j'ai repris un abonnement internet et même le haut débit, comme pour se perdre encore plus vite, se faire aspirer l'âme radicalement. J'en ai ressenti de la honte, profondément, comme si j'avais d'un coup renoncé à être moi, cet impétueux aventurier assis sur son cul paresseux. Je me suis alors senti indigne de cette belle mécanique, de ce que l'on appelait autrefois machine à écrire. Je me suis toujours dit, peut-être seulement pour sauver la face, que j'y reviendrais, un jour, plus simplement que la première fois, avec peut-être moins de passion, en tout cas sans l'intransigeance de l'extrémiste que j'étais, tranquillement. Et ma poubelle? Je l'ai vidée, quand j'ai déménagé. (Pendant des années, j'ai gardé ce sac en papier kraft sous le bureau, pour me rappeler mon échec, mon indignité, mon renoncement, ma bêtise.)
jeudi 10 février 2011
Je regarde Mad Men. C'est d'une belle lenteur, aux antipodes de le plupart des séries actuelles. On se croirait parfois dans un tableau d'Edward Hopper. Il y a des corps, des silhouettes, dans des décors. Le temps s'est arrêté. Même s'il continue. Le lent ballet des âmes solitaires qui se frôlent sans jamais vraiment se toucher. Les hommes sont en costume et portent des chapeaux. Les femmes sont en robe très souvent imprimée, poitrines brevetées playtex. On fume beaucoup. On boit beaucoup. On se cache beaucoup. Que cache-t-on? Que craint-on de laisser échapper? Il n'y a rien de très pervers, rien de très noir à dissimuler. (On n'est pas dans Dexter.) On cache son humanité, si ça existe. C'est beau et triste à la fois. Le silence en dit parfois bien plus que tous les longs discours. Il en dit surtout bien mieux. Quand deux âmes se trouvent, subrepticement, se reconnaissent, il n'y a jamais d'effusions, c'est tout juste une fugace lueur au coin de l'œil. Souvent, il ne se passe rien, ou pas grand chose. On se contente d'être là, de respirer le même air. On n'est pas pressé de changer d'atmosphère. On est là et en même temps on n'y est pas, ou peu, ou plus, peu importe. Des petites choses inquiètent. Ça sent bizarre, non?... Bets a-t-elle une tumeur au cerveau? Et moi, ai-je une tumeur au cerveau? Parce qu'il n'y a pas longtemps, chez moi, régulièrement, à l'heure du thé, je sentais dans l'air comme des effluves de mazout... Juste une petite pointe, comme ça... Tiens, c'est bizarre... Peut-être les canalisations?... Et puis on passe à autre chose... S'il doit venir, il viendra, le cancer... Ce serait terrible, si Bets avait une tumeur au cerveau... En attendant, l'idée s'est installée, sournoisement...
mercredi 2 février 2011
Il était bien tranquille sur son île (du crâne). Il n'emmerdait personne et personne ne l'emmerdait. Roi solitaire d'un monde bien plus ancien que le nôtre, on ne lui connaissait pas de parents. De qui était-il le fils? Ou bien de quoi? On l'a capturé en l'appâtant avec une jolie blonde. Ensuite, on a voulu le donner en spectacle. On l'a même crucifié. (C'est la honte, la crucifixion...) Mais il ne s'est pas laissé faire. S'il n'y avait pas eu la blonde, il se serait peut-être laissé faire, serait devenu neurasthénique comme la plupart des grands singes en captivité. Il aurait peut-être même levé les yeux au ciel en disant : Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font... Mais il y avait la blonde. C'était la première fois qu'il en voyait une. En plus, on la lui avait offerte. Un cadeau, ça ne se refuse pas. Ça ne se reprend pas non plus. Il avait à peine commencé à jouer un peu avec, à lui enlever délicatement ses vêtements, qu'on lui a repris sa blonde. Ça ne lui a pas plu. Il était le Roi, sur son île. Maintenant, il n'est plus qu'un grand singe crucifié. King Kong, c'est le Christ qui se serait révolté. On imagine quel christianisme on aurait eu si Jésus était descendu de la croix de son vivant et avait foutu une sévère dérouillée aux romains avant de succomber sous le nombre et la puissance de feu de l'adversaire, Christ Kong. Mais il n'avait pas de blonde à protéger et effeuiller, hélas, Jésus.