dimanche 17 octobre 2010

Un après-midi tout gris et froid, quoi de mieux qu'un bon petit Rohmer? Mon copain O, la première fois qu'il a vu un film de Rohmer, s'est exclamé : "Mais... Mais... On a le droit de faire ÇA?!..." Et bien oui, on a le droit. Moi, au début, ça ne me parlait pas beaucoup, les films de Rohmer. Je trouvais que les acteurs jouaient faux, que l'histoire était chiante, l'image moche. J'étais peut-être trop jeune et trop dans l'époque de ces films. Aujourd'hui, je les revois avec gourmandise. Je ris beaucoup. Et je suis ému. Je me souviens de cette époque, de ces couleurs, de ces cafés, de la jeunesse que je n'ai pas vécue. Une fiction tournée dans un documentaire. La comédie sentimentale. J'ai beaucoup aimé la femme de l'aviateur qui m'avait tellement ennuyé il y a vingt ans. C'est peut-être parce que la jeunesse que je ne vivais pas, je me suis mis à la vivre (doucement, à ma façon) à l'époque où elle était déjà censée être sur son déclin, me disant que j'avais encore toute ma vie pour la vivre et je suis donc sans doute bien plus jeune aujourd'hui qu'il y a vingt ans et donc bien plus concerné par ce que raconte Rohmer, ce drôle de type au regard de plus en plus jeune. Qu'est-ce que c'est compliqué, une fille... Qu'est-ce que ça peut être balourd, un garçon...

samedi 16 octobre 2010

Un après-midi tout gris et froid, quoi de mieux qu'un bon et long western? Je n'ai jamais compris que Cimarron soit moins apprécié par nombre de cinéphiles (les cinéphiles se contentent souvent de répéter gravement ce qu'ils ont entendu et d'aimer sans passion ni tendresse ce qu'il est convenable d'aimer, neuf fois sur dix sont les plus sinistres compagnons...) que l'homme de l'ouest, que je considère pour ma part comme raté, erreurs de castings absolues, même si je l'aime bien partiellement, un grand film malade, selon l'expression heureuse de j'ai oublié qui. Cimarron, ce n'est plus un western comme Anthony Mann en faisait du temps de sa formidable association avec James Stewart, the far country et the naked spur en tête. On peut aussi préférer le Mann des films noirs du début. Mais pourquoi bouder d'aussi grands films que le Cid ou Cimarron? Je les revois avec toujours autant de plaisir et même plus d'émotion que ses films antérieurs. Anthony Mann avait bien le droit quand même de faire des superproductions, non? Là, dans le cas Cimarron, c'est tout juste un grand film en bonne santé, selon moi. On peut prendre n'importe quelle scène, c'est magnifique. Et l'ensemble est parfaitement équilibré, harmonieux. Le casting est parfait. L'image très belle. Les personnages complexes et leurs relations passionnées et passionnantes. Les idées sont foisonnantes. Et puis c'est long et bon et j'ai pleuré à la fin, au terme de ce qui a été bien au delà d'une simple distraction : une expérience. (Comparable peut-être à Giant, du passionnant George Stevens, que j'ai heureusement réévalué il y a peu... the talk of the town, formidable, à ranger à côté des meilleures comédies de Hawks, Mc Carey ou Cukor...) Ainsi qu'un retour sur moi. (Entre autres sur ma misérable vie amoureuse que je ne renie pourtant pas.) Le cinéma, comme la littérature, la peinture, la musique ou n'importe quoi d'autre, il faut que ça parle, que ça touche, que ça devienne finalement personnel et même intime. Sinon, quel ennui.

vendredi 15 octobre 2010

Bergman, c'est les visages, les (très) gros plans. S'il ne s'est pas contenté de mettre en scène au théâtre, c'est pour les gros plans, les visages. C'est manifeste dans persona qui alors peut être vu comme son manifeste tardif, 1966 (je nais), le film où il a peut-être eu besoin de capturer l'essence de son propre cinéma, un film (entre autres) purement théorique. (Après ce film, il n'y a plus grand chose d'excitant, chez Bergman, c'est un peu son orgasme... C'est un peu comme Sonny Rollins après 1957...) J'ai revu, cet après-midi, vers la joie, qui date de 16 ans plus tôt. C'était comme si la caméra désirait toujours venir plus près. Je parle de désir et non de volonté. C'est irrépressible. Elle ne pense qu'à ça, la caméra. Elle se retient, jusqu'au moment où, n'en pouvant plus, elle vient. Comme un papillon fasciné par l'ampoule. L'œil approche, sans plan de coupe, du visage, de plus en plus près. D'autres fois, c'est le visage, qui approche, qui est alors le papillon fasciné par l'ampoule, la lumière. Il y a une sorte d'impudeur, parfois, à venir si près, quelque chose dans le regard qui serait du domaine de la pornographie. Comme dans la pornographie, à un moment, on ne peut plus continuer, il y a une limite à la pénétration du regard, au gros plan, on peut en ressentir une sorte de frustration ou d'impuissance, de tristesse finalement. Que découvre-t-on, quand on arrive à la limite du gros plan? Une vérité? Une émotion? La Joie est incompréhensible, dit le chef d'orchestre philosophe de vers la joie, ce n'est pas la joie qui fait rire, c'est celle qui explose, qui emmène au delà de la tristesse la plus douloureuse. Tout est dit. Il n'y a peut-être que ce qu'on y projette, dans le visage. Je ne sais pas. C'est incompréhensible. Il y a un mystère, dans ces visages vus de si près, qui n'est peut-être que le mystère que nous projetons. Peut-être qu'il n'y a que du vide, le vide du visage en soi et (ou) le vide de ce qu'on y projette. On a envie de toucher. De pénétrer. C'est très sexuel, Bergman. Ses actrices n'étaient pas sublimes pour rien. Il m'arrive de ne regarder un film de Bergman que pour me perdre dans la contemplation de ces visages sublimes. Un film de visage, c'est bien plus excitant qu'un film de cul. Finalement, le scénario, les idées, je m'en fous, moi ce que je veux c'est du visage. Alors, je me redresse de mon canapé, je me penche pour le toucher, ce visage immense, je suis redevenu un enfant, innocent, tout nu, devant ma télé, je réalise alors que je bande.

mercredi 13 octobre 2010

Le hasard a ceci d'extraordinaire, c'est qu'il est naturel, dit Charles Boyer dans Madame de. Si je ne devais garder qu'un film de Max Ophüls, ce serait celui-ci. C'est comme une valse d'une fantastique élégance, d'une incroyable légèreté, dans laquelle la gravité elle-même et le drame s'immiscent avec légèreté. Tout n'est que mouvement, jusqu'à l'ivresse, jusqu'à la mort. Rien n'est gratuit, rien n'est fait seulement pour faire joli. L'étourdissement a du sens. L'œil nous emmène, nous fait voir, nous fait rire, nous émeut, et c'est un œil qui marche, qui virevolte même parfois, qui est toujours au cœur de l'action, qui est peut-être même le véritable cœur de l'action, le moteur, l'œil, comme du cyclone. On se souvient du grand travelling dans le crime de monsieur Lange, on se souvient de celui du début de la soif du mal, on se souvient de Kinuyo Tanaka qui court se tuer dans la forêt à l'annonce de l'exécution de son amant dans la vie d'O'Haru femme galante... On a plus de mal à mettre en avant un travelling d'Ophüls plutôt qu'un autre, tellement il y en a de somptueux, tellement on a même la sensation que le film n'est qu'un unique travelling... Juste dans Madame de... Le long de l'étang... Il les aimait, ceux-là, derrière les feuillages... Celui, hilarant, en va-et-vient, quand le fils du bijoutier revient sans arrêt sur ses pas pour apporter ceci ou cela à son père, qui se finit par un ahurissant cadrage en plongée... Les scènes de bal, éblouissantes, avec tous ces miroirs... (On se surprend, parfois, à être plus dans les miroirs qu'ailleurs...) Quand Danielle Darieux, à la fin, court vers son destin... Il y en a trop... Ou plutôt, il n'y a que ça... Jusqu'à l'ivresse, jusqu'à la mort... On se souvient d'Ophüls comme on se souvient d'Ozu, comme d'un extrémiste... L'un dans le mouvement, l'autre dans l'immobilité... Quelle splendeur, Madame de...

mercredi 6 octobre 2010

J'étais sur le point de revoir battle cry, de Raoul Walsh, un film que j'aime beaucoup, je ne sais pas trop pourquoi, un drôle de film de guerre au ton propagandiste où ils sont toujours ou presque en permission, avec gradés fort sympathiques, sergent instructeur bonne pâte, des vrais copains... Alors, juste avant, je m'interroge... Pourquoi je l'aime autant, ce film?... Eh bien... c'est peut-être entre autres parce que j'adore cet acteur, là... Comment il s'appelle déjà, le sergent instructeur?... Je ne sais pas... C'est l'éternel sergent, le Spencer Tracy de série B... Et dans d'autres films aussi, je ne me souviens que de lui, sans connaître son nom... Il est temps d'y remédier!... Quand je reverrai Bastogne, ou encore asphalt jungle, sans oublier le formidable them! et tant d'autres films où il figure toujours indélébilement, je saurai dorénavant qu'il s'agit de James whitmore... J'adore James whitmore, voilà, quand il a les pieds gelés dans Bastogne, en simple flic en uniforme (de sergent) qui combat les bestioles dans des monstres attaquent la ville(them!), il déchire l'écran, il est magnifique... Je suis étonné, en consultant sa filmographie, qu'il ne figure dans aucun film de guerre de Samuel Fuller... Parce qu'il a vraiment une gueule à avoir joué dans un film de guerre de Samuel Fuller... Il aurait pu être dans baïonnette au canon, ou dans the steel helmet (j'adore ce film, qui me rappelle un peu la patrouille perdue de John Ford...) ou les maraudeurs attaquent... Oui, James Whitmore, une sacrée trogne... Je l'ai vu plein de fois, le James, il n'était peut-être pas toujours au générique... C'est lui qui faisait l'éducateur, dans crime in the streets... Il était bien... Ce n'était pas un chef-d'œuvre, mais ça faisait bien plaisir d'y voir James Whitmore en face du jeunot Cassavetes... C'est bien de pouvoir enfin mettre un nom sur un visage qui m'était tellement familier depuis toujours... J'ai dû aussi le voir dans une tripotée de westerns, je le vois, sur son cheval, la clope au bec, un peu de traviole, démarche toujours un peu bancale, l'œil un peu torve, le chapeau plutôt en arrière, les deux mains sur le pommeau de la selle, la chique dans la joue... Tout comme c'est bien de se souvenir que Dolores Dorn était sublime dans underworld USA, même si elle n'a fait que ça de mémorable, hélas pour le cinéma... Se faire son petit Panthéon B à soi... Il n'y a pas que Gary Cooper et Greta Garbo... Moi, si j'avais été cinéaste américain dans les années 40 et 50, j'en aurais fait ma vedette, de James Whitmore... Oui, parfaitement...

samedi 2 octobre 2010

(De fil en aiguille, après Guy Green...) J'ai envie de relire Alexandre Grine. Il y a bien longtemps, j'avais prêté les aventures de Ginch à une jeune femme pour la consoler d'un gros chagrin d'amour. (A une époque, des jeunes femmes venaient me voir, quand elles avaient des gros chagrins d'amour, comme si j'étais le consolateur évident...) Je ne l'ai jamais revue, pas plus que le livre. J'en garde un souvenir à la fois magique et brumeux (du livre). Un vieil ami m'a dit récemment avoir enfin lu et avec grand plaisir l'attrapeur de rats, que je lui avais offert il y a peut-être douze ans. Le petit livre s'était presque fait oublier, dans un rayon de sa bibliothèque... (Cet ami s'est toujours méfié de mes enthousiasmes littéraires... Je n'ai pu m'empêcher de lui offrir alors les belles endormies... Il m'en remerciera peut-être dans douze ans...) C'était un drôle de bonhomme, ce Grine, un Russe du début du siècle, un peu aventurier et révolutionnaire si ma mémoire est bonne. Ses livres sont des sortes d'aventures féeriques ou de féeries d'aventure. Il y avait quelque chose de sombre, sans être du tout désespéré. On avait constamment l'impression de rêver. Il ne m'en reste plus qu'une vague impression, peut-être la substance infime, le style, la voix, quelque chose de toujours très familier, intime, même si j'en ai oublié les détails, les contours, comme s'il s'agissait d'un autre moi que je connais parfaitement et m'est tout à la fois totalement étranger. Ses livres, j'ai eu quelque part l'impression de les avoir moi-même écrits ou rêvés. Ah... les voiles écarlates... le monde étincelant...
On a parfois des bonnes surprises. Et même des très bonnes. Guy Green, je ne le connaissais pas, tout en le connaissant puisqu'il a fait la photo de nombreux films magnifiques de David Lean, entre autres great expectations... Quand je disais qu'on ne s'intéressait pas assez aux directeurs de la photo... Le cinéma, quand même, c'est des images... Dans a patch of blue, Guy Green a confié la photo à Robert Burks, pas n'importe qui puisque c'est lui qui est responsable de la splendeur des Hitchcock période Vistavision et de quelques King Vidor... Du coup, plastiquement, c'est magnifique, en scope noir et blanc... Bon, Jerry Goldsmith a fait la musique... Une tripotée de seconds rôles formidables, Wallace Ford et Shelley Winters en tête... Un sujet casse-gueule mais on reste toujours sur le fil... Funambulique donc, quand on aurait pu si facilement tomber dans le sordide, le vulgaire, ou le sirupeux... Une fin ouverte... Comme c'est beau, le cinéma, quand ça se passe comme ça, c'est comme un petit miracle... (C'est peut-être son chef-d'œuvre, à Guy Green, puisqu'il l'a écrit, dirigé et produit...) Qu'est-ce que c'est beau, émouvant... J'aime bien verser ma petite larme... C'est souvent au cinéma que je pleure le mieux... Là, j'estime que j'en ai pour mon argent, comme on dit...