mercredi 30 décembre 2009

Jirô Taniguchi m'émerveille et m'émeut. Je ne pensais pas qu'une BD un jour pourrait me faire un tel effet. Quartier Lointain est tout simplement stupéfiant. Je le savoure tout doucement. J'ai peur d'arriver à la fin. J'ai peur de savoir comment cela finira. J'aimerais que cela ne finisse pas. Comme c'est beau. Comme c'est simple... baigné dans une sorte de sérénité mélancolique. L'émotion est retenue, un peu comme chez Ozu et au bout d'un moment ça monte aux yeux. C'est bon. J'aime Taniguchi. Le premier que j'ai lu était l'homme qui marche. J'ai grandement été ému également par l'orme du Caucase... Et puis aussi par... J'ai toujours un manga de Taniguchi en attente d'être lu, caressé des yeux... Je ne me précipite pas, je ne le dévore pas, j'attends un peu, je tourne autour, le prends, le repose, le laisse dormir un peu, le reprends quelques jours plus tard, l'ouvre au hasard, le referme... non, ce n'est pas encore le moment... Il ne nous drague pas, Taniguchi, ne cherche pas à nous plaire, c'est ce que j'aime... C'est de l'amour... C'est pur... Ça fait un peu peur, d'y entrer, juste un peu, on a envie et puis on a un peu peur... un peu peur peut-être que ça gâche quelque chose, l'envie, le désir, le rêve, c'est idiot... Quand on est dedans, on n'a pas envie de tout découvrir d'un coup... On s'attarde sur une page... Bientôt, je les aurai tous lus... Je redoute ce moment... En même temps, je pourrai toujours les relire... Oui, mais ce ne sera plus jamais la même chose... Ce sera comme feuilleter un vieil album de photos... Mais je ne sais pas, en fait, comment ce sera... Serai-je troublé autant?...

mercredi 23 décembre 2009

Je croyais ne plus être très sensible au cinéma de John Cassavetes, mon idole de quand j'avais moins de trente ans. C'est sûr, ça ne me ferait plus le même effet, aujourd'hui, je me disais, j'étais jeune, je croyais que la vie c'était comme ça, ou plutôt que la vie se devait d'être comme ça, sinon à quoi bon... Be yourself!... Mais maintenant, toute cette hystérie, ce psychodrame permanent, non, je ne supporterais plus, ce n'est plus pour moi... je n'y croirais plus comme avant... Maintenant, j'ai envie de films posés, sobres, contemplatifs... Y en a marre des cris, des gesticulations, d'la caméra qui va dans tous les sens... Alors, j'ai revu une femme sous influence... comme ça, pour voir... Toute la dernière heure du film, je ne pouvais plus m'arrêter de pleurer... Pire que quand j'avais moins de trente ans... Et puis j'ai eu envie de revoir meurtre d'un bookmaker chinois... Oh là là... Alors, il a fallu que je revoie tous les autres... Je ne les avais jamais vus comme ça... C'était encore plus fort qu'autrefois...

mercredi 16 décembre 2009

Quel bonheur de pouvoir voir et revoir encore la mort aux trousses... Autour de minuit, l'envie me prend... Et je peux... Je l'ai... Je peux le voir autant de fois que je veux... Si j'avais su, quand j'avais dix ans, que j'aurais ce privilège... C'était le film qui suspendait le temps... C'était même un trou dans l'espace-temps... La vie, ce qui m'attendait, ne me réjouissait pas beaucoup... L'angoisse me nouait... J'avais parfois des crises terribles et je me roulais par terre en me tenant le ventre... (Un boyau qui se tord, disait le médecin de famille, qui était très gentil...) Mais là, pendant la mort aux trousses, tout disparaissait, j'étais happé... J'aurais aimé que ça dure l'éternité... Magie du cinéma... De ce film, en particulier, pour le gamin de 10 ans que j'étais, de 43 ans que je suis... La nuit m'appartient... Je n'ai plus ces angoisses de quand j'avais 10 ans, mais j'ai conservé le goût immodéré pour ce film... Je suis émerveillé à chaque fois au moins autant que la fois précédente... Quelle splendeur... Quel rythme endiablé... Et puis je ris, même si je connais toutes les répliques par cœur... (La scène dans l'ascenseur avec sa mère et les deux tueurs... juste m'en souvenir me fait glousser...) Et puis je suis toujours autant ému quand je vois Eva Marie Saint... Quelle grâce... J'en ai les larmes aux yeux, quand je la vois... La petite musique mélancolique de Bernard Herrmann, pendant les scènes d'amour... Comme c'est douloureux, au fond, l'amour, mon amour, comme si sa jolie main vous étreignait le cœur à nu, à vif, tendrement... Comme le technicolor était beau... Comme toutes les choses étaient belles, les voitures, les architectures, les compartiments de train, les robes d'Eva Marie Saint... Eva, qui s'appelle Eve, dans le film... Comme Cary Grant était drôle... Comme James Mason était fin... Comme Hitchcock était grand... Quel curieux mélange...

samedi 12 décembre 2009

Que dire alors de the crimson kimono? Tout comme dans pick-up on south street, Samuel Fuller, à un moment, s'est dit : Et si on lançait un chat dans le cadre? Il aimait bien, Samuel Fuller, lancer un chat dans le cadre, de temps en temps. C'est nerveux, un chat, c'est vif, toujours un peu sauvage, ça peut surprendre. Le tout, c'est de bien choisir le moment pour le lancer, le chat. On me dira que c'est anecdotique, voire en deçà, que c'est bien plus intéressant de parler d'amour, puisque ça parle d'amour, et de métissage culturel, et d'amitié, et de jalousie... Qu'il y en a toujours un qui reste sur le carreau... Et puis il y a un crime, quand même... Certes... Mais moi j'en reviens toujours au chat lancé dans le cadre, et aux travellings somptueux... Les scènes d'action, chez Fuller, c'est du jazz... J'aime tellement les travellings... Mais le chat, quand même, ça m'intrigue... Ce serait intéressant et rigolo de recenser tous les lancers de chat dans l'histoire du cinéma, peut-être même en faire une étude très poussée... Etait-ce l'accessoiriste, qui lançait le chat?... A-t-on souvent retourné la scène pour mauvais lancer de chat?... Y avait-il des chats spécialement affectés à ce rôle et qui auraient été ainsi lancés dans plusieurs films?... Tout comme dans underworld usa, tout comme dans pick-up on south street, il y a un personnage de femme mûre, qui a bien roulé sa bosse... C'est elle, qui a le mot de la fin : "Come on Charles, let's belt a few..."

vendredi 11 décembre 2009

"I die inside when you kiss me..." qu'elle lui dit. Après une telle déclaration, lui, il ne peut qu'être cynique et blessant. On n'est pas dans un film à l'eau de rose. Lui, en plus, l'amour et les beaux sentiments, ça n'est pas trop son truc... Son truc, depuis ses 14 ans, c'est la vengeance... Alors, quand une petite prostituée lui déclare sa flamme, ça le fait méchamment ricaner... Elle est divine... Il ne peut être qu'odieux... C'est un moment très gênant, voire révoltant, mais tellement jouissif... Comme dans pick-up on south street, la fille se prend au début un grand coup de poing dans la figure. (Au cas où l'envie lui viendrait de faire la femme fatale...) Samuel Fuller était un peu boxeur, quelque part et avait un truc bien à lui pour faire tomber les filles. Quel punch, dans underworld usa... Il était très en forme... C'est un de ses meilleurs rounds... La violence est parfois plus percutante, quand on ne la voit pas directement. Jacques Tourneur l'avait bien compris. Mizoguchi également... Dolorès Dorn est magnifique... Je ne l'ai jamais vue dans un autre film... Dommage... J'écris son nom, pour m'en souvenir... (Elle a joué surtout pour la télé...) Dès le départ, on est pris par le rythme sec et nerveux, porté par l'efficace musique d'Harry Sukman, également presqu'inconnu au bataillon... C'est filmé de façon magnifique par Hal Mohr, que je ne connais pas non plus, mais après une rapide recherche je vois qu'il a travaillé pour Don Siegel, qu'il a aussi filmé rancho notorious pour Fritz Lang, Captain Blood... (J'adore les films de pirates, surtout avec Errol Flynn, un truc de quand j'étais gamin...) Le chanteur de jazz... qu'il était déjà là en 1915, au temps du cinéma muet, derrière la caméra... Enfin, il n'y a rien à jeter... C'est du tout bon Fuller... comme on l'aime... du nerf... et puis cette sorte de lyrisme sec... A la fin, j'ai eu envie de retourner voir quelques scènes, qui semblaient déjà gravées à jamais dans ma mémoire...
J'ai adoré Satsuma, de Hiroshi Hirata. Ça m'a donné envie de revoir des films de samouraïs. Après ce manga, très documenté historiquement, on comprend mieux le Japon féodal, les tensions qu'il pouvait y avoir entre certains clans et le shogunat, mais aussi entre les samouraïs de rang différent. (Rappelons-nous le début de la vie d'O-haru femme galante, de Mizoguchi, quand Mifune, samouraï de condition modeste, est décapité pour avoir aimé une femme de haut rang...) On est captivé, du début à la fin, par cette épopée du clan Satsuma, qui fut chargé par le shogunat d'effectuer de pharaoniques travaux d'endiguement des fleuves, tout autant dans un but d'intérêt général que pour ruiner et mettre à genoux ce clan autrefois opposé aux Tokugawa. Les samouraïs se transforment alors en manœuvres, en véritables prolétaires, doivent ravaler leur fierté. Il en va de la survie de leur clan. On suit différents personnages. Il n'y a pas de héros principal. Le dessin est d'une grande force, à la mesure de l'histoire. (Mishima était un admirateur de Hiroshi Hirata.) On regrette seulement que ça ne se poursuive pas, à l'issue des plus de 1200 pages de la chose. C'était prévu. Hélas, plus de vingt ans plus tard, l'auteur n'a toujours pas repris sa grande fresque épique et humaniste.

dimanche 6 décembre 2009

"Oh putain, comme c'est beau!" me suis-je exclamé plusieurs fois tout haut en découvrant la fille des marais, de Detlef Sierck. A la fin, j'avais des grosses larmes qui roulaient sur mes joues. J'étais heureux, comblé par cette merveille de 1935 d'un jeune cinéaste allemand qui serait bientôt plus connu sous le nom de Douglas Sirk. J'imaginais que Sirk, dont je suis inconditionnel, s'était révélé à Hollywood. Je craignais un peu, avant de voir ce film, de tomber sur une vieillerie préhistorique, uniquement intéressante d'un point de vue la jeunesse de l'artiste, produite qui plus est dans un pays qui était sous le joug nazi depuis deux ans... Je me rends compte maintenant qu'il existait bien avant Hollywood et qu'il y avait déjà tout, avant, quand il était à la UFA. Même si ce n'était que son deuxième film, il avait déjà 35 ans, une solide expérience du théâtre (comme Preminger), une sensibilité nourrie d'une grande culture classique, un grand raffinement qui fait tellement défaut depuis quelques décennies... Il n'y a rien de maladroit, d'approximatif, de débutant, dans ce film... On sent une grande maîtrise, un art visuel hérité du Muet... (Je repense à ce que disait Peter Bogdanovich à propos d'Allan Dwan et de tous ces cinéastes classiques qui venaient du Muet... J'entends la voix nostalgique de Dwan évoquant le Muet : "C'était du rêve...") Certains plans sont à couper le souffle... (Tous ces miroirs... déjà...) J'ai parfois pensé à city girl, de Murnau, pour le lyrisme, la poésie onirique de certains plans, l'élégance, le sens du rythme. (Si l'on considère que les deux grands pionniers du cinéma allemand sont Fritz Lang et Friedrich Wilhelm Murnau, Douglas Sirk serait plutôt enfant de Murnau que de Lang...) J'ai pensé aussi à Mizoguchi. A Dreyer, en moins sombre... Mais j'ai pensé surtout à Douglas Sirk... Je me dis que si l'Allemagne n'avait pas sombré dans le nazisme, le cinéma allemand aurait été immense, quand on songe à tous ces artistes germaniques qui fuirent l'Europe et firent la gloire d'Hollywood, Lang, Preminger, Wilder, Siodmak, Ulmer... (Sans parler des éxilés volontaires des années précédentes, Von Stroheim, Murnau, Lubitsch, Von Sternberg...) S'il n'y avait pas eu cette tragédie, Detlef Sierck serait sans doute devenu l'un des plus grands cinéastes allemands, peut-être même plus grand que Douglas Sirk... Ça saute aux yeux... Mais Detlef Sierck, cinéaste pour le moins prometteur, a disparu dans les oubliettes de l'Histoire... (Le nazisme lui a même ravi sa femme et son fils...) Après moultes péripéties, plusieurs exils, il s'est retrouvé en Amérique, pour survivre a fait le fermier, l'éleveur de poules, sans aucune aigreur, semblait même garder des souvenirs émus et joyeux de cette époque difficile... C'est seulement en 1943, que Douglas Sirk a pu faire son premier film, Hitler's mad men...