dimanche 4 novembre 2012

Elle savait fumer, Tippi Hedren. Les femmes, aujourd'hui, ne savent plus fumer. C'est bien triste. Sur les paquets on nous dit maintenant qu'on ne bandera plus, qu'on attrapera un cancer du poumon ou de la gorge, dents et gencives, on va crever c'est certain et de façon affreuse. Mais en ce temps-là on s'en foutait, on ne savait pas que c'était mal. Car fumer c'était bien. Fumer c'était même beau. Un truc d'Indiens, au début. Tippi, forcément, avec un nom pareil, elle ne pouvait que faire la chose avec art. Et c'était donc de l'art. Sans aucun doute. Je vais faire un tour dans les galeries, à la biennale, je n'en vois point, de l'art. Mais là, je la regarde fumer et c'est une évidence. Elle me regarde elle aussi, d'ailleurs. Nous nous regardons, elle et moi, Tippi and I. Moi aussi alors j'en allume une. Avec art aussi je la fume. J'adore la regarder fumer. Je me repasse la scène en boucle. Ça me met comme en adoration. Je pourrais passer ma vie à la regarder fumer. C'est sa dernière cigarette. Après, il n'y aura plus que les oiseaux. Mais là elle est encore un peu tranquille. Assise, elle fume. Elle est pensive. Elle ne fait pas trop attention aux oiseaux perchés derrière elle. Elle est un peu vicieuse même si elle ne sait pas vraiment encore à quel point. Elle est tellement gracieuse, quand elle fume. Elle est venue avec des love birds, apparemment innocemment. Des love birds... Plus tard, on ne sait pas trop pourquoi, peut-être seulement guidée par son désir, elle montera dans la chambre. Des bruits d'ailes l'attirent. Elle sait qu'il ne faut pas. Mais elle monte. Comme envoûtée. Et là-haut, dans la chambre, elle obtient ce qu'elle désirait tant, tout au fond. Tous ces petits becs bien durs qui s'abattent sur elle et la piquent, la déchirent soudain. Elle est prisonnière de la chambre, là-haut, de son désir enfin qui s'assouvit, depuis le temps que ça la travaillait. Oh... Mitch... gémit-elle, proche de l'extase. Les becs du plaisir, après les ailes du désir... Mais Mitch est derrière la porte qu'elle bloque de son corps abandonné aux oiseaux. Il sera toujours derrière la porte, Mitch, il suffit de voir sa gueule. Il n'y comprend rien, Mitch. Il ne voit en elle que sa mère en plus jeune ou plutôt il n'a même pas conscience de voir en elle sa mère en plus jeune, comme il ne l'a jamais connue. Même taille, même maintien, même coupe de cheveux, grosso modo. Les cheveux sont devenus gris. Les vêtements aussi. Le regard est devenu sévère, amer. Sa mère, elle comprend tout, parce qu'elle a déjà vécu tout ça, au moins en rêves. Mais lui, il restera toujours derrière la porte.

1 commentaire:

Lectrice a dit…

84 ans et toujours alerte, Tippi... une femme qui préfère l'avenir au passé :

"If you could edit your past, what would you change?
Nothing. I've learned from all of it.

If you could go back in time, where would you go?
I wouldn't. I'd go into the future."

See : http://www.theguardian.com/lifeandstyle/2014/feb/14/tippi-hedren-interview

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