Tu reviens, alors. Parce qu'il y a toujours une forêt. Tout est à la surface. Il suffit de voir. De rester à la surface, c'est à dire déjà d'y entrer, car on ne peut pas y rester si d'abord on n'y est pas entré. La surface est profonde. On peut s'y enfoncer et même s'y perdre, c'est bien alors de semer des petits cailloux pour retrouver son chemin. Le monde est plat, à côté. Tu reviens, mais tu ne vois pas. Tu passes. Le temps presse, toujours. Tu n'as pas que ça à faire. Tu reviens parce que tu en as pris l'habitude, c'est tout. C'est comme aller au boulot, te brosser les dents, c'est même moins que ça, juste une petite chose que tu fais comme ça, tu ne sais pas trop pourquoi mais tu reviens, comme ça, parce que c'est comme ça, parce que tu es comme ça. Ça ne te prend pas beaucoup de temps, heureusement, tu te dis. Ce n'est peut-être pas par ennui, mais au contraire pour l'ennui, que tu reviens, parce que ça t'ennuie, une fois que tu te retrouves ici. Tu t'ennuies. C'est peut-être ça qui te manque, l'ennui, ça que tu as perdu et que tu viens retrouver un peu ici. Tu ne restes pas longtemps parce que peut-être tu pourrais y prendre goût et l'idée ne te plaît pas. Parce que tu vis dans un monde d'idées, un bien triste monde d'idées. Tu as quand même mieux à faire, tu te dis. Mais quand l'instant viendra, tu comprendras que tu n'avais rien de mieux à faire, que tout n'était que du vent, que le monde était plat, que ta vie aussi était plate, un ensemble de réflexes conditionnés, rien de plus, rien de mieux, que tu n'as agi au fond que par désespoir ou terreur. Pour meubler le vide. Pour chasser l'ennui. Tu n'étais qu'un pantin. Tu croyais être libre mais ce n'était qu'une idée. Tout ce que tu as accompli pour te libérer n'a fait que t'enchaîner un peu plus. Alors que tu aurais pu entrer, tu as passé ton chemin. Tu ne reviens même à chaque fois que pour passer ton chemin. Ensuite tu retournes à ta petite vie, à ton petit monde, ton rôle, ça te rassure, c'est du solide, tu te dis, tu as des rendez-vous, des connexions, de l'importance, tu as voulu le croire en tout cas et tu as même fini par le croire. Mais tu reviens. Que cherches-tu? Que cherches-tu vraiment? Tu ne vois pas la forêt mais tu reviens. Si tu prenais le temps, peut-être qu'au bout d'un moment tu me verrais, là-bas, pissant contre un arbre. Mais tu ne prends jamais le temps. Tu ne fais que passer.
vendredi 23 novembre 2012
mercredi 21 novembre 2012
Tu t'ennuies. Tu ne sais pas de quoi tu as envie. Tu ne sais même plus si tu as encore envie. Tu reviens, ici. Encore et encore. Tu ne sais pas pourquoi. Peut-être que tu te dis que tu trouveras quelque chose, ici. Ou quelqu'un. Ce n'est pas parce que tu n'as jamais rien trouvé ni personne que ça ne changera pas, tu te dis. Alors tu reviens. Tu te dis qu'il y a peut-être quelque chose ou quelqu'un, derrière le mur, derrière la fenêtre. Dedans. Tu sais qu'il n'y a rien ni personne mais pourtant tu reviens. Car peut-être qu'il y a quelque chose ou quelqu'un, tu te dis, même si tu sais qu'il n'y a rien ni personne. Que cherches-tu? Que désires-tu trouver? Peut-être seulement l'oubli. L'oubli de tu ne sais plus quoi, ou qui. L'oubli. Peut-être juste l'oubli de toi. Alors, tu reviens, même s'il n'y a rien ni personne. Tu reviens. Tu ne peux pas t'en empêcher. À chaque fois, une petite excitation naît de l'espoir qu'il pourrait y avoir quelque chose ou quelqu'un, enfin. Un petit déclic. Comme une petite faim. Un petit vide qui s'ouvre en toi. Alors tu reviens. Mais le tableau est toujours le même. Le mur toujours le même. Et ton petit vide se referme comme il se referme à chaque fois et tu oublies même alors qu'il y avait un petit vide, au début, une petite faim. Peut-être aussi que c'est rassurant, de constater qu'il n'y a toujours rien ni personne, que tout est toujours pareil. Peut-être que tu aurais très peur si, soudain... Non, ne crains rien... Rien ne change... Tout reste caché... Même s'il n'y a peut-être rien... Tout peut continuer alors... Tu peux revenir autant de fois que tu veux alors, encore et encore, sans crainte...
dimanche 11 novembre 2012
Je suis à l'extérieur. J'en fais le tour. En refais le tour. Regarde s'il n'y a pas moyen d'entrer. Ceux qui étaient à l'intérieur ne rêvaient que d'évasion, se retrouver enfin à l'extérieur, et moi maintenant j'aimerais tellement entrer, voir ce qu'il y a de l'autre côté. Je cherche une ouverture. N'en trouve pas. Je me contente alors d'en faire le tour. Bientôt, il n'y aura plus rien, à l'intérieur, c'est pour ça aussi que j'aimerais bien entrer, pour voir. Ce n'est pas seulement de la curiosité touristique. Je sens que de l'autre côté je trouverais quelque chose, je ne sais pas quoi. Je le sens. Ça m'attire. Ça me murmure. Il a dû s'en passer, des choses, là-dedans. Bientôt, il n'y en aura plus aucune trace. C'est pour ça que j'y viens souvent et que j'en fais le tour, cherchant un passage. J'aurais aimé pouvoir m'y promener, à l'intérieur, m'asseoir dans la cour, fumer une cigarette laissant pendre mon bras entre les barreaux d'une fenêtre, toucher les pierres, toucher les portes, le métal froid, de l'intérieur en faire le tour. L'horizon est-il tellement différent de l'intérieur? Ne sont-ce pas les mêmes pierres dans le mur? Les mêmes nuages dans le ciel? Je me fais quand même une raison. Me demande même au bout d'un moment si ce n'est pas seulement la surface qui m'attire et m'absorbe. Et la surface qui m'attirerait et m'absorberait si je me retrouvais à l'intérieur. Les lignes. Les formes. Sans doute. N'empêche que j'aimerais bien entrer. J'en suis parfois à dresser des plans d'invasion. C'est sans doute plus facile d'y entrer que d'en sortir. Le problème : Une fois à l'intérieur, comment ferais-je pour en sortir?
dimanche 4 novembre 2012
Elle savait fumer, Tippi Hedren. Les femmes, aujourd'hui, ne savent plus fumer. C'est bien triste. Sur les paquets on nous dit maintenant qu'on ne bandera plus, qu'on attrapera un cancer du poumon ou de la gorge, dents et gencives, on va crever c'est certain et de façon affreuse. Mais en ce temps-là on s'en foutait, on ne savait pas que c'était mal. Car fumer c'était bien. Fumer c'était même beau. Un truc d'Indiens, au début. Tippi, forcément, avec un nom pareil, elle ne pouvait que faire la chose avec art. Et c'était donc de l'art. Sans aucun doute. Je vais faire un tour dans les galeries, à la biennale, je n'en vois point, de l'art. Mais là, je la regarde fumer et c'est une évidence. Elle me regarde elle aussi, d'ailleurs. Nous nous regardons, elle et moi, Tippi and I. Moi aussi alors j'en allume une. Avec art aussi je la fume. J'adore la regarder fumer. Je me repasse la scène en boucle. Ça me met comme en adoration. Je pourrais passer ma vie à la regarder fumer. C'est sa dernière cigarette. Après, il n'y aura plus que les oiseaux. Mais là elle est encore un peu tranquille. Assise, elle fume. Elle est pensive. Elle ne fait pas trop attention aux oiseaux perchés derrière elle. Elle est un peu vicieuse même si elle ne sait pas vraiment encore à quel point. Elle est tellement gracieuse, quand elle fume. Elle est venue avec des love birds, apparemment innocemment. Des love birds... Plus tard, on ne sait pas trop pourquoi, peut-être seulement guidée par son désir, elle montera dans la chambre. Des bruits d'ailes l'attirent. Elle sait qu'il ne faut pas. Mais elle monte. Comme envoûtée. Et là-haut, dans la chambre, elle obtient ce qu'elle désirait tant, tout au fond. Tous ces petits becs bien durs qui s'abattent sur elle et la piquent, la déchirent soudain. Elle est prisonnière de la chambre, là-haut, de son désir enfin qui s'assouvit, depuis le temps que ça la travaillait. Oh... Mitch... gémit-elle, proche de l'extase. Les becs du plaisir, après les ailes du désir... Mais Mitch est derrière la porte qu'elle bloque de son corps abandonné aux oiseaux. Il sera toujours derrière la porte, Mitch, il suffit de voir sa gueule. Il n'y comprend rien, Mitch. Il ne voit en elle que sa mère en plus jeune ou plutôt il n'a même pas conscience de voir en elle sa mère en plus jeune, comme il ne l'a jamais connue. Même taille, même maintien, même coupe de cheveux, grosso modo. Les cheveux sont devenus gris. Les vêtements aussi. Le regard est devenu sévère, amer. Sa mère, elle comprend tout, parce qu'elle a déjà vécu tout ça, au moins en rêves. Mais lui, il restera toujours derrière la porte.
jeudi 1 novembre 2012
Il est peut-être... mort, il m'a dit. Et moi : Ou tout simplement il est parti, il a changé de quartier ou même de ville, depuis le temps qu'il était dans la rue aussi, dans cette rue, à la rue dans cette rue depuis au moins... huit... neuf ans... Ou alors peut-être en prison, on ne sait pas... Mais lui, mon voisin, journaliste sportif dans un torchon local qui m'avait hélé à la sortie du supermarché avec une seule question en tête, une question qui semblait même l'obséder : Le type, qui était toujours là, on ne le voit plus, tu ne sais pas où il serait passé?... Et moi : Patrick tu veux dire?... Parce qu'il ne connaissait pas son prénom, ne s'était même jamais arrêté pour causer un peu ou lui donner la pièce, parce qu'il lui fichait la trouille, il passait en regardant ailleurs, et puis il le dégoûtait un peu aussi, Patrick... Mais maintenant qu'il ne le voyait plus, il n'avait plus la trouille, il s'inquiétait, il manquait quelque chose ou plutôt quelqu'un dans la rue et, gravement, il redoutait qu'il fût... mort... Avec la mort viennent les regrets... On aurait dû ceci, on aurait dû cela... Là maintenant il voulait faire le tour des antiquaires de la rue, leur demander s'ils ne savaient pas, eux, parce que parfois il donnait un coup de main aux antiquaires, Patrick, alors ils devaient savoir, eux... Il était inquiet, mon voisin, quelle grande âme je me suis dit... Puis il m'a dit que c'était bien misérable de gâcher sa vie comme ça... Parce que mon voisin, lui, il devait estimer ne pas gâcher sa vie, bien au contraire, que sa vie valait la peine, et la mienne aussi je me suis rendu compte, il m'incluait dans son monde de vies réussies, nos vies n'étaient donc pas gâchées ni même gâchables, mais la vie de Patrick elle avait été gâchée et même énormément et même plus grave : Il avait lui-même, délibérément, gâché sa vie... La mienne, de vie, je lui ai dit, pour couper court, ne vaut sans doute pas mieux, même si j'ai un toit et de quoi bouffer... Et que savait-il de la vie de Patrick, Patrick la poisse pour les intimes, lui qui ne s'était jamais arrêté pour causer un peu?... Et que savait-il même de la vie?... J'ai lu dans son regard un peu terne tout ce que j'avais besoin d'en savoir...