mercredi 19 septembre 2012

J'sais pas quoi dire... Qu'est-ce que j'peux dire... Le temps passe, je vieillis, rien ne change, je ne sais toujours pas quoi dire, même vieillir ça ne change rien au fait que rien ne change, c'est toujours vieillir, on s'use, même sans rien faire on s'use, c'est programmé, on est déjà presque mort à peine prend-on conscience qu'on est un peu vivant... J'ai beau me creuser le ciboulot, rien ne vient, rien ne viendra, car rien n'est jamais venu, on dit l'inspiration, on dit les muses, on dit bien d'autres choses encore, quand ce ne sont que les mots qui s'amusent, qui se jouent même de nous, tout comme les gènes se jouent de nous en nous murmurant des fictions dont on est les héros, pauvres marionnettes, pauvres cobayes, expériences peut-être bien les plus foireuses parmi tant d'autres, qu'on en croirait presque qu'ils viennent de nous, alors qu'ils ne viennent pas de nous, ce seraient peut-être même plutôt nous qui viendrions d'eux... On s'enivre d'eux, c'est tout, dans le meilleur des cas, c'est comme le vin, il faut aimer le goût, l'ivresse, il n'y a que ça qui vaille la peine... Il y a toutes sortes de vins, toutes sortes de goûts, toutes sortes d'ivresses, mais il n'y a qu'une sorte de peine, qui est la peine, un point c'est tout... Et eux, alors, ils viendraient d'où?... Ah... cette question... Au début, était le Verbe, oui, parfaitement... Nous autres, on n'est jamais que des bêtes, des amibes qui ont proliféré... Mieux que les chiens ou les chats?... Ça reste à prouver... Que les oiseaux?... Certainement pas... Je parle pour le Verbe, là... Pour le reste, on est certainement infiniment plus malfaisants... Et quand je ne le creuse pas, le ci-boulot, rien ne vient non plus... Je m'entretiens, m'a dit Jean-Pierre ce matin, au spleen, je fais ma gymnastique... Il a le coude alerte, il faut dire, et même les deux, le gauche, le droit, il sait lever les deux avec la même aisance, suivant avec qui il cause, à gauche ou à droite du comptoir, lui qui porte un nom fameux d'eau minérale et n'a jamais donc eu besoin d'en boire... Je lui regarde les mains... Je regarde toujours les mains... Les mains m'en disent souvent plus et mieux que les têtes... Des mains me sont parfois aussitôt sympathiques... Ou aussitôt répugnantes... Des mains de salauds... Des mains mesquines... Et des gracieuses... Des fines...  Des bonnes et des vicieuses, des intelligentes et des connes... Il est artisan, Jean-Pierre... Il restaure les pièces en cuir sur les meubles anciens, bureaux, secrétaires, il m'a dit comment ça s'appelait, son métier, il y a quelques années, j'ai oublié, un mot que je n'ai entendu qu'une fois dans ma vie, un métier très rare il faut dire et tout ce qui est très rare s'oublie très vite, ne demeure que le vulgaire... Dans son échoppe, il m'a montré de la peau de requin, de raie, des petites boîtes époque art déco qui en étaient recouvertes... Il s'y connaît, en peau... Et puis il est fainéant aussi... Des mains d'artisan... et de fainéant... Je regarde alors les miennes de mains... juste de fainéant... Moins vieilles, mais quand même... elles ne sont plus toutes jeunes... le cuir de moins en moins élastique... En même temps, ça peut être beau, les vieilles mains... Elles ont vécu, celles-là... Il a une bonne tête aussi... On dirait un peu Jacques Brel... qui aurait vécu plus longtemps... Des grandes dents de cheval, pareil... Il a raison, Jean-Pierre, de s'entretenir, de faire sa gymnastique... Moi aussi, je devrais faire ma gymnastique, m'entretenir, même si je ne sais pas quoi dire... Mais je manquais d'images... Elles ne viennent pas de nulle part, les images, il faut les fabriquer... Sans images, il n'y a rien... Il faut toujours une image... J'en avais plus... C'est comme la gymnastique... Essayez de faire le grand écart sans jambes, ou des pompes sans bras... Voilà, c'est de la gymnastique, il s'agit d'entretenir ses muscles, sa souplesse, son souffle... On a vite fait de s'atrophier sinon... Faut s'entretenir... Ce qui est marrant aussi, c'est que Jean-pierre on dirait qu'il a la tête de kinuyo Tanaka dans la vie d'O'Haru femme galante... On ne voit pas trop le rapport, mais pourquoi faudrait-il qu'il y ait toujours un rapport?... C'est fortuit... C'est débile... Ça n'a aucun sens... C'est comme la vie... Moi, ça me fait bien rigoler... Belle main d'artisan, en tout cas... belle main de fainéant...

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