Je suis mort, alors. Un des avantages, quand on est mort, c'est qu'on n'a plus peur de mourir. Ni même de rien. Il y en a d'autres, des avantages, plein d'autres. Par exemple, on se rend compte que ce qui est froid peut tout aussi bien être chaud au même moment. Sous le froid couve toujours le chaud et sous le chaud le froid. Rien n'est en soi chaud ni froid. C'est juste la sensation qu'on en a. C'est même parfois juste la sensation qu'on aimerait en avoir... Ce qui me manquait surtout, depuis que j'étais en ville, c'étaient les saisons. Voir l'automne arriver dans les feuillages. La mort est belle. Toutes ces couleurs... En ville, tout était toujours plus ou moins gris, il n'y avait plus que des platanes malades qu'on tronçonnait l'un après l'autre pour qu'ils n'infectent pas les de plus en plus rares platanes sains. La maladie du platane, on disait. Un champignon, qui avait élu domicile dedans, le grignotait de l'intérieur. Ça sentait la fin d'une époque et même la fin d'un monde. Les platanes n'auraient plus leur place, dans le nouveau monde. Et moi non plus. C'est peut-être d'ailleurs la maladie du platane qui m'a eu. J'avais donné un dernier cours d'aïkido, remplaçant comme je pouvais ma maîtresse qui était partie en Norvège j'ai oublié pourquoi. Mon bras était une branche. Je ne pensais pas à une branche de platane mais bien plutôt de saule. La branche n'avait aucune volonté, aucune force. Juste sa forme et sa souplesse, sa nature de branche. Il y avait un poids, sur la branche... C'est toujours un peu la même histoire... Celle de la chute des corps, de la gravité... Du poids qui vous écrase si vous luttez... Pour une fois, j'avais été plutôt content de moi, n'avais pas eu l'impression de tourner laborieusement les pages d'un catalogue de techniques... Tout me semblait tellement simple... Ce qui est délicat, ce n'est pas de se libérer d'un poids énorme, mais d'une simple goutte d'eau... la laisser aller jusqu'au bout de la branche, sans rien précipiter, sans vouloir rien précipiter... Elle prend de la vitesse, toute seule... Autrement dit, c'est bien plus délicat de laisser fuir la vie quand elle est si légère, quand on la sent à peine... On aimerait parfois la retenir... mais ce serait la figer et se figer alors soi-même... Personne n'avait rien compris peut-être... J'étais obscur?... Je n'en sais rien... Moi j'avais eu l'impression pour une fois d'être clair... On m'avait trouvé prétentieux peut-être, de laisser tomber le catalogue des techniques, de laisser tomber aussi le charabia yin et yang, de laisser peut-être aussi tomber l'aïkido... Le but n'était-il pas de laisser tomber?... Je n'étais pas un grand technicien il faut dire, me sentais plus à l'aise dans les images, que je ne savais pas forcément bien dessiner... Seules les images m'intéressaient... Je suis un arbre et mon bras est une branche... Tant qu'il y aura de la sève... Mais voilà, la maladie du platane m'a gagné, moi qui croyais être un saule...
dimanche 30 septembre 2012
vendredi 28 septembre 2012
On dirait que je serais mort, donc. Je commencerais même franchement à aimer ça. Si j'avais su, je serais mort bien plus tôt... Des choses me reviennent et je souris. On ne rit pas, quand on est mort, mais qu'est-ce qu'on peut sourire... C'est alors comme si on s'ouvrait, comme une fleur au soleil du matin. On devient poète, aussi, quand on est mort. On se dit d'ailleurs que les meilleurs poètes étaient peut-être bien morts de leur vivant. Je parle là des vrais poètes, ceux qui disent les arbres, les oiseaux, l'air et l'eau... Bref, depuis que je suis mort, je souris beaucoup, peut-être même en permanence, car il n'y a plus jour ni nuit. Me revient alors ce rêve que je faisais souvent. Je perdais mes affaires. Il y avait toutes sortes d'histoires possibles dans lesquelles, à un moment, je perdais mes affaires. Mes affaires, dans un sac, ou dans une valise, selon l'histoire. Je passais ensuite tout le rêve à rechercher mes affaires. En vain... C'était vital. Sans mes affaires, je n'étais plus personne, plus rien. Il faut dire que j'étais très matérialiste, de mon vivant, même si je donnais l'impression de ne pas l'être, habitant toujours à 46 ans un T1bis habituellement loué à des étudiants, meublé de peu. Mais toujours très soucieux de mes affaires. Ma clarinette, mon stylo, mon carnet, mon volume des taoïstes chinois, le caillou que j'ai ramassé un jour sur une plage, le tout nouvel appareil photo que je n'ai pas vraiment eu le temps d'expérimenter car je suis mort quelques jours seulement après l'avoir acheté... Et chez moi, ma bibliothèque, ma cinémathèque, ma musicothèque, ma pinacothèque, ma cailloutothèque... Mais mes affaires, celles que je perdais dans mon rêve récurrent, étaient mes affaires essentielles, celles qu'on emporte sur l'île déserte, celles qui vous résument, vous définissent vraiment... Toute ma vie, même si j'ai très peu voyagé, aura été passée à préparer mon sac, à le remplir et le vider, qu'il soit en permanence au poids et à la mesure de qui j'étais et comme mon être était toujours fluctuant mon sac l'était également... Le perdre, c'était aussi perdre cette conscience de moi, ce poids, cette mesure... Mes affaires, c'était moi, en somme... Les perdre, c'était me perdre... Je n'étais plus personne, sans elles, je n'avais plus de poids... Je ne pouvais pas me promener tout simplement les mains dans des poches vides... Il me fallait mon sac, avec dedans ma brosse à dent, mon couteau, mon stylo... Et, à un moment, dans une gare par exemple, je voyais passer par exemple, bouche bée, une fille sublime... J'en oubliais mon sac ou alors c'était mon sac qui m'oubliait, se détachait tout seul de moi... Un instant d'égarement... Je me retournais... Le sac que j'avais peut-être posé sur un banc avait disparu, ou n'était simplement plus sur mon épaule... Je passais ensuite la nuit à le rechercher, refaisant d'abord les trajets simples que je venais de faire, revenant sur mes pas, puis tout devenait tellement compliqué, s'embrouillait, je me perdais de plus en plus dans la ville qui était un vrai labyrinthe... embarqué dans toutes sortes d'aventures plus ou moins étonnantes... Au fur et à mesure, je perdais la conscience de moi, n'ayant plus mes affaires, qui me donnaient une identité, prouvaient mon existence... L'idée de mes affaires à retrouver demeurait, même si je savais de moins en moins ce qu'elles étaient, ce que cela signifiait... Je poursuivais mon chemin, ainsi mu par une idée qui avait fini par se vider de sa substance... finissais souvent par être quelqu'un d'autre, voire même une autre bête, un chien, un chat, voire même une autre plante... ça dépendait des fois... Et maintenant, depuis que je suis mort, je souris... Il faut dire que j'ai enfin retrouvé mes affaires...
jeudi 27 septembre 2012
On dirait que je serais mort, mais que je serais encore un peu là, d'une certaine façon. Dans les limbes cybernétiques on dira. Tout cela n'est peut-être alors qu'un écho, ou comme l'effet d'une persistance rétinienne. Coincé là. Je pensais que peut-être je m'éteindrais comme une veille télé à tube cathodique. Sauf que rien ne se passe comme on l'avait prévu. Difficile à raconter. Soudain, j'ai su. Très vite. Tout. Instant très bref de totale clairvoyance ou alors de totale ignorance. Puis, tout aussi vite, je me suis même demandé si ce n'était pas simultané, je n'ai plus rien su. Et je me suis alors retrouvé là, dans ces limbes. Un genre de fantôme. En transit. Pour je ne sais plus où. Je l'ai su, à l'instant où j'ai tout su. Puis je ne l'ai plus su, puisque je n'ai plus rien su du tout. Je suppose que je suis en transit, un peu comme dans une gare, ou dans un camp de rétention où je serais tout seul en attendant d'être embarqué vers ma destination finale, mais peut-être pas, peut-être qu'en fait je suis déjà arrivé, qu'il n'y a plus rien après, pas même rien. Ça ne m'inquiète pas. Là ou ailleurs... Je suis là, même si je ne sais pas vraiment où, ni pourquoi, ni même comment j'y suis arrivé. Ça ne change pas tellement je crois ou plutôt je présume de ce que j'ai connu de mon vivant. De mon vivant... j'essaye de me souvenir... ou plutôt je dis que j'essaye de me souvenir, car je n'en ai aucune envie, de me souvenir, comme je n'aurais aucune envie de placer mon doigt au dessus de la flamme d'une bougie... Ce n'est pas que je redoute quoi que ce soit... C'est juste que je sais que ça brûle... Quand on le sait, c'est un peu con d'y mettre le doigt, sauf quand on aime souffrir... Et c'est tellement loin... Ou plutôt c'est tellement ailleurs... En même temps, ce n'était pas tellement différent il me semble... Peut-être qu'en m'efforçant j'aurais des souvenirs, que je pourrais me faire une idée de qui j'étais de mon vivant, deux ou trois anecdotes, des personnes qui ont compté, des choses que j'aimais faire, des sentiments, des sensations, des goûts... Le goût du café, c'était comment?... C'est étrange... Je n'en ressens pas la nécessité... C'est comme si cette état dans lequel je suis était celui dans lequel j'ai toujours été... La différence c'est que plus rien ne vient interférer... Je me suis détaché... Je suis loin... En même temps je suis là... Ça me semblait étrange, au début... Maintenant, ça me semble normal, comme si j'avais toujours été là, dans mon élément... Je n'est pas un autre... Sans doute l'était-il de mon vivant... Ainsi, si je m'efforçais, je pourrais en dire l'histoire... de cet autre... Mais tout effort m'est devenu non pas pénible, mais incongru... Déjà que j'étais paresseux de mon vivant... Maintenant, je peux dire je suis, tout comme je peux dire à la fois je ne suis pas... car c'est exactement la même chose... De même que l'individu que je suis est tout à la fois dividu... De mon vivant, j'aurais ressenti peut-être la nécessité de le prouver, ne serait-ce que pour passer un moment... Maintenant, je me sens libéré de toute nécessité... Je suis là, je pourrais être ailleurs, sauf que je suis là... Et tout en étant là, je suis ailleurs... Parce que c'est exactement la même chose, le même endroit, le même nulle-part...
mercredi 26 septembre 2012
On dirait que je serais mort. Personne n'en saurait rien. Pas même moi. Mon harem de lectrices enamourées, inquiètes et frustrées, finirait peut-être par se manifester, au bout de quelques mois, laissant des commentaires idiots mais touchants, midinets, qui ne seraient évidemment pas publiés. Puis elles se feraient une raison, finiraient même par oublier. C'est finalement comme un feuilleton télé qui se termine sans se terminer, faute de budget, faute d'audience, faute même d'envie. Il n'y avait pas de scénario. Le mortel ennui a fini par gagner tout le monde. On venait voir par habitude, c'est tout. Là où ailleurs... On s'endormait un peu devant, avant la sieste, c'était un peu comme Derrick... L'âme s'échappe-t-elle par la bouche? Par les yeux? Ou alors dans un dernier pet va rejoindre le Grand Trou dans la Couche d'Ozone? Le dernier pet, ça ferait un titre bien... non? Ou alors il n'y en a pas, d'âme, et on s'éteint comme une télé à tube cathodique, un flash accompagné d'un grésillement comme une poignée de sable et un petit point blanc ensuite au centre de l'écran qui finit aussi par disparaître. Moi j'en sais rien. J'ai fait longtemps ce rêve. Je faisais le mort, pour voir ce que ça faisait, s'il y avait des gens qui viendraient me voir, me toucher, me parler, si je comptais. Parfois oui. Parfois non. En fait c'était surtout pour qu'on vienne me toucher. Ça pouvait devenir très sexuel et je bandais alors très dru. C'était le bon moment pour ne plus faire le mort. Sauf que j'étais vraiment mort... Raideur cadavérique... Au moins, ça dure longtemps... Je me faisais une raison... J'apprenais à me contenter de ce que j'avais... J'étais regretté, au moins, on m'avouait des choses inouïes, on me désirait, même mort, surtout mort, ce n'était pas rien... Je me sentais important, finalement plus vivant mort que vivant... Certes je ne pouvais plus bouger ni rien communiquer... Qu'aurais-je dit de toutes façons?... On ne parle pas de la même façon aux morts qu'aux vivants... Si je m'étais ranimé, je me serais sans doute fait insulter, traiter de pervers, de salaud... On m'aurait peut-être même lynché... Mais là, mort, on m'aimait... Des filles venaient sans préambule me chevaucher tendrement ou sauvagement selon... ou juste me branlaient gentiment, le regard embué, comme on secoue un mouchoir blanc dans une gare pour dire adieu, ou me suçaient, en soulevant leur voile de crêpe, même si toutes n'en portaient pas... ça dépendait des fois... C'était chouette, même si j'éjaculais toujours dans l'autre monde, c'est à dire plus dans le rêve, mais dans mon lit, et que la conscience de la pollution en train d'avoir lieu gâchait quelque peu le plaisir, ne serait-ce que par crainte d'en foutre partout, ce qui m'incitait à maîtriser autant que je pouvais la puissance et l'intensité du jet par toutes sortes de techniques manuelles mais aussi mentales, dans un soucis au pire d'émission lente et contenue dans un périmètre sanitaire délimité en catastrophe, comme on parque les chevaux sauvages même s'il y en a toujours un ou deux qui s'échappent, au mieux d'orgasme seulement interne, tantrique, ce qui n'était jamais gagné d'avance, mais quelle fierté, quand j'y parvenais ne serait-ce qu'à moitié... La petite mort, en somme, me ramenait invariablement dans le monde des vivants, quand j'aurais préféré rester là-bas, au moins pour ne pas interrompre le plaisir... En même temps, je les trouvais un peu malsaines, nécrophiles quand même, ces filles, non?... Ou alors, comme Isis paluchant Osiris, elles tentaient de me faire revenir du royaume des morts?... Moi, je ne pourrais pas me taper une morte... Elles sont bizarres, quand même, ces filles...
lundi 24 septembre 2012
Je suis gras. Ça ne se voit pas, comme ça, de l'extérieur. C'est à l'intérieur que je suis gras. Tout gras. De l'extérieur, je suis encore svelte. Mais à l'intérieur alors... À la rigueur il vaudrait mieux que ça se voit, que je sois gras de l'extérieur, mais qu'à l'intérieur je sois svelte. Tous mes efforts pour être moins gras à l'intérieur m'ont en fait rendu encore plus gras. Avant, j'étais juste un peu trop gras. Maintenant, je suis carrément trop gras. C'est dans le sang. Il y a des yeux, dans mon sang, comme dans la soupe, j'imagine. Le fait d'y avoir pensé trop peut-être aussi, d'être devenu même un obsédé du gras, du Bon contre le Mauvais, un illuminé, un intégriste, croisé de l'Ordre de la Sardine... Sus au cochon!... J'ai voulu être le premier de la classe de sang, un truc comme ça... Du coup, j'ai eu l'impression de redoubler, quand la créature du labo sanguin m'a rendu ma copie... Je n'avais jamais redoublé, avant... C'est humiliant... Surtout quand vous avez bossé dur pour y arriver... Toutes ces sardines, quand même... S'il avait fallu, je me les serais injectées, les sardines, ou alors même vivantes, frétillantes, façon suppositoires, qui allaient à coup sûr me nettoyer tout ça... Macache... Trop de sardines noient la sardine, peut-être, ce que j'ai dit à mon médecin, tout à l'heure, en fumant une clope sur le trottoir après l'aïkido... Je suis une fabrique de gras... Ça va me boucher les artères... je vais faire un infarctus, comme papa, ou même pire une attaque cérébrale, comme pépé... À moins que le cancer m'attrape avant... Le gras, ça se transmet, de père en fils... Cholestérol & Son... J'en avais beaucoup moins il n'y a même pas un an en bouffant des saucissons gros comme mon bras et des tartines de beurre larges comme ma cuisse... c'est quand même intriguant... Je ne vais plus rien bouffer, autrement... puisque je transforme tout en gras, je vais me laisser sécher, virer fakir... Ça m'a fichu un coup, au début, moi tellement confiant, tellement content de moi... Ça m'a rappelé le bac blanc, quand le prof d'histoire géo avait rendu les copies... J'avais fait un truc pas trop mal et même bien il me semblait, lyrique... Alors le prof, il s'était mis à lire des morceaux d'une copie dans laquelle la France était le premier producteur de pétrole de l'OPEP et des tas d'autres conneries... Tout le monde rigolait, moi y compris... Quel abruti quand même, quel ignorant... Je devais même rire plus fort que les autres... Le prof, lui, il n'avait jamais de sa vie lu un truc pareil, il n'en revenait pas, ça ne valait pas zéro, s'il avait pu il aurait mis moins quelque chose, c'était pour ainsi dire hors barèmes, il était même en colère, qu'un de ses élèves soit aussi con, que son enseignement ait mené à ça... Sauf que l'abruti, c'était moi... Moi?... Non... quand même pas... Au cours de sa lecture, j'avais quand même progressivement moins ri, certaines phrases m'ayant semblé parfois familières, le soupçon ayant peu à peu fait son nid... Je me souviens de ma déconfiture... De m'être senti ensuite comme un paria, bien en deçà du cancre, loin, tellement loin de toute catégorie... (J'ai revécu cette expérience, plus tard, en fac, mais dans l'autre sens, le prof lisant la seule copie potable dans un amphi comble, le prof en colère aussi d'avoir des étudiants si mauvais, à part un qui était vraiment bon. Sa copie était même parfaite. Et il savait écrire. J'avais mis du temps là aussi à me reconnaître. Le soupçon, peu à peu, s'était installé. Moi?... Non... quand même pas... Après, je m'étais senti comme un paria, aussi, au delà de toute catégorie... J'étais soudain pour les autres devenu un type très bizarre... Un gouffre entre eux et moi...) L'OPEP, pour la géo... Et pour l'histoire, dans la foulée, j'avais fait l'apologie du Maréchal Pétain... moi... parfaitement... sans même m'en rendre compte... Je devais avoir la tête ailleurs... Sauf que j'avais eu l'impression d'avoir fait un truc bien, de m'être concentré, d'avoir disserté finement et même avec enthousiasme, de m'être parfois même envolé... Mais là, je suis trop gras... j'en fais trop... même ici j'en fais trop... j'ai l'impression qu'il y a des yeux de gras dans mes phrases... que partout il y a des yeux dans cette soupe... Et t'as pensé à arrêter la cigarette?... Ah... mais c'est tellement bon, fumer... Et puis je ne transforme quand même pas la fumée en gras!... Je serais un drôle d'alchimiste alors... Alors, j'ai décidé de m'en foutre, au moins un peu... Si, en bouffant du saucisson et du beurre, j'étais moins gras, alors... Si, en buvant plus de vin rouge, j'étais moins gras... Vasodilatateur, en plus, le rouge... Plus on a le sang gras, plus on devrait boire du vin rouge, pour élargir les tuyaux, non?... Mon régime hyper-sardiné n'était peut-être pas le plus adapté... J'ai du sang de paysan moi, pas du sang de marin... Je me sentais gras, effectivement, avec toutes ces sardines, tout huileux et ma sueur commençait à sentir un peu le poisson... Le premier producteur de pétrole de l'OPEP... C'est du bon gras! qu'on me disait, tu peux y aller!... Mon œil, moi je dis, bon gras, mauvais gras, c'est de la morale de curé... Le gras, c'est du gras, un point c'est tout... Le bon a vite fait de devenir mauvais et vice et versa...
mercredi 19 septembre 2012
J'sais pas quoi dire... Qu'est-ce que j'peux dire... Le temps passe, je vieillis, rien ne change, je ne sais toujours pas quoi dire, même vieillir ça ne change rien au fait que rien ne change, c'est toujours vieillir, on s'use, même sans rien faire on s'use, c'est programmé, on est déjà presque mort à peine prend-on conscience qu'on est un peu vivant... J'ai beau me creuser le ciboulot, rien ne vient, rien ne viendra, car rien n'est jamais venu, on dit l'inspiration, on dit les muses, on dit bien d'autres choses encore, quand ce ne sont que les mots qui s'amusent, qui se jouent même de nous, tout comme les gènes se jouent de nous en nous murmurant des fictions dont on est les héros, pauvres marionnettes, pauvres cobayes, expériences peut-être bien les plus foireuses parmi tant d'autres, qu'on en croirait presque qu'ils viennent de nous, alors qu'ils ne viennent pas de nous, ce seraient peut-être même plutôt nous qui viendrions d'eux... On s'enivre d'eux, c'est tout, dans le meilleur des cas, c'est comme le vin, il faut aimer le goût, l'ivresse, il n'y a que ça qui vaille la peine... Il y a toutes sortes de vins, toutes sortes de goûts, toutes sortes d'ivresses, mais il n'y a qu'une sorte de peine, qui est la peine, un point c'est tout... Et eux, alors, ils viendraient d'où?... Ah... cette question... Au début, était le Verbe, oui, parfaitement... Nous autres, on n'est jamais que des bêtes, des amibes qui ont proliféré... Mieux que les chiens ou les chats?... Ça reste à prouver... Que les oiseaux?... Certainement pas... Je parle pour le Verbe, là... Pour le reste, on est certainement infiniment plus malfaisants... Et quand je ne le creuse pas, le ci-boulot, rien ne vient non plus... Je m'entretiens, m'a dit Jean-Pierre ce matin, au spleen, je fais ma gymnastique... Il a le coude alerte, il faut dire, et même les deux, le gauche, le droit, il sait lever les deux avec la même aisance, suivant avec qui il cause, à gauche ou à droite du comptoir, lui qui porte un nom fameux d'eau minérale et n'a jamais donc eu besoin d'en boire... Je lui regarde les mains... Je regarde toujours les mains... Les mains m'en disent souvent plus et mieux que les têtes... Des mains me sont parfois aussitôt sympathiques... Ou aussitôt répugnantes... Des mains de salauds... Des mains mesquines... Et des gracieuses... Des fines... Des bonnes et des vicieuses, des intelligentes et des connes... Il est artisan, Jean-Pierre... Il restaure les pièces en cuir sur les meubles anciens, bureaux, secrétaires, il m'a dit comment ça s'appelait, son métier, il y a quelques années, j'ai oublié, un mot que je n'ai entendu qu'une fois dans ma vie, un métier très rare il faut dire et tout ce qui est très rare s'oublie très vite, ne demeure que le vulgaire... Dans son échoppe, il m'a montré de la peau de requin, de raie, des petites boîtes époque art déco qui en étaient recouvertes... Il s'y connaît, en peau... Et puis il est fainéant aussi... Des mains d'artisan... et de fainéant... Je regarde alors les miennes de mains... juste de fainéant... Moins vieilles, mais quand même... elles ne sont plus toutes jeunes... le cuir de moins en moins élastique... En même temps, ça peut être beau, les vieilles mains... Elles ont vécu, celles-là... Il a une bonne tête aussi... On dirait un peu Jacques Brel... qui aurait vécu plus longtemps... Des grandes dents de cheval, pareil... Il a raison, Jean-Pierre, de s'entretenir, de faire sa gymnastique... Moi aussi, je devrais faire ma gymnastique, m'entretenir, même si je ne sais pas quoi dire... Mais je manquais d'images... Elles ne viennent pas de nulle part, les images, il faut les fabriquer... Sans images, il n'y a rien... Il faut toujours une image... J'en avais plus... C'est comme la gymnastique... Essayez de faire le grand écart sans jambes, ou des pompes sans bras... Voilà, c'est de la gymnastique, il s'agit d'entretenir ses muscles, sa souplesse, son souffle... On a vite fait de s'atrophier sinon... Faut s'entretenir... Ce qui est marrant aussi, c'est que Jean-pierre on dirait qu'il a la tête de kinuyo Tanaka dans la vie d'O'Haru femme galante... On ne voit pas trop le rapport, mais pourquoi faudrait-il qu'il y ait toujours un rapport?... C'est fortuit... C'est débile... Ça n'a aucun sens... C'est comme la vie... Moi, ça me fait bien rigoler... Belle main d'artisan, en tout cas... belle main de fainéant...