mardi 12 juin 2012

J'ai blanchi. J'ai demandé à ma coiffeuse une enveloppe pour mettre dedans mes cadavres. On s'est même dit qu'à chaque coupe dorénavant on en mettrait un peu dans une enveloppe, avec la date : 12.06.12, pour suivre l'évolution. Alors elle me sort l'horoscope, elle, tout de suite, les astres, les conjonctions, tout le tremblement... A chaque fois, il y a un gros tas, par terre, de cadavres... Toutes ces doubles spirales d'ADN dedans... On pourrait en faire une perruque, à chaque fois, tellement le tas est gros, ou des moustaches, boucs postiches, ou rembourrer un coussin... ou me cloner des millions, des milliards de fois... Quel gâchis... La bourgeoise à côté sous son casque écoute, les yeux tout ronds, feuilletant son magazine... Elle n'ose pas rigoler... Personne n'ose rigoler... C'est qui ce dingo en tongs et chemise militaire british bien usée qui contemple ses cheveux morts dans sa paume et leur parle tel Hamlet à son crâne?... Mais certaines sont curieuses, viennent même me renifler, me regardent avec de grands yeux de vieilles biches, osent un sourire... Une, même, aujourd'hui, la soixantaine, est venue sentir ma bouche de si près que j'ai cru qu'elle allait m'embrasser, car je venais de fumer une cigarette dehors... Hum... Ça sent bon... Vingt ans qu'elle a arrêté, elle y pense toujours, elle m'explique qu'elle fumait même au dessus de sa baignoire en se lavant les cheveux... Je l'imagine, au dessus de la baignoire, avec sa cigarette, se lavant les cheveux, vingt ans plus tôt, pas mal... vraiment pas mal... elle devait avoir de l'allure... Et, soudain, la mélancolie se diffuse en moi comme un nuage d'encre de seiche, car c'est peut-être ma dernière coupe de cheveux dans le salon de ma coiffeuse... Peut-être douze ans que j'y venais et jamais je n'ai réussi à payer un centime à ma coiffeuse, pas du tout une coiffeuse à 2 balles il faut dire, disciple de Vidal Sassoon, le mec qui a coiffé Mia Farrow dans Rosemary's baby, dont la philosophie était : on n'est pas pressés, c'est de l'Art... On sait quand ça commence, jamais quand ce sera terminé... Et oui, à London, elle y est allée, toute seule perdue dans London, le voir, apprendre, dans sa jeunesse, blonde genre Kim Novak, ne parlant même pas le dialecte, sa petite robe imprimée, son petit sac avec dedans ses ciseaux... C'était son Dieu, le Vidal, son gourou, le Grand Amour pédé, impossible de sa vie et la coiffure était un Art, sinon elle n'aurait été qu'une coiffeuse blonde à deux balles... Quand il est mort, il y a un mois, à Bel Air, Los Angeles, elle en a pleuré à chaudes larmes... Moi je n'en demandais pas tant... l'Art, n'est-ce pas... juste qu'elle me coupe... Fais ce que tu veux, mais coupe, bien court... Avant, j'allais chez l'Arabe, rue de Marseille, sourates à la radio et que des mecs en djellabas, j'aimais l'ambiance, petit coiffeur maigre moustachu aux avant-bras très poilus, shampoing à la brosse métallique, coupe au rasoir, je ressortais la nuque bien rouge, le cuir presqu'en sang, ça durait dix minutes un quart d'heure, c'était une autre histoire... Là, j'avais changé d'environnement, que des bourgeoises d'Ainay, une heure trente en moyenne sur le siège, le moindre cheveu ayant son importance, sa raison d'être, son énergie, comme un trait de Dürer ou un jet de Pollock... Et le salon va fermer... Elle m'a dit qu'elle continuerait de me couper, chez elle, comme autrefois, mais ça ne sera plus jamais pareil... Une petite dame bien propre en tailleur gris est passée et lui a offert une rose jaune, pour la remercier de l'avoir coiffée entre midi et deux... Elle avait un peu la larme à l'œil, ma coiffeuse... Ça va me manquer, tout ça, elle m'a dit... Y-a pas qu'à toi, je lui ai dit...

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