J'ai retrouvé la trace du Docteur M. Je croyais qu'il était mort depuis au moins douze ans. J'avais fait un rêve. Depuis, le monde n'était plus le même. Le Docteur M n'y était plus. C'était une évidence. J'ai vécu tout ce temps dans un monde où le Docteur M n'était plus. J'ai appris, la semaine dernière, qu'il n'était mort que l'an dernier, à 89 ans. Qu'il avait publié un livre : Le Plongeon. J'ai commencé à le lire, à une terrasse de café. Les larmes me sont parfois montées. J'ai parfois ri aussi. Je me suis aussi demandé si j'y étais, quelque part, dans son livre, un petit mot, une petite phrase, une anecdote de l'époque où j'étais son pilote. Mon pilote, il disait. Mais ça m'étonnerait que j'y sois, dans son livre, tellement mon passage dans sa vie fut bref et peut-être décevant, ou insignifiant. Il était un personnage essentiel du livre que je n'ai pas écrit. Et c'est lui qui a écrit son livre. Je poursuis ma lecture. Redoute un peu de soudain m'y trouver nez à nez avec moi-même, être devenu un personnage, tout petit rôle, figurant minuscule du livre d'un personnage essentiel du livre que je n'ai pas écrit.
mercredi 20 juin 2012
dimanche 17 juin 2012
Il y a des jours qu'on n'oublie pas. Qu'on n'oubliera pas. Marquer d'une pierre. Il m'est arrivé quelques fois de ramasser un caillou et de le garder ensuite longtemps dans ma poche, parfois même des années, d'en savoir parfaitement le poids, la forme, de le toucher souvent, de le regarder souvent, longtemps et même de le lire et le relire, quand il était à lire et à relire, comme pour le connaître parfaitement. J'en ai eu quelques uns, dans ma poche, des cailloux. Un jour, à Paris, je me suis fait braquer. Ouf, je me suis dit après, il ne m'a pris que ma carte bleue avec le code, m'a laissé mon caillou. Malheureux comme les pierres, on dit. Ça m'a toujours habité, cette expression. Ma grand-mère le disait souvent, je crois, même si tout est un peu flou maintenant. Étais-je aussi malheureux que mon caillou? L'étais-je davantage? Moins?... Pourquoi les pierres seraient-elles malheureuses?... Je me suis toujours demandé... Mon caillou, il était malheureux parce que moi-même je l'étais... Mon braqueur me l'aurait volé en même temps que ma carte bleue, j'aurais été anéanti... J'y tenais donc tant que ça, à mon malheur? Il faut croire... Mais d'autres cailloux étaient joyeux... Car ils n'étaient pas forcément malheureux, mes cailloux... On pourrait dire aussi joyeux comme les pierres... ou bien con comme les pierres... sauf qu'on dit con comme la Lune... mais c'est un peu une pierre, aussi, la Lune... Vous vous souvenez? Vous étiez occupée au lavoir. Je fumais dans la rue en regardant en l'air. C'était avant-hier... C'est ça que je voyais, à ce moment. Ou plutôt ça que j'aurais vu si je n'avais pas été myope. Ça et d'autres choses, mais c'est ça qui est resté. Ça m'intriguait, m'attirait l'œil, j'ai regardé en l'air. J'ai trouvé plus tard dans un bac du lavoir trois miroirs minuscules, petits carrés d'un centimètre carré collés ensemble. Des petites choses. A une époque, j'aurais trouvé du sens, me serais perdu dans des délires chiffrés, mystiques... 5 pigeons sur un fil... Je n'aurais plus vu que des 5... Je n'ai pas cherché à voir 5 et encore moins à voir 5 successivement à deux endroits différents... Ce ne sont pas les mêmes 5... Ça chute... Météores dans le ciel... Heureusement, ça m'a passé, ces divagations qui peuvent mener à la folie... J'ai accepté le hasard... l'insignifiance... Mon père est mort ce jour-là et il avait 55 ans?... Et alors?... Peut-être suis-je devenu alors moi-même insignifiant... Mais ce jour, en tout cas, je ne l'oublierai pas...
mardi 12 juin 2012
J'ai blanchi. J'ai demandé à ma coiffeuse une enveloppe pour mettre dedans mes cadavres. On s'est même dit qu'à chaque coupe dorénavant on en mettrait un peu dans une enveloppe, avec la date : 12.06.12, pour suivre l'évolution. Alors elle me sort l'horoscope, elle, tout de suite, les astres, les conjonctions, tout le tremblement... A chaque fois, il y a un gros tas, par terre, de cadavres... Toutes ces doubles spirales d'ADN dedans... On pourrait en faire une perruque, à chaque fois, tellement le tas est gros, ou des moustaches, boucs postiches, ou rembourrer un coussin... ou me cloner des millions, des milliards de fois... Quel gâchis... La bourgeoise à côté sous son casque écoute, les yeux tout ronds, feuilletant son magazine... Elle n'ose pas rigoler... Personne n'ose rigoler... C'est qui ce dingo en tongs et chemise militaire british bien usée qui contemple ses cheveux morts dans sa paume et leur parle tel Hamlet à son crâne?... Mais certaines sont curieuses, viennent même me renifler, me regardent avec de grands yeux de vieilles biches, osent un sourire... Une, même, aujourd'hui, la soixantaine, est venue sentir ma bouche de si près que j'ai cru qu'elle allait m'embrasser, car je venais de fumer une cigarette dehors... Hum... Ça sent bon... Vingt ans qu'elle a arrêté, elle y pense toujours, elle m'explique qu'elle fumait même au dessus de sa baignoire en se lavant les cheveux... Je l'imagine, au dessus de la baignoire, avec sa cigarette, se lavant les cheveux, vingt ans plus tôt, pas mal... vraiment pas mal... elle devait avoir de l'allure... Et, soudain, la mélancolie se diffuse en moi comme un nuage d'encre de seiche, car c'est peut-être ma dernière coupe de cheveux dans le salon de ma coiffeuse... Peut-être douze ans que j'y venais et jamais je n'ai réussi à payer un centime à ma coiffeuse, pas du tout une coiffeuse à 2 balles il faut dire, disciple de Vidal Sassoon, le mec qui a coiffé Mia Farrow dans Rosemary's baby, dont la philosophie était : on n'est pas pressés, c'est de l'Art... On sait quand ça commence, jamais quand ce sera terminé... Et oui, à London, elle y est allée, toute seule perdue dans London, le voir, apprendre, dans sa jeunesse, blonde genre Kim Novak, ne parlant même pas le dialecte, sa petite robe imprimée, son petit sac avec dedans ses ciseaux... C'était son Dieu, le Vidal, son gourou, le Grand Amour pédé, impossible de sa vie et la coiffure était un Art, sinon elle n'aurait été qu'une coiffeuse blonde à deux balles... Quand il est mort, il y a un mois, à Bel Air, Los Angeles, elle en a pleuré à chaudes larmes... Moi je n'en demandais pas tant... l'Art, n'est-ce pas... juste qu'elle me coupe... Fais ce que tu veux, mais coupe, bien court... Avant, j'allais chez l'Arabe, rue de Marseille, sourates à la radio et que des mecs en djellabas, j'aimais l'ambiance, petit coiffeur maigre moustachu aux avant-bras très poilus, shampoing à la brosse métallique, coupe au rasoir, je ressortais la nuque bien rouge, le cuir presqu'en sang, ça durait dix minutes un quart d'heure, c'était une autre histoire... Là, j'avais changé d'environnement, que des bourgeoises d'Ainay, une heure trente en moyenne sur le siège, le moindre cheveu ayant son importance, sa raison d'être, son énergie, comme un trait de Dürer ou un jet de Pollock... Et le salon va fermer... Elle m'a dit qu'elle continuerait de me couper, chez elle, comme autrefois, mais ça ne sera plus jamais pareil... Une petite dame bien propre en tailleur gris est passée et lui a offert une rose jaune, pour la remercier de l'avoir coiffée entre midi et deux... Elle avait un peu la larme à l'œil, ma coiffeuse... Ça va me manquer, tout ça, elle m'a dit... Y-a pas qu'à toi, je lui ai dit...
mercredi 6 juin 2012
Je m'ennuie. Ma porte est sale. Des années que je trouve ma porte sale. C'est encore pire quand je l'ouvre. Le chambranle est tout noir. Des années que je me dis qu'il faudrait que je la nettoie. Un seau, une grosse éponge... Mais, ensuite, les murs paraîtraient sales à côté... Je m'ennuie... Pas toi?... Il fait tout gris, dehors... Des jeunes abrutis passent très fort de la techno à l'étage au dessous et gueulent hystériquement pour se faire entendre par dessus... Ça me rend agressif... Je m'imagine armé d'un sabre japonais débouler chez eux, étripant, démembrant, décapitant à tour de bras, impitoyable, le regard posé au loin... Souvent, je m'imagine avec un sabre japonais, quand je suis envahi... Je m'ennuie... Mais je préfèrerais m'ennuyer en silence... Ils me gâchent mon ennui... Je me suis brûlé un doigt dans le grille-pain... Tout à l'heure, je vais aller m'entraîner au sabre, en bois... J'aime bien... Je pousse des cris... En fait, je n'ai envie que de sabrer... Le reste du temps, je m'ennuie, ces derniers temps... Je m'occupe, je fais ceci, cela, ou alors rien... mais n'ai envie en fait que de sabrer, poussant des cris : Uh!... Iaï!... Chat!... Chat, c'est souvent... Je suis le seul, à pousser des cris... Ils n'osent pas, les autres... Moi : Uh!... Iaï!... Chhhhat!... Je m'imagine, débouler à l'étage au dessous... Uh!... Iaï!... Chhhhat!... Ça me soulagerait... Le guerrier parfait qui dort en moi s'étiole... Ce qu'il lui faudrait, c'est une bonne guerre, à l'ancienne, à l'arme blanche...
vendredi 1 juin 2012
J'ai revu detour. Ce n'est jamais que la 3ème copie que j'acquiers. Hier encore, ça me faisait rager, de ne pas pouvoir trouver mieux que des copies à 2 balles. Sur celle-ci, vers la 45ème minute, l'image se met à onduler fortement de haut en bas, pas trop longtemps heureusement. Mais le reste du temps, ça va, à peu près. En même temps, c'est pas cher, 2 balles, on ne se plaint pas trop alors. C'est pas vraiment net. Le son est un peu sourd. Mais ça peut aller. C'est pas mieux que les 2 autres copies que j'avais, mais c'est pas pire. Il n'y a que des copies à 2 balles de toutes façons, il faut se faire une raison, je vais arrêter d'en chercher d'autres en espérant un miracle, d'autant plus que le cinéma d'Edgar G Ulmer est un cinéma à deux balles, si on veut, tourné à toute allure sur des scénarios souvent improbables avec quelques malheureux dollars tout froissés et poisseux. Detour, c'est peut-être son chef-d'œuvre. J'imagine souvent quelle œuvre il aurait menée s'il avait eu d'autres moyens, si, par exemple, comme Jacques Tourneur, il avait trouvé son Val Lewton, rien de mirobolant, juste de quoi travailler plus proprement. Mais il n'a rien trouvé de mieux que séduire la femme du neveu préféré du patron d'Universal... En même temps, il n'aurait pas été le même Ulmer, s'il n'avait pas séduit la femme du neveu préféré du patron d'Universal et on aurait eu du mal à dégoter un autre poète de ce calibre de la série B voire Z qu'il illumine à lui seul et detour, perle noire au fond d'une poubelle, n'aurait sans doute jamais luit ainsi dans la nuit. Il a trouvé parfois la grâce, dans sa disgrâce. J'en découvre plein, en ce moment, des films d'Ulmer, science-fiction, horreur, film noir, prévention contre la syphilis et caetera et ne trouver que des copies à 2 balles me dérange de moins en moins. Peut-être qu'un jour on se décidera à restaurer ses films et peut-être que ce jour-là, en fin de compte, après l'avoir tellement désiré et m'être tellement plaint de la qualité misérable du matériel existant, j'en serai totalement navré, parce qu'une copie d'un film à 2 balles d'Edgar G Ulmer, il faut peut-être que ce soit un peu aussi à 2 balles, avec des images pas bien nettes qui bougent ou même qui manquent, des brusques changements de luminosité, des blancs parfois tout gris ou au contraire aveuglants, des méchantes rayures, un son pourri, il faut peut-être que ça reste un peu sale, douteux, en somme. La poésie, elle, n'est jamais à 2 balles. (Une seule suffit.)