jeudi 17 mars 2011

L'Adler de mon père était presque du même modèle que celle de Nicholson dans Shining, une Gabriele 10. Je me souviens, quand je l'ai eue pour moi tout seul (car au début je la partageais avec ma sœur, qui apprenait à taper avec tous ses doigts, ce qui m'a toujours semblé aussi compliqué que jouer du piano), je devais avoir dix-huit ans, c'était comme si on m'avait offert une voiture. (Et même mieux.) Mon père l'avait achetée quand il était jeune gendarme, pour s'entraîner à la maison, quand il préparait l'OPJ... (Il l'a réussi facilement, l'examen, mais n'a jamais voulu monter en grade. Juste l'idée le rendait malade. Il est toujours resté simple gendarme, à la campagne, pas très bien sous son képi, il suffit de regarder les photos.) Ma première machine, donc, la Gabriele... Je l'ai toujours. Il y a quelques semaines, je l'ai sortie de sa mallette. Les caoutchoucs, dessous, étaient cuits. J'ai essayé de taper quelques lettres. Elles coinçaient. Même au début, elles coinçaient. On l'avait pourtant nettoyée au compresseur, avec mon père. Alors, j'avais une burette d'huile, sur mon bureau. Elle était capricieuse, la Gabriele. Je l'acceptais comme elle était. Et puis je me sentais inspiré, dessus. J'ai même dû écrire un petit roman, dessus. Qui s'appelait... A reculons... (A rebours était déjà pris...) Je l'aimais, cette machine. Et puis mon père avait tapé dessus des procès-verbaux, quand même, et moi j'étais Poète. (Je me souviens d'un carnet dans lequel il décrivait, dans un style se voulant gendarmesque, un pendu légèrement faisandé. Il doit être dans mes affaires, quelque part, le carnet... Ce qui me fait penser qu' A reculons, qui doit aussi être quelque part dans mes affaires, commençait également par une histoire de pendu, un suicide, plutôt tranquille, à la montagne, au grand air... Je n'avais jamais fait le lien, avant aujourd'hui...) Elle était capricieuse, perforait parfois le papier, était un peu rude, un peu germanique, avec son aigle belliqueux sur la calandre, mais je l'aimais, Gabriele... J'en prenais soin... (A la même époque, un copain avait récupéré d'un oncle décédé une magnifique Underwood, noire, en parfait état... Comme j'avais été choqué de voir que ce n'était qu'une veille chose, pour lui, sans valeur, qu'il malmenait et a dû finir par détruire, en jouant avec... Je me souviens aussi avoir réparé une jolie Olivetti portative d'un autre copain, avec une épingle à cheveux... Quelle fierté...) Quand j'ai travaillé dans mon premier cinéma, apprenant que le projecteur s'appelait Victoria 5, je l'ai considéré(e) différemment... Mon chef d'alors, Régis, comme mon grand-père, un de la vieille école, qui me formait, m'avait bougonné, au début, me voyant tout faire avec délicatesse : Allez! Vas-y! C'est pas une femme!... Et moi : C'est Victoria... c'est pas Victor... désolé... Une machine, ce n'est pas un machin... (Aujourd'hui, je travaille toujours sur des Victoria 5 et suis toujours aussi délicat, même si elles pissent un peu l'huile... sachant en plus qu'elles vont bientôt disparaître... ces belles Italiennes... celles qui font la plus belle musique et les plus belles images...) Mais Gabriele, ma première machine à écrire, quand même, l'Allemande, je n'étais pas peu fier, dessus, même si elle était souvent revêche, pleine de problèmes. J'en ai écrit, des pages, dessus... Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras... Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras... Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras... Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras...

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