dimanche 12 décembre 2010

Après les misérables de Raymond Bernard, je ne peux imaginer d'autre Jean Valjean que Harry Baur. Plus tard, Gabin ou Ventura n'auront jamais cette force et cette délicatesse mêlées. Il faut dire aussi qu'avant Gabin, il y avait Baur, Harry de son prénom. Un acteur bien français, né et mort à Paris, premier rôle au cinéma en 1908, Beethoven, de Victorin-hyppolyte Jasset, évidemment introuvable. (Bien plus tard, en 36, il sera Beethoven dans le très beau un amour de Beethoven, d'Abel Gance.) C'est dans Mollenard, que j'ai découvert Harry Baur, il y a bien longtemps, plus de vingt ans. Robert Siodmak, avant de partir à Hollywood, nous a fait là un cadeau magnifique, que j'aimerais tellement revoir, une perle noire du cinéma français des années 30. Harry Baur, il était massif et fragile à la fois. Dans certains plans des misérables, il a parfois des airs de Brando. Ou plutôt, c'est Marlon Brando, qui plus tard aura des airs de Harry Baur. Les acteurs, souvent, au début du parlant, venant du théâtre, étaient très grandiloquents. Pierre Blanchar, par exemple, était peut-être très bon acteur de théâtre, mais plombait quelque peu les films dans lesquels il jouait, tellement il était théâtral, dans les croix de bois par exemple, où son jeu sonne tellement faux comparé à celui de Charles Vanel, il n'y a guère que dans l'homme de nulle part, magnifique, de Pierre Chenal, que j'aimerais tant revoir aussi, que je l'ai trouvé supportable, car il ne parlait pas trop, si ma mémoire est bonne. Harry Baur, lui, même s'il était également acteur de théâtre, venait du cinéma muet. (Charles Vanel aussi...) On croit souvent que les acteurs venant du Muet avait un jeu archaïque. (Comme le jeune Jean Servais sonne faux, lui aussi, dans les misérables, à côté de Baur et Vanel, il ne sait pas quoi faire de son corps, de ses yeux, de sa voix.) C'est tout le contraire. Ce sont eux, les vieux, les plus modernes. Ils ne sont pas sur les planches. Ils sont devant une caméra. Il s'agit de prendre la lumière, d'impressionner la pellicule, mystérieuse (al)chimie, de parler avec les yeux, qu'ils aient ces lueurs, de s'exprimer avec son corps tout entier, plutôt issu de la pantomime que du théâtre, d'être là, non pas sur une scène pour une foule de spectateurs complices un soir donné, mais pour un Œil unique, ultime, ne cillant pas, monstrueux, ou plutôt monstruant, pour l'éternité, si ça se peut : le metteur en scène est Dieu, ou il n'est pas, c'est un athée qui vous le dit. Ce que réapprendront bien plus tard les Marlon Brando, James Dean... Ce que savait depuis longtemps aussi Michel Simon, le plus grand acteur français de cinéma de tous les temps. (J'ai revu il y a peu L'Atalante, qui serait bien pâlichonne, sans Michel Simon.) Mais revenons à Harry Baur. Pourquoi s'en souvient-on si peu? Alors qu'au début, bien avant Gabin, il y avait Harry Baur. Le premier Maigret, c'est lui. Jean Valjean, c'est lui et personne d'autre. Dès la première image, quand il redresse la statue de granit, lui-même de granit, il est le seul Jean Valjean possible. Et Mollenard, il faut absolument le voir en Mollenard, colosse au long cours brisé, châtré par sa mégère... Hommes libres, marins, poètes, aventuriers, surtout ne vous mariez jamais... Plutôt encore crever tout seul dans son trou...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire