Dans ses films tardifs, John Ford a peut-être eu besoin de régler ses comptes avec l'Amérique blanche et son histoire. Lui qui passait pour un conservateur, voire un réactionnaire, était en fait tout le contraire. En tant qu'Irlandais, il s'était longtemps senti considéré comme une sorte de nègre blanc. Qu'il ait joué un cavalier du Klu Klux Klan dans naissance d'une nation ne voulait pas dire qu'il avait quoi que ce soit de commun avec ces gens-là, pas plus que Raoul Walsh n'a désiré assassiner Lincoln ni encore moins se casser la cheville en sautant du balcon du... Ford's theater, où Lincoln fut assassiné. Dans Cheyenne autumn, Ford ne parle de rien d'autre que du génocide des Indiens d'Amérique. Dans Sergeant Rutledge, nous n'assistons pas au procès du sergent noir, mais à celui de l'Amérique toute blanche. Quel est son crime, finalement? D'être de très loin le plus beau mâle, le plus bel animal, sans doute le plus secrètement et violemment désiré des femmes (ce qu'il était d'ailleurs dans la vie...) et pour cette raison la cible de la haine des petits blancs envieux. S'ensuit forcément un crime sexuel... (Woody Strode est magnifique. Quel dommage qu'il n'ait pas eu plus de rôles conséquents, car il déchirait l'écran, évidemment dans Spartacus, les quelques minutes du début de il était une fois dans l'ouest, inoubliables, quand il boit dans son chapeau... dans les professionnels...) Là, il n'est pas le bon nègre, à la limite du très gênant, comme dans l'homme qui tua Liberty Valance. Il n'est pas non plus un dangereux Black Panther. Il est pour l'intégration, tout en étant lucide. On ne se bat pas pour les blancs, mais pour notre fierté. Il est noble, courageux. A un moment, il hausse le ton et on sent toute l'indignation qui dormait en lui, toute l'émotion. Trop approcher une femme blanche est dangereux. Un jour, cela changera... Cela a-t-il changé? Considérons le pourcentage des noirs dans les couloirs de la mort... Ils ont maintenant un président noir? Attendons un peu pour voir... J'aurais aimé être dans une salle de cinéma, en 1960, quand Sergeant Rutledge est sorti, en Alabama ou même n'importe où en Amérique, même à New York la progressiste où, quand même, Miles Davis, qui était depuis longtemps un dieu vivant du jazz, fut sévèrement passé à tabac à l'entrée d'un grand hôtel juste parce qu'il n'était pas de la bonne couleur. Ce n'est pas le plus beau western de John Ford. Ses plus beaux, je pense à my darling Clementine, stagecoach, Fort Apache, il les avait faits depuis longtemps et n'avait plus grand chose à prouver. C'est juste qu'il fallait mettre les choses au point, une fois pour toutes, au terme de ce long chemin.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire