mercredi 24 septembre 2014

En attendant Slow Joe, j'ai beaucoup réfléchi. Me suis un peu perdu. Dissous, plutôt. (Vaporisé?) J'ai failli le louper, du coup, Slow Joe, quand mon seul objectif de la journée était de l'immortaliser. En attendant Slow Joe, je suis moi-même un peu devenu Slow Joe peut-être. Ça fait un moment que je l'observe, il faut dire. Parce qu'il habite juste en face, la porte rouge à côté de la boutique de chaussures où il y a la créature que je ne regarde presque plus, il faut dire qu'elle a vieilli, depuis le temps, qu'elle n'est plus du tout torride comme avant, une vieille marchande de chaussures maintenant, déjà vieille peau qui continue de se mirer et de se tortiller comme si elle avait toujours vingt ans. Mais elle n'a plus vingt ans. Et moi non plus, je n'ai plus vingt ans. Et Slow Joe encore moins. Alors, je l'observe, depuis que je sais que c'est lui. Avant, je l'observais beaucoup moins, même s'il m'intriguait un peu tout de même car il me rappelait quelqu'un et quelle lenteur, Slow Joe, il ne s'appelle pas Slow Joe pour rien, on dirait quand il apparaît qu'il marche au ralenti, qu'il fait tout au ralenti, et puis au bout d'un moment on ne trouve plus du tout qu'il est au ralenti, on a juste l'impression que c'est le monde, autour, qui est en accéléré, qui va trop vite, beaucoup trop vite et qu'il n'y en a qu'un qui a gardé le bon tempo : Slow Joe. Le soir, je le vois sortir, rester immobile sur le trottoir, hésiter longtemps... longtemps... entre aller à gauche, ou à droite... Pourquoi aller à droite plutôt qu'à gauche? Que trouvera-t-il à droite qu'il ne trouverait pas à gauche? Un soir, il pleuvait, il est bien resté une heure, abrité au bord du cinéma, immobile à regarder la pluie tomber, ou autre chose. (Moi aussi, j'étais immobile, mais assis, dans ma guérite, à regarder la pluie tomber.) Les questions doivent se bousculer lentement dans sa tête. Alors il traverse la rue, toujours un peu vacillant, au moins un peu vacillant, parfois il rentre chez lui avec une bouteille dans un sac en plastique. On a dû lui louer un gourbi, sous les toits, pour qu'il ne soit pas à la rue, quand même, parce que ce n'est pas lui qui a demandé à venir, on est venu le chercher, en Inde, Slow Joe, où il était plus ou moins à la rue. Il doit se demander ce qu'il fait là. J'imagine qu'il est du genre à toujours dire oui d'un haussement d'épaules. Ça te dirait de venir en France?... — ... Alors il a dû faire un disque... Reconnaissance tardive... Il a l'air d'être seul, d'être paumé, d'avoir froid...

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