mercredi 7 mai 2014

Je suis confus. Toutes mes élucubrations tombent à l'eau. Évidemment, je pourrais faire comme si de rien n'était. Et ça vaudrait peut-être mieux. Parce que l'idée me plaisait bien, que ma mère cadrait bien les photos et que mon père, lui, le pauvre, ne savait pas, était même désarmé, voire même qu'une sorte de frayeur biblique l'inondait quand il fallait prendre une photo, parce que les photos, c'était l'affaire des femmes, il fallait des fleurs, c'était à chaque fois un peu le jardin primordial, et caetera... Et pourquoi pas des pommes?... Oui... Parce que tout reposait sur cette photo, que j'attribuais à mon père... C'était même ma plus grande découverte, cette photo, dans la boîte de diapos, dans la cave de ma mère, 45 ans plus tard... Ma mère, en maillot de bain, sur la plage, en 69, année érotique... Son corps... Rien que son corps... Enfin un regard un peu sexuel, je m'étais dit, de mon père pour ma mère, moi qui de toute ma vie ne les avais jamais entendus ni vus ni même imaginés faire quoi que ce soit de sexuel, même pas une petite langue, une petite main, un petit doigt, rien... Enfin, cet obscur objet du désir, je m'étais dit, sacré papa... C'était d'autant plus troublant qu'il lui avait coupé le visage, ne gardant que la bouche... Pas non plus de mains, et juste un pied... façon statue antique... Il n'avait gardé donc que l'essentiel... le Sexe... Quelque chose de maladroit, de spontané, de sincère, m'émouvait terriblement là-dedans... Jusqu'au moment où j'ai vu que derrière ma sœur, à la tête également coupée, se tenait un autre personnage, un genou et un bras que je n'avais pas remarqués tout d'abord... mon père... qui ne pouvait donc plus être l'auteur de la photo, puisqu'il était partiellement dessus... Mais alors... qui?... Il suffit évidemment de chercher celui qui n'est pas sur la photo... Alors, donc... Peut-être ma première photo, alors, à l'âge de trois ans... Je coupais déjà les têtes... J'ai toujours coupé les têtes il faut dire... Encore dernièrement — mais j'y reviendrai, une autre fois — il était question d'une tête coupée... Comme si le coupage de têtes avait toujours été ma préoccupation, mon grand intérêt dans la vie et peut-être même ma passion... (J'entends encore Fernandel : Tout condamné à mort aura la tête tranchée...) Sauf que là, les têtes,  c'étaient celles de mes parents, de ma sœur... la famille... ma famille... Est-on, à trois ans, conscient de couper des têtes?... Peut-être ma première photo, donc, peut-être aussi ma meilleure. Par la suite, je n'ai peut-être jamais cessé de vouloir reproduire cette image primordiale.

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