jeudi 21 novembre 2013

Tout ce cinéma... Alors qu'au fond, je m'en fous... Car au fond, je me fous de tout... Tout ça, c'est juste que j'ai envie de m'entendre, parfois, et je me parle, alors, à moi, surtout à moi, suis même — sans aucun sérieux rival mort ou vivant — la voix que je préfère entendre, qui me fait le mieux voyager et aussi le mieux rigoler, jusqu'à parfois me saouler, jusqu'à parfois la gueule de bois... J'invite alors un peu les muses, pour voir, pour boire... et même parfois elles viennent, boiteuses, toussantes, louchantes ou borgnes, tordues, déjà saoules, moustachues quand ce n'est pas barbues, pas du tout les gracieuses créatures dont je rêvais, mais tout de même elles viennent... Même si elles ne sont plus ce qu'elles étaient, elles ont gardé un certain charme, quand on sait apprécier les beautés périmées... Parce que ça vieillit, les muses, aussi... Ce n'est pas sérieux, allons... pas plus que la vie... pas moins non plus... je l'ai toujours su... dit... On a bien essayé de me faire croire que c'était sérieux, tout ça, la vie, l'amour, la mort, le travail, la famille, la patrie, la littérature, l'art, la philosophie, le foot, l'Histoire de France, la pédicure, le prix des choses et aussi le prix des gens, Dieu, tout ce qu'on voudra... Et pourquoi pas la sieste, alors?... Mais oui, c'est très sérieux, la sieste, certains s'y rendent même comme au bureau... Au bout d'un moment, c'est comme si je me réveillais, de tant de gravité, de tant de sérieux... Il n'y a que la souffrance... Ou l'absence de souffrance... J'ai mal aux dents, alors là oui ma vie est intense, n'est même que souffrance, tout est concentré là, je ne suis même plus que ça, souffrance, même si je souris pour faire diversion... Moi, chanceux, je n'ai jamais rien connu de pire comme douleur que la rage de dents, mais j'en ai eu, alors, des rages de dents, je pourrais en parler, ma vie n'est même qu'une suite de rages de dents pour violon à une seule corde, à un seul nerf suraigu... Et quand je n'ai pas mal aux dents, je me tricote des souffrances morales, nobles tant qu'à faire... Ah... les souffrances de l'âme... ça occupe bien... Jusqu'au moment où je me dis que la moindre rage de dents me balayerait tout ça, me foutrait même un sacré coup de pied au cul de ma souffrance de l'âme si noble... Qu'on me scie un bras jusqu'à l'os et même au delà, on verra si je conserve mes langueurs monotones... Le type qui est dehors l'estomac vide plein de crampes dans ce froid bien humide et qui ne passera peut-être pas l'hiver alors lui, oui, il sait, ce que c'est, la souffrance, que la vie n'est que souffrance et même une sacrée saloperie... Mais moi, le cul bien au chaud, tout bien propre et reposé et bien nourri, fumant ma clope avec un bon petit café, dans mon canapé, de quoi irais-je me plaindre et qu'est-ce que j'en sais, moi, de la souffrance... Et puis c'est peut-être une question de nature, aussi... Même à un enterrement, je finis toujours par rigoler, au moins sourire... (Même à l'enterrement de mon père...) Parce que ce n'est pas sérieux... Je finis toujours par repérer une trogne, ou un détail, comme un clin d'œil que me ferait le Diable pour me faire rigoler... Mon combat, si on peut parler de combat, il est là... je ne me laisserai pas avoir, que je me dis, mais peut-être bien qu'un jour je me dirai autre chose... Le rire emportera tout, toutes mes petites misères, toute ma bêtise, ainsi que toute celle du monde... On se plaint que la littérature est molle, qu'il n'y a plus rien qu'enculages de toutes petites mouches même plus à merde... Une bonne guerre mondiale, une bonne suée bien méphitique de choléra, de peste noire ou de grippe espagnole, une bonne boucherie planétaire avec des tripes à l'air bien fumantes, bien puantes, bien grouillantes et ils refleuriraient les génies sur toute cette pourriture, c'est certain... La beauté, la grande beauté lyrique, est à ce prix, peut-être... Il lui faut de la pestilence, des asticots... Est-ce vraiment souhaitable?... On devrait être content, alors, de vivre cette époque toute molle de chats d'appartement bien nourris, castrés, ou de chihuahuas — question de style, de sens que l'on donne à sa vie —... de guerres juste à la télé... La misère, la souffrance, c'est pour les autres... On lève une paupière, remue l'oreille, on se rendort... On rote son ragoût et sa bière entre deux scènes de massacre à la télé, d'horreur absolue qui a lieu là-bas, toujours là-bas... Dans la rue bien tranquille, un type est en train de crever, lentement, on passe, il fait partie du décor, il en faut un, au moins un, un exclu, un paria, un qui pue pour de bon, pour goûter pleinement l'intimité douillette qu'on cultive dans sa petite serre rien qu'à soi et trouiller suffisamment aussi pour rester ce qu'il faut dans le rang, jouer tant bien que mal les petites comédies pour survivre, rester à flot, demeurer dans sa bonne petite léthargie... Pas de bol, mon pote... Qu'est-ce que tu veux que j'y fasse?... On pourrait intervertir les rôles, là ce serait lui qui passerait, tranquille, pareil... Mais un jour, sa haine va exploser, il vaudra mieux alors ne pas se trouver là... C'est ça ou crever discrètement... Tout le monde n'a pas cette pudeur... Quand il y en aura cent, mille, dix mille, vraiment pouilleux, affamés, au bout de tout, là, bien méchants, vengeurs et il y aura de quoi, dans ma rue bien bourgeoise et pas seulement des zombies bien proprets venant, très sérieusement, en bas de chez moi, comme si leur vie en dépendait, dans ce tout nouveau bar à ongles, pédi-spa... (Après livres anciens, puis antiquités africaines, ça fait réfléchir... quand on voit que c'est à peu près la même clientèle... Vous êtes accueillis comme des émirs par des hôtesses sublimes en blouses roses, sans chaussettes, des travailleuses du pied on pourrait dire...) Et moi, alors... le crincrin d'une dent me réveille, dans la nuit... Putain de dent, je me dis, voilà, en avalant mon cachet et attendant qu'il fasse effet... et que ma vie n'est qu'une suite de rages de dents et que finalement les rages de dents ont toujours été les périodes les plus intenses de ma vie, parce que la rage... parce que la souffrance... Mais le rire... peut-être qu'un jour je n'en aurai plus la force, ou plus le goût... le mauvais goût... C'est facile, de dire qu'on s'en sortira toujours par le rire, quand le pire qu'on a connu c'était une banale rage de dents... Hier, je me suis fait engueuler, salement... Un personnage, qui s'est rebiffé, qui n'avait pas demandé à être là, dans mon œuvre, si on peut appeler ça une œuvre... n'avait pas apprécié, du coup, de s'y rencontrer et si vilainement... Pourtant je l'aimais bien, celui-là, lui réservais bien des aventures grotesques et édifiantes, avec bienveillance l'imaginais clopiner sur bien des trottoirs merdeux, de quoi au moins bien m'amuser et lui aussi je me disais, ça aurait pu l'amuser, mais non... Ce que tu as fait là!... Ce que tu as fait là!... l'œil soudain mauvais, me pointant même de son doigt gigantesque à presque me toucher le mien, d'œil, pas mauvais, comme s'il voulait me le crever et j'ai senti alors que ça couvait depuis longtemps, sous sa douceur, sa haine... et qu'il en serait toujours ainsi... et que c'était aussi du cinéma... (Un sacré cinéaste, lui, il faut reconnaître, et quand il va se décider à passer enfin en salle de montage, à coller bien comme il faut tous les bouts, ça va déménager et je prendrai mon billet, c'est sûr, et même dans les premiers, pour voir ça...) À chacun son cinéma... Alors, il n'y a plus rien, dans le mien... Une fiction sans personnages, sans rien, que moi, la voix, The Voice, avec ma dent... Si maintenant les personnages fuient les fictions... ont ce pouvoir... Merdre... Si on ne peut même plus se moquer un peu de ses copains ni en faire des héros impeccables, là en plus ou presque personne ne vient, entre nous... Je regarde dehors... Il pleut... Buée sur le carreau... Ça caille... Sale nuit, pour le pouilleux, dehors... Vais replonger sous ma couette, chaude, douillette, océan de plumes, Paradis évident... Il n'y a rien... Juste ma dent, ma douleur et moi, et le cachet, heureusement, qui commence à assourdir la petite musique déplaisante... Putain de dent... Appeler le dentiste, ou bien attendre que ça passe... C'est la question... Ça peut même être la question de toute une vie...

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