vendredi 15 novembre 2013

Mais bientôt tout devient flou. S'obscurcit. Tout commence même à s'effacer. Déjà. J'écarquille les yeux, comme pour permettre à la lumière d'y pénétrer plus largement. M'ouvrant, m'offrant à la lumière pour qu'elle m'envahisse et peut-être me consume, m'anéantisse, mais me permette peut-être à un instant de retrouver avec précision le motif, le moment, la scène. En vain. Ça ne fait que s'éteindre plus vite, plus largement, la lumière du dedans, bien fragile, bien fluette, qui s'y noie. Ce besoin de retenir quelque chose, une image, un visage, une sensation, un moment, un rêve. Alors que les choses ne demeurent que quand on ne les retient pas, que quand on n'en veut pas — des débris, des déchets oubliés au fond des poches... Les retenir, ne serait-ce que vouloir les retenir les étouffe. À moins de les gauchir. D'en faire tout à fait autre chose... Je me revois, à l'aube, descendant d'un avion, la retrouvant, après tout ce temps, tous ces rêves, mais ne la retrouvant pas. Feignant ensuite de l'avoir retrouvée, alors que je ne l'avais pas retrouvée. Gommer la déconfiture sur mon visage fut alors le commencement d'autre chose. C'était une étrangère, là, debout, qui se tenait face à moi. Bien moins tentante. Bien moins bouleversante. Bien fade, banale, il faut le dire, à côté... Il a fallu que je mente, que je me mente, pour faire durer un peu l'histoire, mon petit roman pathétique. Que je la reconstruise. Que je fasse des petits arrangements, du bricolage sentimental avec ma scie, mon marteau, mes planchettes et mes clous... recoller des bouts de rêve dessus... hybrider le délicat et le vulgaire... projeter un peu de fantaisie sur qui en était totalement dépourvue... Repartir donc par un mensonge. Tant bien que mal. Pour mieux sans doute ensuite me retrouver seul, lessivé, démuni, vraiment au bout de ma nuit, alors que si j'avais vraiment été honnête, en descendant de l'avion, la retrouvant, ou plutôt ne la retrouvant pas, je me serais contenté de ma déconfiture et l'aurais vécue pleinement, piteusement, ou ironiquement, aurais sans doute repris un avion le jour même. Sauf que je n'étais pas venu pour une simple déconfiture, ni pour l'habituelle ironie tellement commode... Il me fallait de l'aventure, enfin... Et parfois, quand même, il faut être juste, des éclats revenaient, comme des traces dans le ciel d'astres éteints... Mais il n'y a rien à sauver. Rien à retenir. Ce que j'ai appris. Le peu que j'ai appris. Même si on le veut de toutes ses forces et se jette alors dans l'action entièrement, héroïquement, désespérément, avec tout ce qu'il reste de l'enfance... Il ne faut alors rien vouloir sauver, retenir. À moins d'en faire tout à fait autre chose... Tu peux t'en aller quand tu veux. Je ne te retiendrai pas. Je n'irai pas te chercher... Même si ça me fait de la peine... Même si ça me déchire le cœur... Voilà, ce qu'il faut dire, ce qu'il m'est arrivé de dire, même si c'est tout autant désastreux et même peut-être pire. Parce qu'on ne retient rien. Parce qu'on ne peut rien retenir. Ni encore moins personne.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire