vendredi 11 novembre 2011

Elle croit ce qu'elle voit. Elle voit ce qu'elle croit voir. Avec ou sans longue vue, elle a d'abord la vue très courte. Parce qu'elle a tellement rêvé, elle a tellement souhaité depuis toujours voir ce qu'elle croit voir enfin. Seulement, voir n'est jamais objectif, même à travers un objectif. Longtemps, elle continuera de voir ce qu'elle veut voir. Parce que c'est toute sa vie, tout le rêve de sa vie, qui est en jeu. C'est même l'Amour, qui est en jeu. D'abord, elle croit. Puis elle veut croire. Ça devient de plus en plus difficile et même douteux quand ce n'est plus qu'une question de volonté parce que la foi s'en est allée. Parce que quelque chose s'est insinué dans sa vision. Ce n'est plus aussi net qu'au début. Comme une poussière dans l'œil. Elle va lutter longtemps pour conserver son rêve, continuer de le voir, parce qu'il était tellement beau son rêve, parce qu'elle aimait tellement l'aimer. Jusqu'au moment où elle verra autre chose. Quelque chose de même totalement différent. Tout son monde sera mis sens dessus dessous. Elle en sera déchirée. Mais par là même renaîtra. C'est l'histoire d'une tempête, reap the wild wind (les naufrageurs des mers du sud). D'une tempête intérieure. Une femme, deux hommes, le rêve et la réalité. Chacun dans son style est très noble, mais l'un des deux est un peu faux, ou plutôt le devient, par la force des choses mais c'est déjà une autre histoire, car il y en a tellement des histoires dans ce qui semble être une simple histoire. On peut se demander s'il ne devient pas faux juste du fait de son regard à elle, son regard qui, sans qu'elle le sache, s'est déjà mis à voir le monde autrement et donc à le voir lui autrement, le déformant, lui qui semblait si pur, si grand, si fort et beau et qui l'était, peut-être trop pour être vrai. C'est le rêve d'une jeune femme. Une jeune femme qui perd ses rêves de jeunesse. Il y a donc pas mal d'amertume... La foi s'en est allée... C'est le grand capital qui a gagné et on trouve ça même très bien... Parce qu'il est très charmant, le grand capital, très fin, très drôle, très noble et courageux même dans son genre... Mais le rêve est mort et bien mort et moi-même qui fus un peu jadis dans mon genre très discret naufrageur des mers du sud je me sens mourir à chaque fois que je vois ce film somptueux et funèbre, noyé dans un nuage d'encre de seiche... Moissonne le vent sauvage, le titre dit déjà tout. Qui sème le vent... Le technicolor, en ce temps-là, ne cherchait pas à copier les couleurs de la vraie vie. Parce que ce n'était pas la vie, le cinéma, en 1942, c'était autre chose, c'était du rêve et on y allait pour ça, au cinéma, il faut dire aussi qu'en ce temps-là la réalité c'était la Guerre. Les couleurs, en technicolor, étaient bien plus belles que les couleurs de la vie. (Parfois, dans ma vie, j'ai eu des visions fugitives belles comme en technicolor, mais tellement rarement.) Puis le cinéma s'est éloigné du rêve. On a voulu que les couleurs se rapprochent le plus possible des couleurs de la vraie vie. Parce qu'on a cru qu'ainsi l'image serait plus réelle et qu'on y croirait d'autant mieux. Parce qu'on ne voulait plus rêver. Ou qu'on ne savait plus rêver.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire