mercredi 8 juin 2011

On y est presque. Le tsunami au Japon a un peu retardé l'échéance, rallongé le sursis. (Merci, Tsunami.) C'était prévu pour avril. Finalement, ce sera septembre. Les fournisseurs japonais pourront enfin honorer leurs commandes. Le tout numérique, on dit, dans le métier. C'est la mort du métier. C'est peut-être surtout la mort du cinématographe. Tout le monde se frotte les mains. Moi, je regarde, triste et amusé. J'étais un peu venu pour ça, dans ce métier de projectionniste, pour être là, pour assister de l'intérieur à la mort annoncée du cinématographe. Je ne parle pas des films, je parle de la technologie, du véhicule. Tout le monde se frotte les mains. Les exploitants n'auront plus d'ennuis avec les projectionnistes, puisqu'il n'y en aura plus. Les projections seront même toujours parfaites. Je connais un critique de cinéma, pourtant très cultivé et très fin, qui s'est même frotté les mains en public, sur son canard. Comme ça va être bien, enfin, parfait. Comme à la maison, j'allais ajouter... Bertrand Tavernier, pour le festival lumière, est venu l'an dernier présenter la 317ème section, un film qu'il adore. Tout le monde était bien content, copie numérique, nouveau master très haute définition, écran géant évidemment. J'ai appuyé sur le bouton de la souris, après son speech. J'ai regardé un peu, par le hublot, l'image. Parfaite. Puis je suis rentré chez moi. J'ai regardé, vautré dans mon canapé, la 317ème section, en dvd, sur ma télé full hd, c'était même drôlement bien. Quelques jours plus tard, on a passé psychose, de Hitchcock, en numérique. Les gens étaient ravis. Ils ne l'avaient jamais vu aussi beau, ce film, aussi parfait. Moi, je suis rentré chez moi, je me suis mis le dvd de psychose... Ce que je dis à ma directrice : comme c'est moche, votre numérique, ça me sèche les yeux... L'image est dure, froide, une image morte... Elle ne respire plus, l'image, on est devant les yeux écarquillés, on ne les cligne même plus... Pour moi, c'est du home cinéma géant, rien de plus... A la maison, c'est bien, en petit, car on n'est pas trop gêné par cette image qui ne respire pas, car c'est petit... En grand, ça vous submerge, instantanément, sorte de tsunami statique... Pourquoi alors abandonner une si belle technologie qui a tellement évolué en plus d'un siècle? L'argent. C'est une industrie, le cinéma. On a abandonné le 70 mm, alors que c'était ce qu'il y avait de mieux, technologiquement, comme véhicule, pour le très grand cinéma... Maintenant, c'est le 35 mm, qu'on fout à la poubelle... C'était mécanique, chimique, optique... Véhicule du rêve... On ne fera jamais mieux, même avec des milliards de pixels... On me dit que le spectateur ordinaire ne fait pas la différence. Je dis que si, il la fait, la différence, même si ce n'est peut-être pas conscient. Le cerveau, lui, fait la différence et même... toute la différence. Moi, je ne rêve plus, en numérique... Je suis quand même étonné de considérer que les professionnels du cinéma, les cinéastes, ceux qui sont censés avoir l'œil, comme on dit, ne réagissent pas, même si ce serait un peu tard, maintenant. Ils ne la voient pas, la différence, ils ne la sentent pas, eux? Mais peut-être que pour eux c'est mieux, aussi, le numérique. C'est le Progrès. Il n'y a donc rien à sauver. Alors, en silence, le cinématographe est mort.

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