J'ai rêvé qu'elle revenait. Au début, un type me suivait. Un émissaire, en fait, qui venait tâter le terrain, de loin d'abord, façon détective privé pas très discret que j'ai fini par coincer. Bon, qu'est-ce que vous cherchez?... Si je me souvenais d'elle? De son nom? Évidemment... J'avais laissé un poil sur la grille du siphon, pour voir. Un copain m'avait parlé du test du poil sur la savonnette. Mais comme il n'y avait pas de savonnette, juste un bidon de gel douche, il avait fallu s'adapter. Et d'autres petites choses plus ou moins répugnantes. Ce fut un échec total. Si j'avais voulu la dégoûter, je ne m'y serais pas pris autrement. Alors, elle revenait. Ça ne m'étonnait pas vraiment. Au fond, je savais qu'un jour ou l'autre elle reviendrait, même si je n'y croyais plus depuis longtemps, ce qui peut sembler contradictoire. Tout devient flou, ensuite, nos retrouvailles... Elle me souriait, comme autrefois, se tenait devant moi et mon cœur se fissurait finement de toutes parts comme une vieille porcelaine... Puis j'ai dû me lever pour aller pisser et je me suis dit que c'était bien dommage mais que c'était comme ça, que les rêves se terminaient, comme les histoires se terminaient, comme tout se terminait, parfois même juste parce que l'envie de pisser était plus forte que tout, mais que cette fois je ne lui aurais pas fait passer le test du poil sur la savonnette ni même aucun autre... Je suis allé me recoucher, suis arrivé bientôt dans un tout autre monde... Je ne l'avais jamais rencontrée avant, elle était policière, pas très grande, les cheveux courts châtain clair, jeune, énergique, menait l'enquête, presque sévère au début... J'en tombais instantanément amoureux... J'avais tous les indices, pour son enquête, les lui fournirais sans problème, même si c'était peut-être bien moi le coupable... Mais peut-être qu'on pourrait faire autre chose, je lui ai dit... Et soudain il n'y a plus eu d'enquête, ni d'indices... Son visage s'est adouci... La suite est floue... J'étais un peu frissonnant quand nos corps se sont enfin rencontrés, et elle aussi je crois... C'était chouette, je me suis dit, un peu plus tard, en me levant...
vendredi 4 janvier 2013
jeudi 3 janvier 2013
Je me suis dit qu'il faudrait commencer par ranger, mais je n'ai fait qu'ajouter un peu plus de désordre. J'ai poussé un peu les choses devant moi pour avoir au moins un bout de table dégagé. Au moins pouvoir poser un coude. La soupe attendra. Je vois un bout de navet, là-bas, le papier qui enveloppe la courge et ça sent un peu le poireau. Dessous, des noix. Hors champ, bâbord, des factures qui s'entassent anarchiquement et quand le tas est trop envahissant je le prends, le compacte comme je peux et le pose sur une chaise où s'élève un tas plus conséquent, une tour de factures qui a un moment finit par s'écrouler comme toutes les tours s'écroulent depuis Babel et alors je la ramasse, essaye de la compacter mieux, et là je décide enfin de la ranger, c'est à dire de la faire disparaître dans un tiroir quelconque ou dans des vieilles boîtes à chaussures et ça finit par faire une tour de boîtes à chaussures qui un jour ou l'autre elle aussi s'effondrera comme toutes les tours s'effondrent depuis Babel, hors de ma vue en tout cas, loin. Jusqu'au jour où j'ai besoin d'un papier. Alors il me faut tout ressortir et ça fait un gros tas sur la table, plus du tout une tour, un gros tas informe que je passe la journée à commencer de classer, quittances de loyer ici, factures de gaz et d'électricité là, avis d'impositions, fiches de paie, diplômes, lettres, cartes postales, notes parfois même sur des zones vierges de factures, et caetera, jusqu'au moment où je trouve ce que je cherchais même si parfois je ne trouve pas et alors dans tous les cas je refais un gros tas comme je peux, vite, remettant même dedans ce que j'avais soigneusement classé et je cherche un endroit pour faire redisparaître ce chaos, hors de ma vue, car j'ai horreur du désordre.
mardi 1 janvier 2013
Alors, tu es revenu... — Oui... Je ne savais pas où aller... La campagne était trop sombre... J'avais même l'impression qu'elle s'éteignait... — Alors, tu es revenu... — Oui... Je ne voyais pas d'autre endroit où aller ou plutôt retourner... Ouf, je me suis dit, en arrivant, me voilà à l'abri... Toutes ces maisons mornes que je voyais défiler dans ce monde désolé, la maison du pendu je me disais à chaque fois... — C'est un Cézanne... — Si ma mémoire est bonne... — Pas si lugubre que ça... — C'est vrai... Plutôt même colorée... Pas comme celles que je voyais défiler derrière la vitre du train... J'avais lu à une époque au sujet de la maison du pendu... Je ne me souviens plus... Mais il me semble qu'il n'y avait pas de pendu et qu'on l'appelait ainsi pour une autre raison... — Sauf que là, il n'y en a pas, de maison... — Quelle importance... — En tout cas c'est bien plus lugubre que la maison du pendu... — Oui... C'est peut-être que dans la maison du pendu il n'y avait pas de pendu même si la légende disait le contraire, alors qu'ici où il n'y a pas de légende ni de maison il y en a peut-être un... — Un pendu?... — Ou même plusieurs... Ou même plein... Une forêt... Que faire d'autre dans ce monde qui s'éteint?... — C'était le crépuscule, il faut dire... — Oui... Mais c'est toujours le crépuscule... — Heureusement, tu ne faisais que passer... — Oui... mais quand même... ça peut affecter, même en passant... — Alors, tu es revenu... — Oui... Mais je me sens toujours un peu là-bas... Comme si je m'étais semé... éparpillé en chemin dans ce décor lugubrement familier... Comme si c'était moi le pendu, ou plutôt la graine de pendu... — Graine de pendu...
mercredi 26 décembre 2012
Tu es toujours là?... — Si on veut... Je ne sais pas trop... Je me demande... — Où étais-tu, tout ce temps?... — Par ci... Par là... Je me demandais... — Et là, maintenant, tu y es?... — J'y suis... J'y suis pas... Je me demande... Y étais-je?... Y étais-je au moins une fois?... Y serai-je encore si j'y ai été?... Et comment y serais-je si je n'y ai jamais été?... Comment savoir?... — Et tous ces gens, autrefois, qui venaient... — Oui... — Et qui maintenant ne viennent plus... — Oui... — Ils ont peut-être compris qu'il n'y avait personne, ici, en tout cas que tu n'y étais pas... — Peut-être bien... — Tu as peut-être disparu... — Oui... Ou bien je ne suis pas même apparu... Juste une faible illusion, à un moment, un vague reflet qui a trompé un peu tout ce monde... C'étaient les mots, qui s'agençaient tout seuls... qui créaient l'illusion d'une personne, peut-être... Mais il n'y avait pas d'auteur... — Heureusement, plus personne ou presque ne vient... — Oui, heureusement... — On se sent mieux du coup chez soi... — Oui... — On est bien, finalement, ici... — Oui... — Les mots s'arrangent tout seuls... — Oui oui... ça se bricole tout seul... Ils n'ont besoin de personne, les mots... Nous, on regarde, un peu, parfois, savoir où ça va, où ça ne va pas, on s'assoupit un peu, on rouvre un peu les yeux, c'est toujours un peu le même paysage... — Et l'auteur a disparu... — Bon débarras... De toutes façons, il n'a peut-être jamais été là... — Tu veux dire que tu n'étais jamais là?... — Moi, toi, ou un autre, ou personne, quelle importance... — Et ça va durer encore longtemps?... — Tant que le train sera sur les rails, j'imagine... — Et quand il n'y sera plus?... — Eh bien il n'y sera plus... — Il va où, le train?... — Il va où il va, comment veux-tu que je le sache... Il s'enfonce dans la nuit, où rien ne luit, comme disait la chanson... Ou bien il va où il ne va pas peut-être... — Et le conducteur, il sait?... — Il n'y en a pas, de conducteur... Et pas non plus de contrôleur... Et pas non plus de voyageur je crois... — C'est parce qu'il n'y a pas d'auteur peut-être... — Oui... — Remarque, on s'en passe bien... — Oui... — Qu'est ce qu'on ferait d'un auteur de toutes façons?... On le balancerait par la fenêtre?... — Et comment... Il nous ferait pas chier bien longtemps...
mardi 18 décembre 2012
Je ne sais plus qui c'était. D'où elle sortait. Où elle allait. Un hôpital, il me semble. Oui, c'est ça, elle sort d'une chambre d'hôpital. Elle est venue voir quelqu'un. Un homme. Son mari. C'est vers la fin. Il va mourir. Je ne sais plus si c'est de maladie ou après un accident de voiture. Il est riche, son mari. Elle, elle n'est pas riche. Elle ne vit pas dans le même monde. Ça me revient. Elle va croiser sa belle-mère qui va la supplier de revenir, pour son fils, pour son cher fils, mais elle ne reviendra pas. Elle en a assez. Ça ne l'empêche pas d'avoir de la peine et d'être même déchirée. Elle s'en va. C'est fini. Lui, il meurt. Elle, elle retourne dans son monde, c'est plutôt bien, elle sourit de nouveau. C'était la rue sans fin. Elle n'était pas à sa place. Malgré les sentiments. Je croyais avoir oublié, mais tout m'est revenu. C'était encore là. Comme toutes les histoires. J'adore les femmes en kimono. Avec le petit coussin carré au creux des reins. Les petits pas. Le soin apporté aux petites choses. Le film était muet mais je me souviens de ses petits pas sonores dans le couloir de l'hôpital. À la fin, je crois qu'elle devient serveuse et qu'on la voit en tenue occidentale de serveuse, avec un badge sur la poitrine, rayonnante. Elle n'aura rien gagné dans l'aventure, ni position, ni fortune. Ça n'était pas son but. Elle n'était pas vénale. Ou alors, peut-être, si elle l'a été à un moment, ça lui a vite passé. C'est d'ailleurs peut-être seulement ça qui lui a manqué, d'être vénale, de jouer ce jeu-là. Elle n'était pas à sa place. Je me souviens que j'avais pleuré, à la fin. Je ne savais pas si c'était de joie ou de tristesse. Mais ça m'avait fait du bien. Et l'émotion revient, tandis que je tire le fil de l'histoire que je croyais avoir oubliée et qui est alors également mon histoire. Ma vue se brouille tandis que tout se reprécise. C'était triste. Mais ça n'était pas que triste. Comme toutes les belles histoires. Ces belles histoires qui sont d'ailleurs aussi très moches. Mais le sourire, à la fin, radieux. C'est peut-être ça qui émeut le plus. Et puis les petits pas...
lundi 17 décembre 2012
J'ai quand même eu l'énergie et juste avant l'envie ou alors l'idée de lever un bras. Depuis le temps que j'étais là sans bouger et parfois même sans respirer. Égal à une chaise. Égal plutôt à un canapé dans ce cas à mémoire de forme. À mémoire de forme. J'avais fini par ne faire plus qu'un avec lui, lui prêtant ma forme, me lovant dans sa mémoire infinie. Hybridation plus ou moins réussie. Parfois quand même une partie de moi s'échappait. Une partie informe. Une partie rebelle à toute absorption car rebelle à toute mise en forme et donc à toute mémoire de forme. Non! Je ne suis pas un canapé! Mais quoi, alors?... Un ermite, peut-être, je me suis dit, considérant mes ongles de pieds et de mains qui avaient tant poussé en mon absence, mes cheveux en broussaille, ma barbe collante, le fumet capiteux qui émanait de moi. J'ai regardé ma montre. Oui, mais quel jour? je me suis demandé. Et quel mois? Quand j'ai su, j'ai fait les yeux tout ronds. J'ai alors allumé la radio. Savoir ou en était un peu le monde. Pas grands changements. Ai consulté mes différentes messageries. Personne n'avait cherché à me joindre. Ouf. J'ai mis du temps à me redresser, tant mon corps était solidaire du canapé. Avant d'atteindre la station debout j'ai dû longuement me masser les jambes dont les muscles semblaient avoir fondu. Sous la douche brûlante, j'ai dû m'asseoir, car la tête me tournait et mes cannes flageolaient. Me lavant les cheveux, je me suis souvenu que je n'avais plus de coiffeuse, partie à la retraite, qu'il faudrait que je m'en trouve une autre et ça m'a plongé dans une terreur abyssale, comme si le monde que je retrouvais n'était plus du tout le même monde et qu'il fallait que je reprenne tout du début, que je réapprenne à vivre. Ça m'avait pris tellement de temps pour en arriver là, pour avoir quelques repères plus ou moins fiables, rassurants et là soudain je me retrouvais dans un monde étranger, sans mémoire de forme, de moi. Tous mes itinéraires avaient disparu. Le labyrinthe avait changé de forme. Comment allais-je faire? Les salons de coiffure ne manquaient pas. Il y en avait même tellement. Mais lequel choisir? Oserai-je pousser la porte? Comment sera la shampouineuse? Autrefois, elle était blonde, douce et pulpeuse, sentait un peu comme l'herbe fraichement coupée et le lait, j'aurais passé ma vie la tête renversée dans la cuvette. Si le paradis existe, ça doit ressembler à ça, abandonné aux doigts experts d'une shampouineuse. Mais pas n'importe laquelle. Partir, au petit bonheur, redécouvrir le monde, je me suis dit alors en me rasant le nez collé au petit miroir pendu au dessus de l'évier, car il ne s'agissait pas seulement de retrouver une coiffeuse et une shampouineuse mais de retrouver le monde, au moins un monde, un petit monde déjà. Ma tête s'est remise à tourner, envahie par l'excitation mêlée à la peur de l'Inconnu. Un tel projet, soudain. J'ai dû m'asseoir. Pas trop vite, je me suis dit. Le monde est-il à mémoire de forme? je me suis demandé. La question m'a occupé longtemps en me coupant les ongles, dans la cuisine, les pieds sur une chaise. Je suis repassé dans le salon, ai regardé longuement le canapé qui avait repris sa forme de canapé, impersonnel, sans moi dedans, ai été tenté d'y retourner pour de nouveau m'y perdre. Mais j'ai résisté. J'ai résisté aussi à la tentation de sortir aussitôt dans le monde et le parcourir en courant et riant comme un gamin récemment bipède au printemps. Ne pas se précipiter. On n'était pas au printemps. L'ivresse pourrait m'être fatale. Je suis retourné dans la cuisine, me suis fait un petit café, l'ai bu tranquillement, puis un deuxième, en écoutant la radio, des voix, assis sur une chaise en paille qui grinçait au moindre de mes mouvements, me disant qu'elle n'était pas à mémoire de forme, la chaise, seulement une station temporaire, que le monde non plus n'était sans doute pas à mémoire de forme même si la question continuait quand même de se poser et que tout même était tellement douteux, sujet à questionnements sans fin, sans issue, le coude sur la table, me massant le menton, jetant parfois un œil par la fenêtre, les toits de tuiles orangées, les cheminées, le ciel tout gris.
lundi 10 décembre 2012

vendredi 23 novembre 2012
Tu reviens, alors. Parce qu'il y a toujours une forêt. Tout est à la surface. Il suffit de voir. De rester à la surface, c'est à dire déjà d'y entrer, car on ne peut pas y rester si d'abord on n'y est pas entré. La surface est profonde. On peut s'y enfoncer et même s'y perdre, c'est bien alors de semer des petits cailloux pour retrouver son chemin. Le monde est plat, à côté. Tu reviens, mais tu ne vois pas. Tu passes. Le temps presse, toujours. Tu n'as pas que ça à faire. Tu reviens parce que tu en as pris l'habitude, c'est tout. C'est comme aller au boulot, te brosser les dents, c'est même moins que ça, juste une petite chose que tu fais comme ça, tu ne sais pas trop pourquoi mais tu reviens, comme ça, parce que c'est comme ça, parce que tu es comme ça. Ça ne te prend pas beaucoup de temps, heureusement, tu te dis. Ce n'est peut-être pas par ennui, mais au contraire pour l'ennui, que tu reviens, parce que ça t'ennuie, une fois que tu te retrouves ici. Tu t'ennuies. C'est peut-être ça qui te manque, l'ennui, ça que tu as perdu et que tu viens retrouver un peu ici. Tu ne restes pas longtemps parce que peut-être tu pourrais y prendre goût et l'idée ne te plaît pas. Parce que tu vis dans un monde d'idées, un bien triste monde d'idées. Tu as quand même mieux à faire, tu te dis. Mais quand l'instant viendra, tu comprendras que tu n'avais rien de mieux à faire, que tout n'était que du vent, que le monde était plat, que ta vie aussi était plate, un ensemble de réflexes conditionnés, rien de plus, rien de mieux, que tu n'as agi au fond que par désespoir ou terreur. Pour meubler le vide. Pour chasser l'ennui. Tu n'étais qu'un pantin. Tu croyais être libre mais ce n'était qu'une idée. Tout ce que tu as accompli pour te libérer n'a fait que t'enchaîner un peu plus. Alors que tu aurais pu entrer, tu as passé ton chemin. Tu ne reviens même à chaque fois que pour passer ton chemin. Ensuite tu retournes à ta petite vie, à ton petit monde, ton rôle, ça te rassure, c'est du solide, tu te dis, tu as des rendez-vous, des connexions, de l'importance, tu as voulu le croire en tout cas et tu as même fini par le croire. Mais tu reviens. Que cherches-tu? Que cherches-tu vraiment? Tu ne vois pas la forêt mais tu reviens. Si tu prenais le temps, peut-être qu'au bout d'un moment tu me verrais, là-bas, pissant contre un arbre. Mais tu ne prends jamais le temps. Tu ne fais que passer.