lundi 5 janvier 2015

Hyde n'est jamais très loin. Il suffit de montrer un peu les dents. Ce côté carnassier, cruel, de l'homme. Le visage, tout autour de la mâchoire, n'est là que pour enjoliver, distraire de l'essentiel, charmer, s'il est charmant, avant dévoration d'une façon ou d'une autre de la proie pantelante. Car il n'y a que les dents. C'est ainsi. Et quand il n'y a plus de dents, il n'y a plus rien que du vide et le visage alors tombe dans ce vide, car le visage n'était là que pour entourer les dents, leur donner un écrin de chair, de cartilages, de nerfs, de peau, de sang, s'était même modelé en fonction des dents car au début étaient les dents, juste les dents et alors sans les dents il s'effondre, le visage, comme une maison aux fondations pourries s'effondre, c'est ainsi... Mords-moi... m'a-t-elle supplié... Mais je n'ai su que la mordiller gentiment et l'image de l'homme viril, vraiment viril, carnassier, dominateur, impitoyable prédateur, s'est alors dissipée... (Puis est venu le mépris...) Ce n'est pas tant que j'avais peur de lui faire mal... C'est plutôt que j'avais peur de laisser mes pauvres dents dans sa chair et de clore ainsi ce grotesque épisode édenté... C'est que j'y tiens, à mes dents, même si elles ne sont pas très bonnes... Si elles étaient bonnes, j'y tiendrais sans doute beaucoup moins, ne craignant jamais de les perdre, sûr de mes dents et là j'aurais mordu, oui, vraiment, et mon visage aurait alors exprimé cette terrifiante férocité... Avec de bonnes dents, c'est certain, j'aurais été un tout autre homme, j'aurais tout dévoré, la fille et même le monde... Avec mes pauvres dents, je me suis replié sur moi-même, j'ai enfoui dans mes plus sombres cavernes mes instincts carnassiers... Ce qui ne veut pas dire que je ne suis pas une bête et même une très sale bête, comme tout le monde... Il suffit de montrer un peu les dents, ça saute aux yeux, non?... Je suis un homme méchant, on me l'a souvent dit... Comme je n'ai pas de bonnes dents, je ne peux pas me permettre de l'être franchement, le suis alors insidieusement...

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