mardi 2 juillet 2013

Je peux passer 10 heures à regarder une table. Parce qu'elle me raconte des histoires, la table. Et pas que des histoires. Et pas que des racontes. Je m'y plonge, dans la table, je m'y perds, à la surface, mais pas seulement à la surface, dedans aussi, je disparais dedans, dedans la surface mais aussi dedans la table même, dans la matière, j'ai cette faculté pour ainsi dire innée. Une table, contrairement à un humain, ne m'ennuiera jamais. Ça peut être une façon de tuer le temps. Pas de passer le temps : de le tuer. Parce qu'il faut le tuer, parfois, si on ne veut pas qu'il nous tue. Mais il est coriace, le salaud, comme disait Georges. Bien que pas tant que ça, moi, je trouve. Une table. 10 heures. Au moins. On verra alors dans quelle catégorie se ranger. Celle où on le passe, ou celle où on le tue, le temps. Un petit t ou un grand T, peu importe. Pour le temps, je veux dire. Ou bien pour la Table. Le tuer. C'est facile, il n'existe pas. La table, oui, elle existe. Mais pas le temps. La table, on ne la tue pas, on ne pourrait pas la tuer, c'est du solide, la table, même si on la coupait en tout petits petits petits morceaux, la broyait, même la mangeait, la chiait et la brûlait, elle serait encore là, la table, sous une autre forme, mais elle serait encore là. Mais le temps, le tuer, s'il n'existe pas, comment le tuer? Alors la table existerait et on ne pourrait pas la tuer et le temps n'existerait pas et on pourrait le tuer? Ce qui voudrait dire alors qu'on ne pourrait tuer que ce qui n'existerait pas? Peut-être pas quand même. Ou peut-être. Qu'est-ce que j'en sais... Tuer, ne pas tuer, pouvoir ou non tuer... le temps... Mais il est coriace, le salaud, comme disait Georges... Non, en fait, on ne peut pas, le tuer, même s'il n'existe pas, justement parce qu'il n'existe pas... S'en extraire, un moment... Sembler, un moment, ne plus être son esclave, enchaîné... c'est déjà pas si mal, un moment... Ne plus sentir son poids, même s'il n'a pas de poids, puisqu'il n'existe pas... Être là ou ailleurs, faire ceci ou cela ou ne rien faire de ceci ni de cela... C'est le temps des autres, surtout, qu'il faut tuer, celui qui nous empoisonne le nôtre de temps et qui finit même parfois par s'y substituer... C'est la reconquête alors plutôt de son temps à soi, pas tant tuer le temps que chasser le temps des autres, celui qui nous soumet, nous fait courber le dos, nous fouette jusqu'aux rides, nous aigrit l'âme et l'estomac, nous pèse sur les os jusqu'à ce qu'ils craquent, puis rompent... Mais il est coriace le salaud? Mais non, pas tant que ça. Ce n'est qu'une idée. C'est comme les gens, ça n'existe pas vraiment...

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