Tu es toujours là?... — Si on veut... Je ne sais pas trop... Je me demande... — Où étais-tu, tout ce temps?... — Par ci... Par là... Je me demandais... — Et là, maintenant, tu y es?... — J'y suis... J'y suis pas... Je me demande... Y étais-je?... Y étais-je au moins une fois?... Y serai-je encore si j'y ai été?... Et comment y serais-je si je n'y ai jamais été?... Comment savoir?... — Et tous ces gens, autrefois, qui venaient... — Oui... — Et qui maintenant ne viennent plus... — Oui... — Ils ont peut-être compris qu'il n'y avait personne, ici, en tout cas que tu n'y étais pas... — Peut-être bien... — Tu as peut-être disparu... — Oui... Ou bien je ne suis pas même apparu... Juste une faible illusion, à un moment, un vague reflet qui a trompé un peu tout ce monde... C'étaient les mots, qui s'agençaient tout seuls... qui créaient l'illusion d'une personne, peut-être... Mais il n'y avait pas d'auteur... — Heureusement, plus personne ou presque ne vient... — Oui, heureusement... — On se sent mieux du coup chez soi... — Oui... — On est bien, finalement, ici... — Oui... — Les mots s'arrangent tout seuls... — Oui oui... ça se bricole tout seul... Ils n'ont besoin de personne, les mots... Nous, on regarde, un peu, parfois, savoir où ça va, où ça ne va pas, on s'assoupit un peu, on rouvre un peu les yeux, c'est toujours un peu le même paysage... — Et l'auteur a disparu... — Bon débarras... De toutes façons, il n'a peut-être jamais été là... — Tu veux dire que tu n'étais jamais là?... — Moi, toi, ou un autre, ou personne, quelle importance... — Et ça va durer encore longtemps?... — Tant que le train sera sur les rails, j'imagine... — Et quand il n'y sera plus?... — Eh bien il n'y sera plus... — Il va où, le train?... — Il va où il va, comment veux-tu que je le sache... Il s'enfonce dans la nuit, où rien ne luit, comme disait la chanson... Ou bien il va où il ne va pas peut-être... — Et le conducteur, il sait?... — Il n'y en a pas, de conducteur... Et pas non plus de contrôleur... Et pas non plus de voyageur je crois... — C'est parce qu'il n'y a pas d'auteur peut-être... — Oui... — Remarque, on s'en passe bien... — Oui... — Qu'est ce qu'on ferait d'un auteur de toutes façons?... On le balancerait par la fenêtre?... — Et comment... Il nous ferait pas chier bien longtemps...
mercredi 26 décembre 2012
mardi 18 décembre 2012
Je ne sais plus qui c'était. D'où elle sortait. Où elle allait. Un hôpital, il me semble. Oui, c'est ça, elle sort d'une chambre d'hôpital. Elle est venue voir quelqu'un. Un homme. Son mari. C'est vers la fin. Il va mourir. Je ne sais plus si c'est de maladie ou après un accident de voiture. Il est riche, son mari. Elle, elle n'est pas riche. Elle ne vit pas dans le même monde. Ça me revient. Elle va croiser sa belle-mère qui va la supplier de revenir, pour son fils, pour son cher fils, mais elle ne reviendra pas. Elle en a assez. Ça ne l'empêche pas d'avoir de la peine et d'être même déchirée. Elle s'en va. C'est fini. Lui, il meurt. Elle, elle retourne dans son monde, c'est plutôt bien, elle sourit de nouveau. C'était la rue sans fin. Elle n'était pas à sa place. Malgré les sentiments. Je croyais avoir oublié, mais tout m'est revenu. C'était encore là. Comme toutes les histoires. J'adore les femmes en kimono. Avec le petit coussin carré au creux des reins. Les petits pas. Le soin apporté aux petites choses. Le film était muet mais je me souviens de ses petits pas sonores dans le couloir de l'hôpital. À la fin, je crois qu'elle devient serveuse et qu'on la voit en tenue occidentale de serveuse, avec un badge sur la poitrine, rayonnante. Elle n'aura rien gagné dans l'aventure, ni position, ni fortune. Ça n'était pas son but. Elle n'était pas vénale. Ou alors, peut-être, si elle l'a été à un moment, ça lui a vite passé. C'est d'ailleurs peut-être seulement ça qui lui a manqué, d'être vénale, de jouer ce jeu-là. Elle n'était pas à sa place. Je me souviens que j'avais pleuré, à la fin. Je ne savais pas si c'était de joie ou de tristesse. Mais ça m'avait fait du bien. Et l'émotion revient, tandis que je tire le fil de l'histoire que je croyais avoir oubliée et qui est alors également mon histoire. Ma vue se brouille tandis que tout se reprécise. C'était triste. Mais ça n'était pas que triste. Comme toutes les belles histoires. Ces belles histoires qui sont d'ailleurs aussi très moches. Mais le sourire, à la fin, radieux. C'est peut-être ça qui émeut le plus. Et puis les petits pas...
lundi 17 décembre 2012
J'ai quand même eu l'énergie et juste avant l'envie ou alors l'idée de lever un bras. Depuis le temps que j'étais là sans bouger et parfois même sans respirer. Égal à une chaise. Égal plutôt à un canapé dans ce cas à mémoire de forme. À mémoire de forme. J'avais fini par ne faire plus qu'un avec lui, lui prêtant ma forme, me lovant dans sa mémoire infinie. Hybridation plus ou moins réussie. Parfois quand même une partie de moi s'échappait. Une partie informe. Une partie rebelle à toute absorption car rebelle à toute mise en forme et donc à toute mémoire de forme. Non! Je ne suis pas un canapé! Mais quoi, alors?... Un ermite, peut-être, je me suis dit, considérant mes ongles de pieds et de mains qui avaient tant poussé en mon absence, mes cheveux en broussaille, ma barbe collante, le fumet capiteux qui émanait de moi. J'ai regardé ma montre. Oui, mais quel jour? je me suis demandé. Et quel mois? Quand j'ai su, j'ai fait les yeux tout ronds. J'ai alors allumé la radio. Savoir ou en était un peu le monde. Pas grands changements. Ai consulté mes différentes messageries. Personne n'avait cherché à me joindre. Ouf. J'ai mis du temps à me redresser, tant mon corps était solidaire du canapé. Avant d'atteindre la station debout j'ai dû longuement me masser les jambes dont les muscles semblaient avoir fondu. Sous la douche brûlante, j'ai dû m'asseoir, car la tête me tournait et mes cannes flageolaient. Me lavant les cheveux, je me suis souvenu que je n'avais plus de coiffeuse, partie à la retraite, qu'il faudrait que je m'en trouve une autre et ça m'a plongé dans une terreur abyssale, comme si le monde que je retrouvais n'était plus du tout le même monde et qu'il fallait que je reprenne tout du début, que je réapprenne à vivre. Ça m'avait pris tellement de temps pour en arriver là, pour avoir quelques repères plus ou moins fiables, rassurants et là soudain je me retrouvais dans un monde étranger, sans mémoire de forme, de moi. Tous mes itinéraires avaient disparu. Le labyrinthe avait changé de forme. Comment allais-je faire? Les salons de coiffure ne manquaient pas. Il y en avait même tellement. Mais lequel choisir? Oserai-je pousser la porte? Comment sera la shampouineuse? Autrefois, elle était blonde, douce et pulpeuse, sentait un peu comme l'herbe fraichement coupée et le lait, j'aurais passé ma vie la tête renversée dans la cuvette. Si le paradis existe, ça doit ressembler à ça, abandonné aux doigts experts d'une shampouineuse. Mais pas n'importe laquelle. Partir, au petit bonheur, redécouvrir le monde, je me suis dit alors en me rasant le nez collé au petit miroir pendu au dessus de l'évier, car il ne s'agissait pas seulement de retrouver une coiffeuse et une shampouineuse mais de retrouver le monde, au moins un monde, un petit monde déjà. Ma tête s'est remise à tourner, envahie par l'excitation mêlée à la peur de l'Inconnu. Un tel projet, soudain. J'ai dû m'asseoir. Pas trop vite, je me suis dit. Le monde est-il à mémoire de forme? je me suis demandé. La question m'a occupé longtemps en me coupant les ongles, dans la cuisine, les pieds sur une chaise. Je suis repassé dans le salon, ai regardé longuement le canapé qui avait repris sa forme de canapé, impersonnel, sans moi dedans, ai été tenté d'y retourner pour de nouveau m'y perdre. Mais j'ai résisté. J'ai résisté aussi à la tentation de sortir aussitôt dans le monde et le parcourir en courant et riant comme un gamin récemment bipède au printemps. Ne pas se précipiter. On n'était pas au printemps. L'ivresse pourrait m'être fatale. Je suis retourné dans la cuisine, me suis fait un petit café, l'ai bu tranquillement, puis un deuxième, en écoutant la radio, des voix, assis sur une chaise en paille qui grinçait au moindre de mes mouvements, me disant qu'elle n'était pas à mémoire de forme, la chaise, seulement une station temporaire, que le monde non plus n'était sans doute pas à mémoire de forme même si la question continuait quand même de se poser et que tout même était tellement douteux, sujet à questionnements sans fin, sans issue, le coude sur la table, me massant le menton, jetant parfois un œil par la fenêtre, les toits de tuiles orangées, les cheminées, le ciel tout gris.
lundi 10 décembre 2012
Le vaisseau tangue. Mes os grincent. Je ne suis bien que dans la pénombre. Je ne désire rien d'autre qu'être là. Je suis chez moi. Dans cette pénombre. J'aimerais que ça continue. Mais un jour je devrai m'en aller. Je n'aurai peut-être ce jour-là plus les moyens de rester. Parce qu'il faut payer. Mais je ne vois pas plus loin que mon verre de thé. On verra bien, je me dis. Et après mon verre de thé, je m'en verserai un autre. Savoir que je peux m'en verser un autre me suffit, comme horizon. Au delà, tout est flou. Et au delà du flou il n'y a rien. Juste une grande lumière. Bien trop forte pour moi qui ne suis bien que dans la pénombre. C'est ma pénombre à moi. Je me la suis fabriquée. Pour survivre. Je ne peux être que là. J'ai juste tiré un peu le rideau. Je suis toujours à la même place, sur le canapé, avec le même point de vue, ça pourrait résumer toute ma vie, cette image. Derrière mon verre de thé. Ou bien devant mon verre de thé. Il y avait toutes sortes de variations. Je ne buvais pas toujours le même thé, ça dépendait surtout des saisons, je voyais défiler les saisons dans mon verre de thé, le thé n'avait pas toujours la même teinte et la lumière qui le traversait n'était pas toujours la même. Quand il m'arrivait de quitter mon observatoire, je ne désirais plus alors que le retrouver, enfin, dans ma pénombre, là où était ma vraie place. Loin de chez moi, ne serait-ce que descendu dans la rue pour acheter du pain, je me sentais exilé. Le thé, c'était mon luxe. Une vie sans luxe ne vaut pas la peine d'être vécue. Et la pénombre était mon royaume. Je n'y produisais rien, sinon la pénombre. Ça me suffisait. Je m'imaginais disparaître dedans.