lundi 2 janvier 2012

A une époque, j'ai beaucoup écouté Stan Getz. (Je devais aller le voir au festival de Vienne, au milieu des années 80, quand le concert a été annulé, à cause de son cancer du poumon, il s'est retrouvé ensuite le souffle un peu court, à souffler d'un seul poumon.) C'était un vrai connard, il paraît, Stan Getz, un vrai salaud, dans la vie, avec les femmes, les amis et aussi avec ses collègues musiciens, un tyran, un égocentrique très pervers. Mais ce n'était pas pour cette raison que je l'écoutais. C'était à cause d'une phrase, qu'il avait dite, que je l'écoutais, une simple phrase, entendue à la radio quand je suivais avec passion le jazz est un roman d'Alain Gerber : "Le son détermine la phrase." C'est resté gravé en moi, comme "le style contre les idées" de Céline. Alors je me suis mis à l'écouter vraiment, Stan Getz. A cause de cette phrase, au début. Puis je l'ai écouté parce qu'il me parlait. Avant d'entendre cette phrase, je n'aimais pas tellement Stan Getz, je trouvais son timbre un peu trop léché, ses phrases un peu trop sirupeuses. Il faut dire que je n'en connaissais pas grand chose. A l'époque, pour moi, il fallait déjà être noir, pour faire du jazz et les blancs n'avaient fait que récupérer et pervertir joliment, poliment, niaisement, l'Œuvre aux Noirs. Puis, à la radio, chez Gerber, j'ai entendu cette phrase : "Le son détermine la phrase." Et tout à changé. Je n'ai plus entendu le salaud sirupeux, mais un musicien très subtil, parfois déchirant, le fils spirituel de Lester Young. Et puis la phrase est restée. Le son détermine la phrase. Rien d'autre. C'était sa phrase. Il n'a pas pondu tout un traité ou des mémoires, il a simplement dit cette phrase, une phrase toute simple qui vaut tous les traités et il n'a pas dû la dire mille fois, cette phrase, peut-être même qu'il ne l'a dite qu'une fois, entre deux saloperies. C'est devenu aussi ma phrase, plus importante, cruciale, vivante, que "le style contre les idées" ou n'importe quoi d'autre. C'est même devenu mon seul idéal, ou plutôt ma seule ligne de conduite, ma devise, ma formule, ce qui valide ou invalide, et pas seulement quand je soufflais, laborieusement le plus souvent, dans mon vieux saxophone.

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